Eygalieres galerie de portraits

Huguette Chasseloup

Trente ans créatrice de costumes à la télévision

Il y a quelques semaines, Huguette Chasseloup organisait à la Maison des Consuls, dans le Vieux village, une exposition intitulée « L’âge d’or du costume à la télévision ». En admirant croquis, photos, maquettes de costumes, les nombreux visiteurs ont pu découvrir le métier de créatrice de costumes, ce métier qui fut celui d’Huguette pendant près de quarante ans, essentiellement à la télévision française. Ils ont ainsi pu aussi mieux connaître le travail de cette artiste qui, avec son mari Martial Thury, a pris pied à Eygalières il y a trente ans, y habite de manière permanente depuis vingt ans et a créé les « Salonnières de la Brune », un cycle de conférences et de rencontres autour de différentes visions des arts.

La vie d’Huguette est indissociablement liée à un moment historique, celui où la télévision pointe son nez, encore timidement, et commence son long parcours auprès de téléspectateurs toujours plus nombreux. A cette époque, la fin des années 50 et le début de la décennie suivante, la RTF, sur une unique chaîne, ne diffuse, en noir et blanc, qu’à certaines heures ; c’est seulement en 1967 que sera créée la deuxième chaîne et qu’arrivera la couleur – tout du moins pour ceux qui ont les moyens de s’offrir un « poste » en couleurs. Lorsqu’en 1961, encore toute jeune, Huguette est embauchée comme assistante au service « costumes », tout est à faire dans cette activité au développement duquel elle va contribuer et qu’elle va accompagner. Sans le savoir, sans y avoir été prédestinée, elle dispose de nombreux atouts qui vont lui permettre de mener sa carrière avec succès. Ainsi, elle s’est inscrite à 15 ans à l’Ecole Duperré, qui dispense aux jeunes filles des formations dans le domaine de la mode et de la création textile, et où elle acquiert de précieuses connaissances en histoire du vêtement. Elle avait perdu sa mère alors qu’elle avait 12 ans et son père, électricien pilotant de gros chantiers, lui avait fait confiance et accepté qu’elle donne libre cours à sa fibre artistique. Dans la foulée, elle a été admise à l’Ecole nationale des Beaux-Arts de Paris, tout en suivant des cours de sculpture et a acquis ainsi d’autres connaissances complémentaires. Si bien que, hésitant à donner suite au concours de professeur de dessin dans l’Education nationale, qu’elle a réussi mais qui l’enverrait loin de Paris, elle aboutit par une succession de hasards dans le bureau du directeur de la décoration de la RTF, qui lui-même a fait les Beaux-Arts. Entre eux, le courant passe. Elle est embauchée.

C’est sa chance ; elle va la saisir. C’est là aussi que se forge son destin personnel, puisqu’à la télévision, elle fait la connaissance du directeur de la photo, Martial Thury, son futur mari, qu’elle épouse en 1974 ; ils auront un fils, Richard. La suite de son parcours professionnel, ce sont ses qualités personnelles qui vont le façonner. Un sens artistique auquel ses études ont donné une base technique et qu’elle a mis en œuvre en s’adonnant à la peinture – qu’elle pratiquera toute sa vie. Une forte capacité de travail et une grande minutie. Une bonne aptitude à comprendre les attentes des metteurs en scène et à nouer avec eux des relations de complicité. Et en définitive l’enthousiasme qu’elle met dans son travail.

