Eygalieres galerie de portraits

Michel Avy

Un médecin qui écoute

A Eygalières, qui ne connaît le docteur Avy ? Chacun a eu affaire, à un moment ou à un autre, à ce médecin svelte d’allure, souriant, positif, pragmatique, modeste aussi, qui exerce dans le village depuis 33 ans. Au long des années, sa profession a nourri son sens de l’observation et sa capacité de réflexion sur l’évolution de la société. La chose n’est pas si fréquente, il exerce le métier qu’il a toujours voulu faire. Il y a là de quoi vous mettre en bons termes avec l’existence, à supposer que ce n’ait pas été le cas d’emblée : chez lui, tout semble simple, lisse, naturel. D’autant que, par-delà sa profession, Michel a su préserver et enrichir, sinon son jardin secret – car il n’est pas un homme de secrets – du moins ses passions, au premier rang desquelles figure la bande dessinée (BD).

Être médecin généraliste, médecin de village, c’est ce que Michel voulait être « depuis le Cours préparatoire ». Il ne sait pourquoi : dans sa famille établie à Miramas, dont on retrace les origines à Sorgues au XVè siècle, il n’y a pas de médecin. Son père a travaillé toute sa vie au Commissariat à l’énergie atomique. Certes, le frère aîné de Michel, aujourd’hui retraité, a été dentiste, mais le désir de Michel s’est forgé bien plus tôt que chez son frère. Avec son bac technique (E) – son père souhaitait que ses enfants fassent des études techniques – Michel fait un peu figure d’extra-terrestre parmi les étudiants en médecine de l’Hôpital Nord à Marseille. A la différence de beaucoup d’entre eux, il n’a pas pour ambition de passer l’internat. C’est généraliste qu’il veut être. Pourquoi donc ? En fait, ce qui lui plaît, c’est la relation humaine. Il s’intéresse aux gens, il sait écouter, il aime écouter.

C’est par hasard qu’à l’issue de ses études, il arrive à Eygalières, où il trouve la possibilité de faire des remplacements à partir de 1984. Il a 28 ans. Au bout de quelques mois, le docteur Augier, médecin de l’époque, lui propose de s’associer avec lui. Il accepte, mais auparavant il doit aller faire son service national pendant 16 mois. Il part alors pour la Réunion, où il travaille auprès de la Direction des affaires sanitaires et sociales (DDASS), sur l’activité de laquelle il porte un regard assez critique. Vers la fin de son service, il part travailler quelques semaines à Madagascar, dans une région passablement reculée, où il côtoie une réalité sociale dure, marquée par une grande pauvreté, par le manque de soins faute de médicaments : « des enfants mouraient tous les jours », dit-il. Eté 1986 : sans transition, Michel passe en quelques jours de cet environnement difficile au cabinet médical d’Eygalières, où il commence à exercer immédiatement. Il lui faut un peu de temps pour retrouver ses marques : on le consulte pour des affections si bénignes qu’il en est désarmé et peine à trouver la réponse médicale, qui d’ailleurs réside souvent dans l’écoute active.

Voici donc 33 ans que Michel Avy exerce à Eygalières. Au cours de ces années, il est resté en éveil. Très vite, il se forme à l’hypnose, technique qui permet au patient d’accéder à son inconscient. Il suit des formations aux théories et méthodes de la communication interpersonnelle, à la psychothérapie. Dans ces domaines, il est toujours à l’écoute des autres pour s’efforcer d’apporter des éléments de réponse à leur questionnement, explicite ou plus souvent encore, implicite. Dans cette démarche de spécialiste comme dans son activité de médecin généraliste, il rencontre des patients de toutes origines, de toutes appartenances, de tout âge. L’une après l’autre, il voit passer les générations. Personne, sans doute, n’a une connaissance aussi fine que lui de la population du village, de sa diversité et aussi des bouleversements qu’elle a connus. Certes, Eygalières n’a pas le monopole des énormes transformations culturelles, économiques et sociales qui ont marqué le demi-siècle écoulé, mais peut-être celles-ci y sont-elles plus perceptibles qu’ailleurs, en raison de la petite dimension de la communauté que constitue le village et de sa grande diversité socio-culturelle.

