Eygalieres galerie de portraits

Sandrine Mattis

Une formidable empathie au service de personnes dépendantes

Chaque jour ou presque, depuis vingt-huit ans, Sandrine Mattis se rend chez ses « bénéficiaires » pour les aider dans leur vie quotidienne, contribuer à leur bien-être malgré les maux ou les faiblesses qui les touchent. Ce sont pour la plupart des personnes âgées, des personnes dépendantes, des personnes handicapées, qui recourent aux services de l’ADMR d’Eygalières. « Auxiliaire de vie sociale » salariée de cette association, Sandrine apporte son énergie et son enthousiasme à ces personnes, qui sont pour elle comme une famille élargie. Son métier, elle le vit intensément, tant parce qu’il est très prenant en soi, physiquement et psychologiquement, que parce qu’elle y est toute investie, telle une missionnaire, une missionnaire avec le sourire. Et au fond, parce qu’elle aime ce métier dans lequel elle « se sent utile, voire plus ».

Oui, elle aime ce métier, dont elle aime aussi parler. Les gestes, les démarches qu’elle accomplit sont très variées, en fonction des besoins de chacune de ces personnes. Il y a tout ce qui concerne la vie quotidienne : la toilette, les repas, pour certaines le lever et le coucher. Et puis une aide aux démarches : accompagner chez le médecin et aider aux démarches administratives. Elle s’occupe d’une dizaine de personnes, pas toujours les mêmes à travers le temps, bien sûr. Mais depuis très longtemps pour certaines d’entre elles, depuis qu’elle est entrée à l’ADMR, en 1993. Quelques-unes ont connu tout petits les enfants de Sandrine, alors qu’ils ont aujourd’hui dépassé la vingtaine. Autant dire qu’avec le temps il s’est créé entre Sandrine et eux une forme d’intimité qui lui est précieuse, à l’inverse des recommandations professionnelles de son employeur, qui conseille de garder une certaine distance afin de réduire, entre autres, les risques de stress émotionnel. Sandrine affirme qu’en fait elle serait incapable d’une telle attitude puisque, au-delà des gestes qu’elle accomplit, ce qui lui tient à cœur et qui fait qu’elle aime son métier, c’est bien cela : une relation humaine, un vrai échange marqué par la solidarité, la compassion dans le respect, « l’amour de son prochain ». Elle le résume ainsi : « je leur apporte quelque chose mais eux, de leur côté, m’apportent beaucoup ». Elle est émue en voyant les « mamies » - ce sont essentiellement des femmes dont elle s’occupe – avec leurs petits-enfants ; certaines lui rappellent même sa propre grand-mère.

Précision importante : Sandrine fait bien la distinction entre son activité, exercée au domicile des personnes, et celle qui s’exerce dans les hôpitaux et les Ehpad, apparemment similaire mais fortement encadrée par des normes envahissantes, alors qu’elle-même apprécie la relative liberté dont elle bénéficie au domicile des personnes dont elle s’occupe.

Ce métier comporte cependant des contraintes sérieuses et peine à attirer des candidat(e)s. S’occuper de personnes dépendantes ne séduit pas ; il y faut une bonne résistance physique et psychique. Le métier n’est pas particulièrement bien rémunéré même si une revalorisation salariale significative est intervenue tout récemment. Il faut faire preuve de souplesse dans son emploi du temps : ainsi, les horaires de Sandrine sont-ils très variables d’une période à l’autre. Elle peut travailler le matin (elle commence alors à 7 heures) ou l’après-midi (elle finit alors souvent après 20 heures), et régulièrement le week-end aussi. Par ailleurs, si la plupart des personnes sont agréables à fréquenter, d’autres ont un caractère plutôt acariâtre, dont il faut bien s’accommoder.

De ce fait, l’ADMR d’Eygalières (évoquée dans les portraits de Serge Jodezyk et de Sandrine Caud dans cette Galerie), comme d’autres ailleurs, a du mal à recruter et garder les personnels dont elle a besoin pour remplir sa mission, une mission pour laquelle la demande ne peut que croître dans les décennies qui viennent. Il n’est pas rare que des salariés restent seulement quelques semaines ou quelques mois, ce qui complique la tâche de l’encadrement et pèse inévitablement sur la qualité des prestations rendues : dans ce métier au contact quotidien en tête-à-tête avec des personnes fragiles, où il faut parfois improviser lorsque survient une situation inattendue, l’expérience, donc l’ancienneté, compte beaucoup. Une telle désaffection touche aussi le bénévolat, puisque l’équipe d’élus qui administrait l’ADMR d’Eygalières, à l’issue de deux mandats en mai 2021, n’a pu trouver de successeurs ; l’association est donc aujourd’hui pilotée par la Fédération départementale.

