Dominique Blanc
Lutter contre l'adversité
Dominique Blanc avait 38 ans lorsque l’adversité a fait irruption dans sa vie pour la première fois. Elle était alors une jeune mère de deux enfants, active, employée à la poste de Cabannes. Un accident de santé totalement inattendu l’a conduite à subir l’amputation de sa jambe droite. Puis l’adversité s’est manifestée une deuxième fois, deux ans plus tard : sa fille Delphine a été victime d’un terrible accident de voiture. Dominique a fait face, a lutté et s’est réinventée une vie compatible avec son handicap. Pour elle-même et pour les autres, elle s’est investie dans le handisport, à la fois comme activité physique et comme engagement. Parallèlement, elle a poursuivi son activité professionnelle jusqu’à sa retraite il y a cinq ans. Un parcours à l’image de son caractère, énergique, direct, positif et généreux.
Pourtant, Dominique Simorre paraissait vouée à un destin sans histoires. Elle naît à Marseille, fille d’un receveur des postes et de son épouse, tous deux marseillais. Avec ses frères jumeaux plus jeunes qu’elle, Dominique suit ses parents dans les affectations successives qui sont la règle pour un fonctionnaire des PTT, comme cela s’appelle à l’époque : après Marseille, Rennes-les-Bains, dans l’Aude, puis Mollégès, enfin Grans, près de Salon-de-Provence, où elle habite dès ses dix ans. Lorsqu’elle en a vingt, elle entre à la Poste par la petite porte, à Rognac, près de Vitrolles, où son père a été affecté. Dominique est une jeune femme sportive qui pratique régulièrement marche, natation, vélo, et même un peu de football féminin lorsqu’elle a 18 ans. Un soir, dans une boîte de nuit à Saint-Martin-de-Crau, elle fait la connaissance d’un jeune homme, Michel Blanc, agriculteur, dont la famille est établie à Eygalières depuis plusieurs générations. Dominique a 22 ans lorsqu’ils se marient. Leurs deux filles, Stéphanie puis Delphine, naissent respectivement quatre et sept ans plus tard. A la Poste, Dominique assure des remplacements, un peu partout dans le département. En 1990, à trente ans, elle est reçue au concours des PTT et titularisée. Quatre ans plus tard, elle est nommée à Cabannes. Elle est postière certes, mais aussi, régulièrement, animatrice dans des centres de vacances pour le compte des œuvres sociales de la Poste. De vacances scolaires en vacances scolaires, elle parcourt la France, à raison de quatre à cinq mois par an.
Puis son destin bascule.
Un jour de juillet 1998, un caillot se forme dans sa jambe droite, qu’il faut amputer sans attendre. Rien ne permettait de prévoir cet accident que le corps médical ne sait pas expliquer. La vie de Dominique et de sa famille en est bouleversée. Ce seront plusieurs années pour apprendre à vivre différemment, des années à fréquenter assidûment hôpitaux, médecins, prothésistes, kinésithérapeutes, … Dominique s’y applique avec volonté, consciente que cela aurait pu être pire : « avec un caillot au cœur, je serais morte, au cerveau je serais devenue un légume ». Et elle remarche, elle conduit, elle vit une vie aussi normale que possible. Mais voilà que, deux ans plus tard, alors que sa fille cadette Delphine, 11 ans, descend du car qui la ramène du collège, elle est fauchée par une voiture. Après de longues années de traitements, Delphine est aujourd’hui sortie d’affaire et est devenue la correspondante de « La Provence » dans notre village.
