Magali Anglada
« Simbèu » du maintien des traditions
A Eygalières, Magali Anglada est la personne qui incarne les traditions du village et les fait revivre. Elle les a étudiées, elle les connaît bien et leur consacre toute son énergie et sa créativité. Cette passion, qu’elle vit comme si elle était investie d’une mission, elle en a hérité de sa famille : une famille d’agriculteurs – elle préfère dire « paysans » - , une famille « provencialisante » si je puis dire, où l’on parlait couramment le provençal, que Magali pratique toujours. Son père, producteur de fruits et légumes, était une personnalité du village ; il a été conseiller municipal et fut le premier à acquérir un téléviseur à Eygalières. Charles Galtier, prolifique poète-conteur et ethnologue des Alpilles, était leur voisin ; Magali l’a connu et en reste marquée.
Adulte et devenue factrice du village, Magali s’insère, dans les années 75-80, au sein du mouvement de renaissance du provençal et des traditions. Elle participe à un groupe folklorique et commence à organiser diverses manifestations festives, à caractère religieux ou non : veillée de Noël, pèlerinage du mardi de Pâques, veillées provençales. Au début simple participante à ce mouvement, elle y joue progressivement un rôle de plus en plus important, jusqu’à devenir ce qu’elle est aujourd’hui, un chef de file, un « simbèu » en provençal (ce terme désigne, entre autres significations, l’animal qui conduit le troupeau de taureaux).
Faire revivre les traditions ? Quelles traditions ? Pour quoi faire ? L’époque de référence, c’est celle de Mistral, dont l’œuvre a exercé une forte influence sur toute une partie de la population de la Provence, qui s’est alors éveillée à sa culture propre. C’était une époque où la principale, sinon l’unique activité économique, était l’agriculture, une activité difficile à exercer et souvent peu rémunératrice. La population vivait très modestement mais de manière plus solidaire. Toutes sortes de traditions se perpétuaient, vestimentaires, linguistiques, religieuses, musicales, festives, parfois différentes d’une ville ou d’un village à l’autre. La Grande Guerre y a mis fin, et progressivement le mouvement d’uniformisation et de modernisation s’est imposé.
Magali nourrit certes quelque nostalgie à l’égard de ce passé mais elle n’est pas une adepte du « c’était mieux avant ». Elle sait que la Provence à dominante agricole n’est plus et ne reviendra pas. Mais elle a la conviction que savoir d’où l’on vient est facteur d’équilibre dans un monde marqué par une perte des repères. Elle veut donc contribuer à ce que les Eygaliérois, puisqu’elle est d’abord eygaliéroise, se réapproprient leur passé collectif pour « se ressourcer » comme elle dit. Pour cela, elle va maintenir en vie ou faire revivre manifestations festives et culture folklorique.
En juillet 2002 elle crée l’association « Li Cacharello » - Les casseuses (d’amandes), un groupe d’une trentaine de personnes (dont une dizaine de jeunes) qui réalise des spectacles traditionnels avec chant, musique et danse, et se produit régulièrement à Eygalières, en Provence et parfois bien au-delà, comme dans un village de la côte basque espagnole à l’occasion d’une fête locale.
Mais c’est la Foire de la Sainte-Thérèse qui est le véritable objet de fierté pour Magali. Avant la Grande Guerre, cette foire agricole se tenait chaque troisième dimanche d’octobre. Elle attirait beaucoup de monde, du village et au-delà, venu vendre ou acheter animaux de ferme, bétail, ustensiles de la vie quotidienne, de l’artisanat et de l’agriculture. C’était un événement très important, ancré dans la vie de tous les jours. Pendant longtemps, Magali a rêvé de lui redonner vie, sous une forme différente, évidemment. Or, à la suite de l’élection municipale de 2008, la municipalité a promis d’apporter son concours et Magali va ainsi pouvoir réaliser son rêve. Et depuis 2010, la Foire se déroule chaque année, le premier dimanche d’octobre. Ce n’est plus une foire au sens premier, mais un événement festif avec deux défilés en costume, des attelages, des stands de toutes sortes (les colporteurs, le maréchal-ferrant, le cardeur de laine, l’institutrice, les laveuses, etc ...), des tableaux vivants.