Tout cela perturbe Sandrine mais ne la détourne pas de la voie qu’elle a choisi, ou plutôt qu’elle a découverte et adoptée. Comme souvent, le hasard a joué et comme souvent le hasard « a bien fait les choses ». Le hasard, c’est la conjonction des qualités de Sandrine et de l’amour. Ses qualités, on les devine à la lecture de ce qui précède : du courage, de la détermination, une forte capacité d’adaptation, une approche positive des choses, par-dessus tout une formidable empathie. Et une incontestable fibre sociale, sans lien avec l’activité professionnelle de ses parents, entre un père employé du service des eaux et une mère qui entretenait des logements collectifs. Mais elle a été témoin du profond engagement de ceux-ci auprès de sa grand-mère paternelle, de plus en plus dépendante. Elle n’habitait pas bien loin d’eux ; elle est décédée en 1999 à 92 ans. C’était un « amour de grand-mère » mais aussi un « sacré tempérament », pas facile à vivre au quotidien. Ils ont également consacré beaucoup d’attention et de temps à son grand-père maternel. Tout cela a certainement stimulé la fibre sociale de Sandrine. Lorsque l’âge est venu de faire des études, elle a choisi le secrétariat médical, peut-être sans véritable conviction. Après ces études, elle entreprend de passer un diplôme d’éducation spécialisée mais commence alors à travailler, à la faveur d’une année sabbatique. Et c’est là que l’amour s’en mêle : à 20 ans, elle rencontre Laurent Lascombe et construit avec lui sa vie d’adulte. Les parents de Laurent, agriculteurs originaires d’Eyguières, avaient acheté des terres à Eygalières et s’y étaient installés dans les années 70. Sandrine rejoint Laurent, agriculteur comme ses parents ; elle quitte Cavaillon où elle est née et où elle a passé les vingt premières années de sa vie, et s’installe avec lui à Eygalières. Plus tard, ils y bâtissent leur maison, et donnent naissance à leurs deux enfants, Laure et Nicolas.

Peu après son arrivée à Eygalières, la belle-famille de Sandrine lui ménage un contact à l’ADMR et, après un entretien d’embauche, elle en devient salariée avant d’y dérouler une véritable carrière professionnelle. D’abord « aide à domicile », elle fait l’effort par la suite de passer des examens « d’évaluation des acquis », et obtient ainsi un « diplôme d’auxiliaire de vie sociale » en 2004, à 32 ans.

Si elle adore son métier, Sandrine ressent aussi son côté parfois pesant ; il lui faut des exutoires. Elle en trouve un du côté de la cuisine, qu’elle aime pratiquer ; c’est un héritage de sa mère. Et surtout dans le sport, une autre de ses passions : musculation, fitness, cross-training. Plus jeune, Sandrine a aussi pratiqué le judo, jusqu’à atteindre le niveau de ceinture bleue. Mais, dénuée de tout esprit de compétition, elle s’est lassée de perdre faute de vouloir gagner et a donc abandonné cette activité.

Et puis, elle est fière de ses deux enfants, élevés avec Laurent. Laure, à côté d’un travail alimentaire dans la restauration, s’est lancée à Montpellier dans l’organisation de cours de danse, malheureusement au moment même où surgissait la pandémie, qui a considérablement perturbé ses débuts. Mais aujourd’hui son activité reprend progressivement. Nicolas, un enfant que l’école rebutait, a trouvé sa voie dans un métier qui le passionne : devenu menuisier, il travaille dans un petit atelier à Saint-Rémy-de-Provence, où l’on répond à des commandes très diverses : cuisines, meubles, volets, etc.

A l’approche de la cinquantaine, après quasiment trente ans d’exercice de son métier, la personne rayonnante qu’est Sandrine Mattis n’imaginerait pas faire autre chose. Ce ne sont certainement pas les personnes qu’elle aide qui s’en plaindraient, pas plus que l’ADMR, dont elle est un atout précieux.

11 décembre 2021