Eygalieres galerie de portraits

Gautier Isambert

Un regard humain

Gautier Isambert s’est acquis récemment une bonne notoriété à Eygalières : « La Grand’rue », son film-mémoire sur la rue de la République, a été projeté le 25 septembre 2021 dans la Salle des fêtes du village, qui était pleine à cette occasion. En 82 minutes, grâce à de nombreux témoignages et à des images de l’époque, ce film redonne vie à la rue principale du village telle qu’elle était dans les années 60, au grand plaisir des habitants, surtout les plus âgés, qui ont longuement applaudi la projection. Mais Gautier, réalisateur de documentaires, est loin d’être un inconnu dans notre village, où il a habité cinq ans dans les années 90 et où, chaque année de 2008 à 2017, il a filmé le Festival de Musique d’Eygalières. Après un début de vie professionnelle plutôt classique, Gautier a décidé à 28 ans de prendre son destin en mains et de concrétiser un désir ancré en lui de travailler dans le domaine de l’image. Il est modeste, sérieux, entreprenant et imaginatif : à petit bruit, avec patience et détermination, en une quinzaine d’années il a créé son style, caractérisé par la recherche du témoignage sans commentaire et par une approche sociale et humaniste, qui le conduit à « mettre en avant » des personnes auxquelles on n’a pas l’habitude de prêter attention.

Comment en est-il arrivé là ? Il y a tout d’abord une attirance pour l’image, à laquelle ses parents ont contribué, eux qui emmenaient régulièrement au cinéma leurs quatre enfants ; Gautier, le benjamin, en revenait souvent fasciné. En outre, son père avait l’habitude de filmer chacune de leurs vacances en « super-8 » et de projeter devant la famille le film une fois monté. Mais ce qui compte le plus, semble-t-il, c’est le regard de Gautier : il voit autour de lui dans la vie quotidienne ce que d’autres ne voient pas, il entend, et il veut témoigner de cette vie et de la richesse qu’elle recèle. Cette appétence profonde est restée quelque temps en jachère : après ses études, une école de commerce à Avignon « pour faire plaisir à ma mère », dit-il, il est embauché à Saint-Rémy-de-Provence par une PME spécialisée dans les piscines, où il est chargé de marketing et de communication. Mais après sept ans de cette expérience professionnelle, il a le sentiment d’avoir fait le tour du sujet et surtout, au fond de lui-même, il aspire à donner sa chance à son désir d’image. Alors, il se lance et franchit le pas en repartant de zéro.

Ce n’est plus un jeune étudiant ; sa démarche est méthodique et professionnelle. Il s’inscrit à l’Ecole supérieure de réalisations audiovisuelles à Paris, dont il obtient le diplôme. Au-delà des connaissances théoriques qu’il a ainsi acquises, il veut aussi découvrir comment on fait vraiment un film ; il passe donc par la « régie », cette activité au service de la production et des comédiens. Là, on est homme à tout faire, de la confection des cafés à chauffeur pour les acteurs. A côté de la scène, sur le tournage mais pas dedans, il se convainc d’avoir trouvé sa voie mais il est en même temps un peu frustré. Il enchaîne alors sur la fonction d’assistant du metteur en scène. Il travaille sur de beaux films, avec de grands professionnels, il apprend beaucoup. Il est aux côtés de Bruno Dumont lorsque celui-ci tourne « Camille Claudel » à Saint-Rémy-de-Provence. Plusieurs scènes ont lieu à Saint-Paul-de-Mausole, où se trouve la « Maison d’accueil spécialisée (MAS) Les Iris » qui accueille des personnes handicapées. Certaines d’entre elles y jouent un rôle, ainsi que des membres du personnel de l’institution. Gautier est chargé de gérer ces personnes et de s’en occuper entre les prises de vue. Il y a alors comme un déclic dans sa tête, comme une révélation : il perçoit la complexité et l’intensité de la relation qui s’établit entre personnel et résidents. Dès lors, il n’aura de cesse d’en témoigner, ce qui, une dizaine d’années plus tard, donnera « Si proche, si loin », un beau documentaire sur cette relation, tourné dans le même lieu. En effet, Gautier n’est pas attiré par la fiction mais par le film documentaire : il a le désir de montrer ce que perçoit son regard, d’une manière aussi objective que possible, sans mise en scène inutile : un regard plein d’empathie. C’est cela qui va devenir sa marque de fabrique.

