Eygalieres galerie de portraits

Christian Villard

L'enfant du village qui voulait y rester

Imaginez que vous êtes né à Eygalières et que vous tenez absolument à y rester toute votre vie. Comment faire ? Eh bien, Christian Villard a trouvé la solution la plus simple : il y a créé son entreprise. Une entreprise qui, 38 ans plus tard, est toujours active et prospère, qui est même le deuxième employeur du village. Très simple, peut-être, mais pas joué d’avance, bien loin de là. Christian est lisse d’aspect, il ne se met pas en avant, selon lui, tout s’est fait « de fil en aiguille ». Et cependant, il a commencé sa vie professionnelle comme laveur de vitres, avec son seau et ses éponges, tandis qu’aujourd’hui son entreprise de propreté exerce son activité d’Arles à Salon-de-Provence en passant par Avignon.

Cela ne s’est certainement pas fait tout seul. Il a fallu à Christian un bel ensemble de qualités : audace, courage, ténacité, rigueur. Ajoutons-y la curiosité d’esprit et la fidélité. Et la chance, certainement : la chance d’entamer sa vie professionnelle, à la fin des années 70 et au début des années 80, alors qu’Eygalières et ses environs vont connaître des bouleversements et un développement lui offrant des opportunités qu’il saura parfaitement exploiter.

L’audace et le courage, il en faut pour « raseter » : la course camarguaise est une tradition fortement ancrée dans cette partie de la Provence. A la différence de la corrida, il ne s’agit pas de tuer l’animal qui s’élance dans l’arène, mais d’attraper des « attributs primés », la cocarde fixée à son frontal, les glands et la ficelle à la base des cornes. Le raseteur est celui qui fait face au taureau et qui, dans un élan aussi dangereux que bien calculé, essaie d’attraper au vol un de ces attributs avant de courir se mettre à l’abri. C’est un sport qui développe des qualités de jugement, d’opportunité de décision et de grande agilité. Dès l’adolescence, Christian met la tenue blanche mais l’abandonnera, jeune adulte, pour privilégier sa carrière professionnelle.

Lorsqu’il part faire son service militaire à 18 ans, il va servir dans les fusiliers-commandos de l’Armée de l’Air. Il y faut quelque courage aussi, c’est une arme exigeante sur le plan physique. Mais Christian a la forme physique nécessaire ; en outre il est affecté à la base aérienne de Nîmes, ce qui lui permet de continuer à raseter dans la région. Il aurait pu être officier de réserve, mais pour cela il fallait partir à Evreux, ce dont il ne voulait pas ; il sera donc sous-officier instructeur. Bien que Nîmes ne soit pas loin des Alpilles, c’est néanmoins la première fois que Christian sort durablement de son environnement local. Il s’y frotte à d’autres, il s’ouvre l’esprit.

Audace et imagination, Christian va en faire preuve lorsqu’il entame sa vie professionnelle. Ses parents ont tenu l’une des épiceries d’Eygalières, puis son père a travaillé à Fos tandis que sa mère était contremaîtresse dans une entreprise de fabrication de chaises à Beaucaire. Ils n’ont pas les moyens de financer des études pour leurs enfants. Il n’y a pas non plus de tradition familiale dans l’exercice d’un métier plutôt que d’un autre. Son grand-père, Italien venu du Piémont, était bûcheron. Christian travaille dès le bac obtenu. Il est d’abord embauché chez un peintre en bâtiment, Gérard Wallerand, auprès duquel il pressent la dynamique qui va s’engager en matière de chantiers. Il reste dix-huit mois chez cet artisan avant de partir à l’armée.

De retour à Eygalières, il s’interroge sur son avenir professionnel. Dans un premier temps, il est laveur de vitres. Mais il sait qu’il ne va pas s’en tenir là et il crée donc une entreprise de nettoyage qui porte tout simplement son nom. On est en 1980, il a 20 ans. Au début, il est tout seul. Mais, très vite, une belle opportunité se présente à lui, dont il va tirer un maximum. Christian connaît le directeur de l’usine de transformation de produits minéraux d’OMYA dans le village voisin d’Orgon. L’entreprise s’apprête à transférer aux Etats-Unis une série de machines installées dans l’usine. Christian, qui a passé un bac spécialisé en dessin industriel, a la compétence nécessaire pour lire et interpréter des plans. Grâce à cela, il va obtenir le marché qui consiste à démonter les machines, à nettoyer, étiqueter, référencer et emballer chaque pièce une à une. C’est le gros coup de pouce dont il avait besoin pour démarrer. Ce chantier de deux ans le conduit à embaucher et lui permet de prospecter en parallèle de nouveaux clients pour une activité de nettoyage et de propreté au service de toutes sortes d’entreprises.

