Eygalieres galerie de portraits

Jean-Paul Dureau

Fidèle à ses engagements

Passionné de course camarguaise, engagé dans la lutte contre le feu, très impliqué dans la vie locale, Jean-Paul Dureau, établi à Mollégès depuis près de cinquante ans, conserve des liens étroits avec Eygalières où ont vécu plusieurs de ses ancêtres et où lui-même a habité quelques années. Aujourd’hui paisible quasi-retraité et « seulement » sixième adjoint au maire de Mollégès, il a su mener de front ses multiples activités et engagements tout en étant chef d’une entreprise de maçonnerie aux côtés de son frère plus âgé. Servi par une bonne dose de courage et de confiance en soi, une forme physique sans défaut, un sens aigu du dévouement aux autres, il a pu compter sur une épouse compréhensive malgré son inquiétude permanente pour le sort de son conjoint.

Descendre dans l’arène après avoir revêtu la « tenue blanche » du raseteur, Jean-Paul y a été entraîné par son frère Edgard. Ce qui au début était un défi, il en a fait une vocation. Rappelons que, dans ce sport qui remonte à la fin du XIXe siècle et fait toujours vibrer les foules, le sang de l’animal ne coule pas. Le raseteur tente de lui attraper les « attributs primés », la cocarde fixée à son frontal, les glands et la ficelle à la base des cornes. Le taureau reste indemne mais l’homme prend des risques sérieux, il faut qu’il en ait le courage. Car la blessure n’est jamais loin. C’est ce qui est arrivé plus d’une fois à Jean-Paul, jusqu’à ce jeudi de l’Ascension, le 28 mai 1981 où, aux arènes de Vergèze, au cœur du monde taurin, le jeune taureau Bramaire, de la manade Saumade, lui perfore l’estomac. La blessure est sérieuse, il faut lui enlever un morceau de foie, mais Jean-Paul s’en sort moyennant une courte convalescence qui ne l’empêche pas de terminer la saison, pour respecter ses engagements. Il a alors 35 ans, c’est précisément l’âge auquel, depuis quelque temps déjà, il avait décidé d’arrêter. La loi de la physique est implacable, à cet âge on court moins vite que dix ans plus tôt, tandis que les taureaux sont toujours aussi jeunes et énergiques. Finalement, c’est comme si Bramaire avait perçu cette décision de Jean-Paul. Il met fin ainsi à la brillante carrière taurine de Jean-Paul, commencée dix-neuf ans plus tôt. Et par la même occasion à ce que Jean-Paul appelle « les plus belles années de ma vie ».

C’est dès 16 ans qu’il se lance dans l’arène face à des « taureaux emboulés », dont les cornes sont rendues moins dangereuses. Très vite, il manifeste des dons dans ce sport. Il est agile, rapide, puissant, il apprend à anticiper les réactions de l’animal. Plus tard, déjà marié et père d’un premier enfant, il construit sa maison mais n’a jamais assez d’argent pour la terminer. Or, comme raseteur professionnel, on peut en gagner. Sans compter qu’il aime relever les défis. Il décide alors de franchir le pas et d’affronter des taureaux à cornes nues. Pour cela, il est parrainé par Daniel Pellegrin, le père de David (voir le portrait de David dans cette Galerie). Jean-Paul a alors 27 ans, il est un peu âgé pour commencer, mais il a acquis de l’expérience et, surtout, il n’a aucune inhibition : il se comporte exactement comme avant, bien que le niveau de risque ne soit plus du tout le même. Il en est bien récompensé puisqu’on l’engage immédiatement. Tout de suite, il cumule les victoires, remporte des trophées, souvent assortis de primes substantielles, ce qui lui permet de terminer sa maison. Entretemps, il est devenu père d’un deuxième enfant. Jean-Paul gagne une réputation qui ne se démentira jamais ; ses aficionados veulent le voir raseter : souvent, ils l’appellent le dimanche matin pour savoir où il va courir. La gloire qu’il a conquise est presque concrète : dans ces arènes de dimension moyenne où il se produit, les spectateurs sont comme à le toucher. Ils acclament son nom, ils crient, ils applaudissent. Jean-Paul travaille la semaine et court tous les dimanches ainsi que tout le mois d’août. Son épouse, Michèle Bonaud, native de Châteaurenard, est là tant pour l’encourager que pour calmer sa propre appréhension pour ce qui pourrait arriver.