Ces réussites sont d’abord le fruit de la volonté et de la persévérance de Magali. Certes, elle n’est pas seule dans cette démarche. Mais elle a tout de même longtemps prêché dans le désert. Magali se souvient que, lorsque ses deux filles étaient adolescentes, il était bien difficile de trouver des volontaires pour participer à une veillée. Aujourd’hui, c’est tout juste s’ils ne se bousculent pas. La Foire de la Sainte-Thérèse connaît un vrai succès. En 2017, ce sont 135 personnes qui ont défilé costumés. De nombreux visiteurs viennent d’ailleurs, Avignon, Marseille, Nîmes, … D’autres villages essaient d’imiter cette initiative. Visionnaire de longue date, Magali a donc su anticiper un mouvement de fond, ce désir de retrouver ses racines et de nouer des liens affectifs avec elles. Cela s’inscrit certainement dans un contexte plus large, celui d’une perte de repères générée par le monde d’aujourd’hui, qui conduit beaucoup à s’en créer/recréer de nouveaux.
Mais ce succès repose aussi – et peut-être avant tout – sur les compétences professionnelles que Magali a su déployer dans ses entreprises, des compétences acquises de manière empirique. Pour paraphraser le langage du monde du spectacle, Magali Anglada sait être à la fois productrice, scénariste, metteuse en scène et régisseuse. Productrice puisqu’elle a su convaincre la Municipalité d’Eygalières d’apporter son soutien financier à la Foire de la Sainte-Thérèse. Connaissant bien l’époque à laquelle elle fait référence, elle « voit » en imagination sa manifestation dans sa totalité, en imagine elle-même toutes les composantes, elle en écrit le scénario complet. Elle définit les rôles, les affecte à tel ou tel – du village ou d’ailleurs -, pour certains choisit leur costume, et assure la mise en scène du programme dans le village. Régisseuse enfin, car elle sait à qui s’adresser, telle personne, telle association, pour obtenir l’activité, la démonstration qu’elle souhaite.
Enfin, elle n’oublie jamais que tout cela n’a pas pour objectif premier de réaliser un beau spectacle mais de délivrer des messages à un ou des publics. Parmi ces publics, elle identifie en particulier les enfants, porteurs d’avenir. Ainsi, une année à la bibliothèque Charles Galtier, son association a mimé les anciens métiers à l’intention des enfants. Délivrer des messages veut dire communiquer et donc être attentif aux modes de communication : Magali fait preuve de créativité. Ainsi, pour la plupart des événements, un thème spécifique est choisi. Dans le cadre de la Semaine de la poésie à laquelle elle est associée depuis quatre ans, a été organisé un hommage au félibre Ludovic Souvestre devant son mas, puis un autre hommage à Jean Moulin. Par la suite, son groupe « Li Cacharello » a organisé une demi-journée sur le thème de la lessive au lavoir de Saint-Sixte, puis sur le thème du vent Place des Pago-tard, plus récemment le thème du berger a été choisi pour la dernière veillée provençale. A chaque fois, c’est l’occasion de parler du passé, de mimer des activités, de les montrer.
Autre illustration de son inventivité, pour expliquer le cassage des amandes aux visiteurs de la Foire de la Sainte-Thérèse, Magali a rédigé des textes synthétiques à partir des documents réunis par Lucien Perret (voir son portrait dans cette Galerie), le neveu de Charles Galtier, et les a recopiés sur des supports tissés qu’elle a ensuite affichés, qui ont été lus et mêmes photographiés.
Héritière d’une culture eygaliéroise et provençale, Magali Anglada est inspirée par une envie quasi viscérale de redonner vie aux traditions et de les transmettre. Grâce à son énergie, à sa détermination mais aussi à sa manière moderne de communiquer, elle y a déjà largement contribué, enrôlant famille et amis. Elle ne compte pas s’arrêter en chemin et va au contraire poursuivre son oeuvre avec autant de volonté et de savoir-faire que jusqu’à présent.
3 juillet 2018