Son premier film, il le réalise en 2008, à 32 ans. Quoi de plus banal qu’un salon de coiffure dans une petite ville de Provence ? « Chez Régine », à Saint-Rémy, où sa mère va se faire coiffer mais d’où elle revient toujours heureuse et rayonnante, est beaucoup plus que cela, un lieu de sociabilité où l’on échange, quelque chose entre le cabinet du psy et le bureau de l’assistance sociale, avec la gaieté en plus. Son film montre simplement cette réalité quotidienne, un morceau de la vie de gens « ordinaires ». Produit par « les Films du Soleil » à Marseille, où Gautier travaille à l’époque, il connaît un certain succès puisqu’il est acheté et diffusé plusieurs fois par la chaîne « Planète ». Il y en aura d’autres.

Ainsi, il filme sur quatre saisons la vie de Lolo Mauron, étonnant personnage déjà bien âgé qui habite au Mas de la Pyramide à Saint-Rémy, propose des repas à sa ferme et, à ce moment-là, se prépare à faire le voyage du Transsibérien, le premier voyage international de sa vie … Dans « Soins et vie », Gautier filme le personnel de l’Ehpad public de Saint-Rémy. Plusieurs autres films suivront, comme « Un marché en Provence » ou encore « Médecins internistes », tous les deux diffusés sur France 3 PACA. Aujourd’hui, un projet lui tient fort à cœur : pendant toute la durée du premier confinement, il a filmé chaque jour celles et ceux qui ont permis à tous les autres de tenir le coup : caissières, éboueurs, bénévoles, personnes des services sociaux et municipaux.

Gautier fait aussi des films sur commande, des documentaires institutionnels, pour des entreprises, des associations, des collectivités locales. Il a également entrepris de réaliser des films-mémoire, dont « La Grand’rue » est le dernier aboutissement. Il s’agit de faire parler les gens de ce qu’ils ont vécu, raconter leur histoire : bien entendu, cela leur plaît infiniment, mais cela permet aussi de conserver vivante cette mémoire qui s’évanouit petit à petit, et de constituer ainsi un précieux patrimoine pour les générations à venir. Ainsi fait-il un film sur la Libération de Saint-Rémy, le 24 août 1944. Quant à « La Grand’rue », le film résulte de discussions régulières avec Aline Pélissier, aujourd’hui maire du village, qu’il a connue lorsqu’il filmait le Festival de musique d’Eygalières et qu’Aline était adjointe au maire en charge de la culture, entre autres. Ce film est en effet une sorte d’aboutissement pour Gautier, qu’un lien particulier unit au village.

Né à Troyes, Gautier a suivi les affectations professionnelles de son père, alors banquier : La Ciotat après Troyes, puis Saint-Rémy-de-Provence et Eygalières, avant de retourner à Saint-Rémy. Il arrive dans notre village à 18 ans, alors qu’il est étudiant à Avignon. Il y habitera cinq ans. Plus tard, c’est tout naturellement que Gautier devient le cinéaste du Festival de musique d’Eygalières, créé par Claudine Leclercq (voir son portrait dans cette Galerie) et dont son père, Jean-Marie, est le trésorier. Chaque été, pendant dix ans, il filme tout, des répétitions aux représentations, et en offre un court documentaire. Lorsque le Festival s’interrompt, en 2017, il en fait un très beau résumé. Expérience inoubliable, ces jours de tournage sont pour Gautier des moments de pur bonheur, ébloui qu’il est de côtoyer ces véritables stars internationales de la musique de chambre, de les voir vivre, répéter, jouer, toujours de tout près.

Aujourd’hui dans la force de l’âge, aux côtés de sa compagne Laurie, Gautier Isambert s’occupe beaucoup de leurs jeunes fils Gaspard et Max. Dans la force de son art, il s’est fait une place incontestable dans le monde du documentaire, avec son style personnel et son regard humaniste. En faisant revivre à leurs yeux une époque qui n’est plus, il s’est fait une place privilégiée dans le cœur de nombreux Eygaliérois.

6 décembre 2021