La période est idéale. L’activité agricole était dominante à Eygalières et autour ; progressivement, elle fait place aux services, secteur qui recourt volontiers à des prestataires extérieurs. Avec l’arrivée du TGV, l’attractivité de la région est à la hausse. Des entreprises nouvelles se créent, les résidences secondaires se multiplient. Leurs propriétaires, français ou étrangers, qui y séjournent irrégulièrement, ont besoin d’interlocuteurs fiables pour les entretenir.  Les entreprises, pour leurs bureaux ou leurs ateliers, recherchent elles aussi le moyen de tenir propres leurs locaux, ce dont leurs salariés ne s’occupent pas. Christian, l’enfant du pays, connaît tout le monde ; il est avenant, fiable, rigoureux. Les portes s’ouvrent facilement devant lui. Il invente le slogan « avec le sourire », qu’il affiche sur ses véhicules. Christian est tenace et rigoureux, prudent aussi : son métier exige des équipements, donc nécessite d’investir. Pour éviter de se placer en situation vulnérable à l’égard des banques, il préfère autofinancer ses investissements. Grâce à tout cela, bien qu’il ne soit pas le seul, loin de là, à se positionner sur ce créneau, l’entreprise de Christian Villard va grandir, petit à petit, sans précipitation, « de fil en aiguille », comme il dit souvent. Elle élargit sa clientèle et sa zone de chalandise, entre Rhône et Durance, voire un peu plus à l’Est jusqu’à Salon-de-Provence. 38 ans après sa création, installée aux Grandes Terres à Eygalières, elle emploie 80 personnes et génère près de 2 millions d’euros de chiffre d’affaires. Christian n’en fait pas gloire, il reste modeste. Mais c’est une bien belle réussite.

Enfant du pays il est né, enfant du pays il reste. Il se souvient avec émotion de son enfance dans son village, pas bien riche mais où tout le monde se connaissait, avec le foot comme seule activité pour les jeunes garçons, l’arrivée de la télévision autour de laquelle on se rassemblait pour la regarder en remettant une pièce dans le compteur quand l’image disparaissait, …. Il est resté fidèle aux amis de cette époque. Il pratique les activités qui sont celles du pays. S’il a dû mettre fin à sa passion pour la course camarguaise, il a un temps pratiqué l’équitation et possédé des chevaux avec lesquels il a parcouru les Alpilles. Il chasse depuis 30 ans, aujourd’hui sur le domaine de Roquemartine, de l’autre côté de la montagne. Il est d’ailleurs le président de cette société de chasse, qu’il s’efforce de conduire de manière responsable, réintroduisant le perdreau sauvage. Et, à partir de l’Aéro-Club d’Eyguières, il pilote de petits avions, ce qui lui procure le bonheur supplémentaire de voir son pays d’en haut. Amour de la nature, amour de sa nature.

Si son épouse est née à Paris, elle aussi a ses repères ici. Fille du docteur Delanoé, un temps médecin du village, elle y a vécu une partie de son enfance, a fréquenté l’école communale lorsque ses parents habitaient « l’ancien hôpital », fondé au tout début du XVIIIè siècle grâce à un legs du vicaire du village mort en 1699, le père Henri Vicary. Deux de leurs trois enfants sont attachés à Eygalières. Leur fille tient un institut de beauté au centre du village et leur dernier fils travaille avec Christian dans son entreprise. Après avoir beaucoup déménagé, Christian et son épouse sont aujourd’hui installés dans le Vieux Village. Dans la « maison Cambi » qu’ils habitent, Mme Cambi, couturière, confectionnait pour la mère de Christian, alors qu’elle était encore enfant, de petites robes à partir de rideaux….

Christian Villard ambitionnait de conduire sa vie dans son village natal. Cette ambition est devenue réalité ; il est aujourd’hui à Eygalières une personnalité discrète mais respectée pour sa réussite et sa fidélité.

21 novembre 2018