Eygalieres galerie de portraits

Muriel Visser

Une citoyenne du monde qui s'enracine à Eygalières

C’est au cœur des Alpilles, au creux d’une combe dans une nature somptueuse, à la limite de la commune, que Muriel Visser et son compagnon Michiel (prononcer « Mi-kh-il ») ont choisi d’habiter, il y maintenant six ans. Si elle se sent de plus en plus enracinée dans notre village, où elle perçoit « quelque chose de magique », Muriel est d’abord une citoyenne du monde : née aux Pays-Bas, elle a vécu 23 ans en Afrique australe, elle a été diplômée en Grande-Bretagne et aux Etats-Unis, elle exerce son métier de consultante à travers le monde. Personnalité énergique, volontaire, indépendante, stimulée par les défis intellectuels, dotée d’une grande curiosité et d’une forte capacité d’adaptation, Muriel est confrontée aujourd’hui aux conséquences de la crise sanitaire qui ont interrompu ses nombreux déplacements internationaux : des voyages lointains, qui sont à la fois sa drogue et un calvaire pour son dos. Cette situation nouvelle la conduit à imaginer un nouvel équilibre entre sa passion pour le terrain et son enracinement progressif à Eygalières.

Impossible de parler de Muriel Visser sans évoquer son enfance, vraiment pas ordinaire, marquée par l’engagement de ses parents. Aînée de trois filles, elle naît à Rotterdam au mitan des années soixante. Ses parents Jan et Lya, militants de gauche, sont des « tiers-mondistes » comme on pouvait l’être dans cette période où les pays africains vivaient leurs premières années d’indépendance, où les « luttes de libération » des territoires encore colonisés mobilisaient certains jeunes, tout comme le refus de l’arme nucléaire. Ainsi, l’année même de la naissance de Muriel, Jan fait un séjour à Cuba, où il est très tenté de s’installer car il a reçu une proposition d’y exercer son métier de professeur de physique à l’Université de La Havane.

Mais faute de consensus familial sur cette perspective, la famille part s’installer un peu plus tard au Botswana, un ancien protectorat britannique d’Afrique australe, indépendant depuis peu, où Jan va travailler pour l’Unesco. Ils ne sont pas dans la capitale, mais dans un village éloigné et largement démuni, qui exige une bonne dose d’adaptabilité pour toute la famille, notamment pour Lya. C’est là que, de ses trois à ses six ans, commence à se former la matrice africaine de Muriel, qui va se confirmer un peu plus tard : la famille revient aux Pays-Bas pour une courte période, au cours de laquelle naît Yusra Laila, la dernière sœur. Puis elle repart en Afrique, cette fois-ci pour le Mozambique, ancienne colonie portugaise que la « révolution des œillets » a conduite à l’indépendance 18 mois plus tôt. Muriel a alors 9 ans. Elle va y vivre jusqu’à ses 33 ans, presque de manière ininterrompue à l’exception du temps strictement nécessaire pour obtenir une licence de sociologie aux Pays-Bas, où elle n’a aucune envie de s’attarder. C’est au Mozambique qu’elle occupe son premier emploi, pour le compte de l’Unicef, là qu’elle se marie une première fois, là que naissent ses deux filles aînées, Anaïsa et Yasmina, et c’est de là qu’elle passe à distance un mastère d’éducation avec l’Université de Londres.

De ses premières années au Mozambique, Muriel garde le souvenir de l’enthousiasme puissant qui motive ceux qui s’engagent dans la construction d’un pays que le colonisateur a laissé dans un état plutôt attardé : les Mozambicains et les nombreux coopérants étrangers, parmi lesquels ses parents, sont tous animés par une foi profonde dans le sens de leur action. Elle-même, lorsqu’elle commence à travailler à 21 ans, résistant ainsi au souhait de ses parents qu’elle poursuive ses études, intègre une équipe chargée d’organiser la formation des instituteurs. Les personnes à former ont un faible niveau initial, une guerre civile alimentée par les pays voisins commence à s’installer, la capitale du pays est située à 2000 km de la frontière septentrionale, cette mission est donc un véritable défi, dans lequel elle s’épanouit. Plus tard, elle travaille au sein de l’ambassade des Pays-Bas sur différents programmes de coopération. Et en parallèle, elle observe avec stupeur les ravages causés par le sida, notamment dans la population jeune, des décès qui auraient certainement pu être évités. C’est pour elle l’occasion de s’interroger sur la possibilité de faire évoluer les comportements d’une population dans un domaine aussi sensible. Cette interrogation va déterminer le nouveau sens à donner à sa vie.

