Eygalieres galerie de portraits

Robert Coste

Le commandeur

 … du Mérite agricole. C’était en janvier 2008 : Michel Barnier, alors ministre de l’agriculture, était venu à Châteaurenard remettre à Robert Coste les insignes du grade le plus élevé de cet Ordre qui récompense des services rendus à l’agriculture, devant 300 personnes, parmi lesquelles le député Bernard Reynès et le maire d’Eygalières, à l’époque Félix Pélissier. C’est que Robert Coste est un monument. Un monument bien vivant, ancien maraicher, intensément engagé dans l’action collective, une forte personnalité, qui ne laisse pas indifférent. C’est un homme dont la famille est eygaliéroise depuis plusieurs générations et qui, né à Eygalières où il a habité toute sa vie, a vécu de l’intérieur tous les bouleversements qu’ont connus le village et la région.

Ces bouleversements, il en a eu très tôt le pressentiment : au tout début des années 70, alors qu’il travaille déjà depuis quinze ans comme maraicher aux côtés de ses parents, il perçoit l’importance des changements qui vont affecter le monde agricole. « L’activité agricole était assez dure », dit-il. Et en effet, avec l’ouverture des frontières, l’arrivée de la grande distribution, le marché des fruits et légumes va connaître des transformations irréversibles. Robert Coste prend conscience de la nécessité d’une action collective ; avec des collègues agriculteurs, face aux bouleversements qui se dessinent, il veut défendre les intérêts de la profession. C’est ainsi qu’à 30 ans, il fonde à Eygalières un syndicat d’exploitants agricoles affilié à la FDSEA. A l’époque, l’agriculture a encore un poids économique significatif, donc un poids politique : le syndicat compte 200 membres ; le maraichage, la vigne, l’olivier, l’élevage y sont présents. Malgré son jeune âge, Robert Coste s’impose et va rapidement devenir une figure du monde agricole régional et au-delà : autodidacte, il apprend rapidement, il travaille beaucoup, il sait parler, il est même un peu une « grande gueule ». Plus encore, il a l’intelligence des situations et comprend instinctivement les chemins qui s’ouvrent à lui.

Cet engagement précoce dans le monde des organisations syndicales agricoles et de l’action collective bénévole va orienter sa vie. Il se fait tout seul, à force de travail, de compréhension et d’anticipation du monde qui l’entoure et, lui qui n’a pas fait d’études puisqu’il a quitté l’école à 14 ans, certificat d’études en poche, va devenir une figure du monde agricole et accumuler les mandats.

A commencer par celui qu’il aura exercé pendant 25 ans, un record : administrateur depuis 1971 de la Caisse départementale de la Mutualité sociale agricole (MSA), le régime spécial des agriculteurs, Robert Coste en devient le président en 1985. Le président sortant a été battu ; la caisse elle-même va mal, elle ne verse plus les retraites. La situation redressée, il restera président jusqu’en 2010, organisant entretemps, à la demande des pouvoirs publics, la fusion de la caisse des Bouches-du-Rhône avec celles du Var et des Alpes-Maritimes. A presque 70 ans, il décide qu’il est temps de laisser la place à de plus jeunes.

Pendant toutes ces années, les mandats vont en générer d’autres, locaux, régionaux ou nationaux : Groupama, Chambre d’agriculture, Caisse de Crédit agricole de Saint-Rémy-de-Provence, d’autres encore. Lorsqu’il finit par abandonner progressivement ses mandats majeurs, Robert Coste reste engagé. Ainsi, en 2006 il est élu président de l’ADMR d’Eygalières, association qui fournit aux personnes des services à domicile. A ce titre, il va notamment apporter sa contribution au projet de création de l’Ehpad du village, avant de passer les rênes en 2017 à Serge Jodezyk, jusqu’alors trésorier (voir son portrait dans cette Galerie).

En près de 50 ans de vie publique, parti de rien, il a acquis un poids personnel et une autorité certaine, une réputation à toute épreuve auprès des agriculteurs, ainsi qu’une solide connaissance européenne et internationale des problématiques de l’agriculture et des systèmes sociaux. Il a connu personnellement les 14 ministres de l’agriculture qui se sont succédés pendant sa présidence de la MSA. Cette ascension et son caractère peu commode ne lui ont pas fait que des amis. Peut-être cela a-t-il contribué à l’échec de ses deux tentatives successives de conquérir un mandat politique, l’une au niveau du canton, l’autre au niveau municipal.

Il n’en est pas moins resté attaché à ses racines, bien enfoncées dans le sol des Alpilles, comme il sied à un agriculteur. Son enfance et sa jeunesse à Eygalières restent très présents à son esprit. L’école communale avec ses quelques 120 élèves répartis en deux classes pour les garçons tenues respectivement par Charles Galtier et Maurice Pezet, et une classe pour les filles avec Suzanne Pezet. Les chevauchées à vélo entre copains pour rejoindre l’école. L’époque où tous les habitants frayaient ensemble, où Mario Prassinos, qui dînait souvent chez ses parents, peignait en remerciement un portrait de son père (aujourd’hui au musée Maurice Pezet). L’été où, alors que Robert avait 17-18 ans, Gérard Philipe est venu à Eygalières à l’occasion du Festival d’Avignon et s’est assis au Bar du Centre à la table des jeunes pour parler avec eux ….

Ensuite, les choses sont allées très vite. Le travail aves ses parents, le service militaire effectué en Tunisie à l’époque de la guerre d’Algérie. Son mariage en 1965, la naissance de ses deux enfants. Grâce à son épouse, il parvient à concilier son travail de maraicher et l’exercice de ses mandats, au prix d’une acrobatie permanente à cause de réunions multiples à travers toute la France et de voyages d’étude dans divers pays. Et aujourd’hui, une retraite agrémentée de quelques réunions.

Les bouleversements que Robert Coste avait pressentis, il les a vécus et observés dans son environnement immédiat. Le nombre d’exploitations agricoles a été drastiquement réduit, de 200 il y a 50 ans à une vingtaine maintenant. Le maraichage sous serre a largement remplacé les cultures de plein champ. La vingtaine de troupeaux de moutons qui tondaient la végétation des Alpilles, préservant la montagne des incendies, a disparu. Le tourisme et le TGV ont fait apparaître les résidences secondaires et exploser les prix du foncier. A côté de la multiplication du bâti, des terres en friches sont apparues. Le paysage lui-même a complètement changé, une dominante verte s’étant substituée à l’ocre. Et Robert Coste pousse un cri d’alarme : faute d’agir, les rangées de cyprès qui font une partie de la beauté de ce paysage auront disparu dans dix ans.

Le métier d’agriculteur a été bouleversé, entre les conséquences d’un marché unique à 28, la propagation du libre-échange et la baisse du coût des transports à travers le monde, la montée en puissance des distributeurs, le développement des préoccupations écologiques. Robert Coste a tiré son épingle du jeu mais il n’a pu transmettre à ses enfants – qui pourtant ont fait des études agricoles - ce qu’il a hérité de ses parents : prix du foncier, impossibilité de couper en deux l’exploitation, les ont conduits vers d’autres activités.

Devant le mas de Robert, les oliviers ont remplacé les serres. Il a plaisir à contempler les Alpilles, encore et toujours, à parler le provençal avec Magali Anglada (voir son portrait dans cette Galerie), comme il le faisait dans sa jeunesse avec ses parents et ses grands-parents (sa grand-mère ne parlait que provençal). Nostalgique, un peu, mais acceptant l’évolution du monde, il n’est pas en retrait même si l’âge ne lui permet plus de s’engager.

2 octobre 2018