Mais au fait, de quoi s’agit-il ? La création de costumes n’a pas été inventée au milieu du XXe siècle : il existe depuis longtemps au théâtre, depuis moins longtemps au cinéma. Mais les dirigeants de cette télévision naissante souhaitent apporter aux téléspectateurs plus que de l’actualité ou la retransmission de compétitions sportives. Ainsi, les émissions se multiplient et la télévision commence à produire des films, dans les studios des Buttes-Chaumont. Qui dit films dit acteurs et qui dit acteurs dit costumes. Or, il n’y a aucun stock dans ces studios ; il faut donc créer et produire ces costumes. C’est le rôle du service « costumes », qui occupera deux douzaines de personnes en 1965-1966. D’abord assistante puis promue « créatrice » quatre ans plus tard, Huguette apprend peu à peu son métier. Par exemple, distinguer les différentes pièces d’habillement : un habit, une jaquette, … Travailler « en valeur » : transposées en noir et blanc, ou plutôt en « nuances de gris » comme le proposent les ordinateurs d’aujourd’hui, les couleurs prennent une tonalité spécifique qu’il faut connaître pour anticiper ce que le téléspectateur verra effectivement sur son écran. D’ailleurs, même après l’apparition de la couleur, ces connaissances resteront longtemps utiles car le nombre de récepteurs en noir et blanc détenus par les particuliers ne va se réduire que très progressivement. Concrètement, sous la direction de producteurs ou de metteurs en scène, majoritairement issus du monde du cinéma, le service conçoit puis fait produire les costumes des acteurs comme ceux des figurants. En fonction du scénario, de l’époque ou des époques où se déroule l’action, des connaissances en matière d’histoire du costume, en fonction également des souhaits du metteur en scène qui explique oralement comment il voit le personnage, on imagine le costume, on en fait une maquette que l’on soumet au metteur en scène ; on se rend au marché Saint-Pierre, le marché aux tissus, pour « échantillonner », puis on fait réaliser le costume par une couturière spécialisée. Il faut aussi trouver divers accessoires : chaussures, perruques, cannes, etc… Pour les figurants, on recourt plutôt aux loueurs de vêtements. Tout cela est livré dans des panières. C’est alors qu’intervient le tournage, qui n’est pas non plus une affaire simple. A l’époque, on tourne en direct sur scène, avec d’énormes caméras peu mobiles. Lorsqu’un acteur doit changer de costume, il faut faire vite et discrètement. Les habilleuses sont là pour y veiller, mais aucune erreur n’est permise.

Le temps passant, des affinités se créent avec certains metteurs en scène, qui choisissent de préférence telle ou telle créatrice. Les feuilletons se font plus nombreux ; Huguette travaille sur beaucoup d’entre eux, qui nécessitent souvent un nombre important de costumes. Ainsi se souvient-elle avec émotion du « Comte de Monte-Cristo », dans lequel Jacques Weber, qui incarne le rôle-titre, porte à tour de rôle trente costumes, que Huguette est allée faire faire à Londres. Heureusement, elle dispose de budgets suffisants pour un travail de qualité. Ce sont des années intenses : « on travaillait tout le temps », dit-elle. Mais ce sont aussi des années de bonheur tant elle prend plaisir à cette activité de création, à l’ambiance des tournages. Toutefois, les choses évoluent, qui rendent son métier moins intéressant. En 1964, la RTF devient ORTF, laquelle est scindée en sept sociétés différentes en 1974. La Société Française de Production (SFP), dans laquelle se retrouve Huguette, va être progressivement mise en concurrence avec le secteur privé. Les moyens se réduisent, l’ambiance change : Huguette quitte la télévision en 1990, presque trente ans après y être arrivée. Avec un autre statut, grâce à la notoriété qu’elle a acquise, elle poursuit cependant son métier au théâtre et au cinéma. Elle tourne son dernier film, « La Banquise », mis en scène par Pierre Larry, en 1999.

Huguette avait anticipé cette rupture et mobilisé par avance sa fibre artistique. Outre la peinture, qu’elle pratiquait depuis toujours, elle avait également pris des cours de restauration de tableaux en 1984. Et puis Eygalières est entré dans sa vie. Avec son mari, ils en sont tombés amoureux au point de s’y installer en 1991, d’abord rue Pareneuve puis dix ans plus tard chemin du Bagna, dans une maison qu’ils ont fait construire et qui est alors devenue leur résidence principale. Huguette se livre plus intensément à la restauration de tableaux, échangeant à l’occasion avec Antoine Vergain, étonnant personnage et remarquable ébéniste, disparu il y a peu. Et elle lance en 2013 « les Salonnières de la Brune », un cycle de conférences et de rencontres qui se tiennent d’abord au Mas de la Brune, puis au Mas des Bœufs tout près.

Fière à juste titre de sa longue carrière de créatrice de costumes, autant une passion qu’un métier, Huguette Chasseloup a réalisé avec son exposition un souhait : celui de faire connaître ce métier artistique aujourd’hui disparu. Dans la poursuite de ce désir de transmission mémorielle, elle a remis aux Archives une partie importante des pièces qui y étaient exposées.

31 mai 2022