Michel a ainsi observé la disparition de la « Provence de Mistral », où certains ne parlaient que le provençal, une région plutôt renfermée sur elle-même. Mais il constate aussi la profondeur et l’intensité de l’attachement aux lieux, caractéristique de ceux qui sont nés à Eygalières ou qui y ont vécu leur enfance.

A un niveau plus général, il note un parallélisme entre les changements géopolitiques majeurs de la fin du siècle précédent et les bouleversements qu’a connu la société. Dans l’exercice de son métier et à l’échelle du village, il a pu en observer les manifestations dans les comportements entre femmes et hommes. Les modèles sociétaux traditionnels ont perdu de leur force voire ont disparu et, dit-il, les nouvelles générations vivent mal cette disparition des références. Tout en ne souhaitant pas revenir au modèle précédent, elles éprouvent de la difficulté à trouver les comportements susceptibles de favoriser un nouvel équilibre.

Lui-même considère que sa vie personnelle constitue comme une anticipation de celle des générations à venir : avec trois enfants « de trois femmes différentes », il représente une illustration vivante de la disparition de ces modèles traditionnels. Mais, selon lui, cela n’a pas posé de problème. Une fois passées les inévitables phases de colère, on oublie les mauvais moments et on passe à autre chose. Il entretient, dit-il, d’excellentes relations avec ses trois ex-épouses qui se retrouvent chez lui pour des fêtes familiales.
Depuis toujours, Michel est aussi un grand voyageur, même si avec le temps les voyages en baroudeur, sac au dos, ont été remplacés par des expéditions moins rustiques, en petit groupe, à l’occasion avec sa mère ou son plus jeune fils. Il s’agit pour lui de « se vider l’esprit », de découvrir des univers aussi différents que possible de son environnement habituel. Après son service national, il est retourné plusieurs fois à Madagascar. Il aime voyager en Asie ; il a apprécié la Birmanie, le Vietnam, le Népal. Michel n’est pas très éloigné de l’âge de la retraite ; il espère alors pouvoir voyager plus souvent, voire rester quelques mois dans un pays pour mieux s’en imprégner.

Sa passion de la BD le fait aussi voyager, plus dans sa tête que sur les routes, encore qu’il pratique festivals et expositions. C’est vers 15 ans qu’il a découvert ce mode d’expression qui l’a tout de suite fasciné. Jeune, il en lit beaucoup, plus tard « énormément » ; il les collectionne. Cette passion le prend complètement. Quelques années après son installation à Eygalières, il crée un service minitel – aujourd’hui, on dirait un site internet, mais à l’époque il n’y avait pas d’internet – dédié à la BD. Il y recense les festivals et les expositions en France, c’est une première. Ce service va fonctionner pendant une quinzaine d’années, jusqu’à ce que l’internet le rende obsolète. Très consulté par le public comme par les professionnels, il permet à Michel de devenir lui-même une sorte de professionnel de la BD, considéré comme tel par les dessinateurs, avec lesquels, nombreux, il noue des relations amicales. Un peu lassé de la lecture des BD elles-mêmes, mais toujours admiratif de la qualité du travail des auteurs, il collectionne des dessins réalisés par ceux-ci, des dessins souvent réalisés à sa demande sur la base d’un « scénario » qu’il invente lui-même. Chez lui, ces dessins sur les murs et des maquettes liées à la BD font vivre dans l’univers de sa passion cet homme qui dit de lui-même qu’il est « un visuel ».

Après trois décennies d’exercice de son métier, Michel Avy reste passionné par la connaissance des autres, on pourrait presque dire de l’espèce humaine car le regard qu’il porte sur elle est à la fois affectueux et distant. Sa passion de la BD lui donne une distance supplémentaire et le rapproche en même temps de ceux qui partagent sa passion. Serait-il un sage ?

23 décembre 2019