En effet, lorsque débute le nouveau millénaire, Muriel entame une deuxième vie. Au cours des années précédentes, l’évolution du Mozambique la préoccupait : instauration d’un capitalisme sans aucune régulation, apparition d’une corruption à tous les niveaux de la société. Il était temps pour Muriel de changer d’horizon. Incertaine sur la suite, elle veut cependant travailler sur la prévention du sida. Pour commencer, elle décide de passer un doctorat sur ce sujet aux Etats-Unis, et choisit un lieu familier à sa famille, l’Université de l’Etat à Floride à Tallahassee, capitale de cet Etat. Jan, son père, avait lui-même passé son doctorat dans cette université, et sa petite sœur Yusra Laila y étudiait à cette période. La parenthèse professionnelle dure un peu plus de trois ans. Son premier mariage ne résiste pas.

En 2003, après avoir rencontré, lors d’une visite de travail au Mozambique, un Français qui sera son deuxième mari et le père de ses deux plus jeunes filles, Annaëlle et Loralie, elle part vivre en France. A 36 ans, elle s’installe à Mollégès, dans une maison du village. Naturellement, il lui faut aussi trouver du travail. Forte de son expérience passée et de ses contacts, elle se reconvertit en consultante et engrange rapidement des contrats, d’abord avec le Ministère néerlandais des affaires étrangères, puis de fil en aiguille avec d’autres institutions, notamment différentes agences des Nations-Unies. Au cours des années, le contenu de son travail va se transformer. A l’origine exclusivement consacré à la prévention du sida, il évolue progressivement vers les problématiques d’évaluation de programmes de coopération. Elle a en effet engrangé une expérience suffisante pour pouvoir jeter un regard éclairé sur les résultats de tel ou tel programme et en tirer les conséquences pour des programmes ultérieurs. De ce fait, son champ d’action s’élargit à toutes sortes de sujets, d’ordre éducatif, culturel, médical, etc .. ainsi qu’à de nouvelles zones géographiques, Asie, Moyen-Orient, Amérique latine. Pendant près de vingt ans, Muriel parcourt le monde à partir de sa base de Mollégès puis d’Eygalières. Mais la crise sanitaire replace tout sous une lumière différente. Voici presque un an que Muriel ne voyage plus.

Son dos lui en est reconnaissant mais il lui a fallu, avec plusieurs collègues, concevoir une nouvelle manière de fonctionner. Elle s’est organisée pour accomplir autant que faire se peut ses missions à distance, en télétravail. Pour l’avenir, si elle n’envisage pas un instant de quitter un métier qui la passionne et qui recèle toujours de nouveaux défis, elle réfléchit à mieux équilibrer action à distance et voyages, non seulement pour tenir compte des enseignements du présent, mais aussi pour réduire « l’empreinte carbone » de son activité, ce à quoi elle est très sensible. Actrice de la mondialisation dans un domaine, le « développement humain », pour lequel les effets de la mondialisation sont ambigus, Muriel se pose en effet des questions. Si le terrain lui manque, elle réalise mieux depuis quelques mois tout ce que lui apporte la stabilité au sein de la nature qui l’entoure. Son installation dans notre village, après un deuxième divorce, était un vrai choix. Y vivre en permanence a changé sa perception des choses. Sa petite sœur Yusra Laila, trop tôt disparue l’été dernier, repose au cimetière d’Eygalières, où Muriel fait de fréquentes visites, ce qui lui vaut de belles rencontres avec des Eygaliérois. Elle se rend compte que ce qui était un plaisir lors de ses « escales » à Eygalières devient un véritable besoin.

Fière de ses quatre filles multilingues (« le monde a besoin de femmes fortes », dit-elle), Muriel Visser respire l’équilibre, la détermination, l’engagement. Devenue sédentaire pour quelque temps, elle s’investit avec Michiel dans leur mas, entourée de son gros chien, de ses quatre chats, de ses poules. Il lui faut maintenant chercher à résoudre son équation personnelle : comment continuer d’être de partout tout en étant d’ici.

17 janvier 2021