A la fin de la saison 1981, Jean-Paul abandonne donc ses aficionados et met de côté cette forme de courage qu’il a manifestée pendant près de vingt ans. Mais il n’avait pas attendu cette date pour faire preuve d’une autre forme de courage, celle qui est nécessaire face à l’incendie, un danger pas moins redoutable que les cornes du taureau, mais plus sournois ; les feux de forêt ne sont pas rares dans les Alpilles, ils sont capricieux. Jean-Paul fait face à ce danger ; lui-même n’a jamais été blessé, mais il a vécu des accidents dramatiques. Ainsi, en 2001, deux de ses collègues se retrouvent pris au piège et ne reviennent pas. Cela aurait pu lui arriver, à lui aussi, il en est conscient : dans la fournaise, il voit son propre enterrement. Cela ne l’a pas empêché de devenir en 1986 le chef du centre d’incendie de Mollégès, qui rassemble au début des années 2000 quarante pompiers volontaires. Diriger une équipe de bénévoles n’est pas toujours simple : il faut tenir compte du caractère de chacun, avoir en tête qu’ils peuvent partir du jour au lendemain, puisque rien ne les oblige à rester. Mais Jean-Paul fait merveille. Lorsque, à 60 ans, il quitte cette responsabilité en 2006, il est remplacé par un pompier professionnel. Il aura été pompier pendant trente-trois ans dont vingt comme chef de centre.

On pourrait penser que ces engagements, un temps cumulés et qui s’ajoutent à son activité professionnelle, pourraient suffire à consommer son énergie. Mais il n’en est rien : à 37 ans, Jean-Paul accepte la sollicitation de Maurice Brès, qui sera maire du village pendant près de quarante ans, et est élu sur sa liste. Aujourd’hui, il accomplit son septième mandat, en position de sixième adjoint après avoir été deuxième puis premier adjoint pendant près de vingt ans. C’est un homme à l’écoute, près de ses concitoyens. Mais promis juré, il ne fera pas un mandat de plus, ce qui ne manque pas d’inquiéter son épouse, qui se demande à quoi, une fois achevé ce dernier mandat municipal, il pourra consacrer son temps et son énergie, en dehors de la chasse, sa passion d’aujourd’hui. Il est vrai qu’elle le connaît bien puisqu’ils se sont mariés alors qu’elle avait 19 ans et Jean-Paul tout juste 21 ans. Son mérite n’est pas mince d’avoir soutenu son mari dans toutes ses aventures malgré l’inquiétude qui la taraudait souvent.

En décrivant toutes ces aventures justement, on en oublierait presque la profession de Jean-Paul. Avec son frère René, il a repris l’entreprise de maçonnerie de son père, qu’ils ont dirigée jusqu’au milieu des années 1990. Chez les Dureau, on a été maçon de père en fils. Ainsi, ses deux autres frères ont créé chacun leur entreprise de maçonnerie, l’un à Mouriès et l’autre à Eygalières. Son grand-père, Désiré, exerçait lui aussi à Eygalières et aurait installé au-dessus des ruines du vieux château la Vierge qui veille sur le sort du village, mais Jean-Paul n’est pas certain de l’authenticité de cette histoire. Des Dureau, artisans plutôt que cultivateurs, sont présents dans plusieurs villages des Alpilles ; on recense à Eygalières des ancêtres de Jean-Paul, depuis longtemps : au XVIIIe siècle et au début du XIXe, trois générations de Dureau ont été maréchaux-ferrants dans le village. Jean-Paul lui-même y a habité jusqu’en 1976 avant de déménager à Mollégès, où son père lui avait offert un terrain pour construire sa maison. Michèle son épouse y a tenu un salon de coiffure avant de ne se consacrer qu’à ses deux enfants – lesquels n’ont pas poursuivi la tradition familiale de la maçonnerie puisque Fabien est devenu ingénieur et Stéphanie professeur. Ils ont donné à Jean-Paul et Michèle trois petits-enfants, dont Valentin Marcellin (voir son portrait dans cette Galerie) qui, aujourd’hui conseiller municipal à Eygalières, semble suivre les traces de son grand-père.

On ne peut qu’être ébahi par le parcours de Jean-Paul Dureau qui a relevé les courageux défis qu’il s’était lui-même lancés et a donné vie à son profond désir de s’engager au service des autres. Plutôt que de la nostalgie, il ressent aujourd’hui une certaine fierté bien légitime lorsqu’il considère les médailles qu’on lui a remises et les trophées qu’il a gagnés. Mais il est surtout animé par le désir de voir se perpétuer cette tradition de la course camarguaise à laquelle il a tant donné.

26 décembre 2023