Face à cette accumulation de malheurs, alors qu’elle aurait pu s’effondrer, Dominique fait face avec courage. Etonnamment, le fait d’être privée d’une jambe lui est presque familier : son grand-père maternel, invalide de la Grande Guerre, avait lui-même été amputé. Enfant, elle a donc pu observer ce handicap au quotidien. Dans sa décision de lutter contre l’adversité, elle va se trouver un nouveau défi dans le handisport, qui lui deviendra rapidement indispensable : Martine Auroux, professeur de français qui aide Delphine à suivre l’enseignement par correspondance, lui suggère de s’y mettre, après avoir observé combien elle tournait en rond chez elle. Dominique va rapidement s’épanouir dans cette activité, un monde caractérisé à la fois par la solidarité et par la dureté. Solidarité entre handicapés qui, quel que soit leur handicap, partagent un vécu commun dans leur vie et dans leurs rapports avec les autres. Solidarité entre les handicapés et leurs soignants, qu’il s’agisse de proches ou de bénévoles. D’ailleurs, ceux-ci, qui n’ont pas la possibilité de pratiquer un sport « normal » en raison de leur engagement, peuvent aussi intégrer les équipes de handisport. La dureté est également nécessaire pour surmonter son ou ses handicaps, s’efforcer de vivre aussi normalement que possible malgré les obstacles. C’est une dureté que l’on s’applique d’abord à soi-même, mais aussi à l’occasion aux autres. Comme lors de cet épisode, à la limite de la cruauté, où après une séance d’entrainement, les camarades de Dominique se sont emparés de sa prothèse, qu’elle avait posée sur une chaise, et l’ont mise à l’autre bout du gymnase. Déjà bien fatiguée, Dominique a dû aller la chercher sur ses fesses … Il est interdit de s’apitoyer, le handicap est objet de moqueries, rien d’autre. Mais surmonter son handicap de cette manière est aussi gage d’ouverture sur d’autres choses, de découvertes, la pratique de sports multiples : pour Dominique, la natation, le ski, la randonnée. Et de fréquentes tournées à travers la France pour rencontrer d’autres clubs.
C’est avec le basket qu’elle commence, en 2002 : elle va le pratiquer à Cavaillon pendant une dizaine d’années. En parallèle, elle devient présidente du Comité départemental handisport du Vaucluse, qui organise toutes les compétitions. Son équipe de basket s’étant vidée de sa composante masculine à cause de la constitution d’un club de rugby à Avignon, en 2014 Dominique passe à ce sport, le « rugby fauteuil », qui en l’occurrence se pratique en équipes de cinq personnes. Elle joue d’abord à Coustellet puis à La-Roque-d’Anthéron, dont elle dirige l’équipe depuis maintenant deux ans : « avec des gars de 30-35 ans, je n’ai plus assez de forces pour jouer », dit-elle. Elle a donc arrêté la pratique du sport. Pour autant, elle n’est pas oisive, loin de là. La réglementation applicable est lourde, diriger une équipe de handisport n’est pas simple. En outre, pour mieux faire connaître cette activité encore insuffisamment répandue, elle consacre - avec d’autres - beaucoup de temps et d’énergie à organiser, ou participer à des journées de sensibilisation dans les écoles, les lycées, les clubs sportifs.
Si son accident de santé a suspendu quelque temps sa carrière professionnelle, elle ne l’a pas arrêtée. Après Cabannes, Dominique est affectée à la poste d’Eygalières en 2008, l’année où son mari Michel est élu au Conseil municipal – il vient d’entamer son troisième mandat. Tout de suite, elle constate à quel point ce bureau de poste très exigu est inadapté aux handicapés. Malgré une hiérarchie indifférente, elle se bat avec une belle énergie pour obtenir que des travaux y soient faits, et obtient finalement gain de cause. C’est pourquoi elle est photographiée ici sur la rampe d’accès du bureau, construite grâce à sa ténacité. Mais la rampe n’est pas seule à son actif, c’est l’ensemble du bureau qui a été réaménagé. Puis, en 2015, après 35 ans de service, Dominique prend sa retraite. Depuis lors, outre son engagement dans le hansdisport, elle se consacre à sa famille et notamment à ses deux petits-enfants. Et lorsqu’elle a un peu de temps libre, elle assemble des puzzles de grande taille : elle travaille en ce moment sur un jeu de 2700 pièces !
On ne peut qu’être admiratif de la manière dont Dominique Blanc a su surmonter son handicap et le transformer en une source de bonheur, tout en conciliant son engagement avec sa vie de famille et sa profession. Sans doute l’adversité a-t-elle joué un rôle de catalyseur pour révéler sa nature profonde. En luttant contre cette adversité, elle a su en faire une force pour tracer son chemin.
26 septembre 2020