Eygalieres galerie de portraits

Claude Arnaud

L'homme aux deux rues

A Eygalières, rares sont ceux dont une rue porte le patronyme. C’est le cas de Claude Arnaud, et même doublement puisqu’à la « Traverse Maison Arnaud » s’ajoute dans le village la « Traverse Montfort », d’après le nom de famille de sa mère. Claude, homme discret et peu expansif, est issu de familles installées « depuis toujours » à Eygalières. Fils unique de parents dotés chacun d’une forte personnalité, il est devenu une figure du village lorsque, dans les années 60 et 70, il a tenu le garage Renault en plein centre, ses parents s’occupant quant à eux de la distribution d’essence. De cette activité, il demeure une vénérable pompe à essence, encastrée dans le mur rue de la République et conservée par la municipalité. Il demeure aussi la « maison Arnaud », rachetée par la commune pour accueillir aujourd’hui la crèche, deux cabinets médicaux et des logements sociaux.

L’origine de la famille Arnaud se situe à Barcelonnette, dans les Alpes de Haute-Provence. Les Arnaud, bergers, pratiquent la transhumance. Si de nombreux habitants de Barcelonnette ont émigré au Mexique, ce n’est pas le cas de cette famille, dont une branche s’établit à Eygalières, sans doute dès le XVIIIe siècle. Les bergers deviennent agriculteurs, un processus somme toute classique. Emile, le père de Claude, débute sa vie comme agriculteur lui aussi. Mais, mobilisé à la seconde guerre mondiale, il est fait prisonnier. Envoyé dans l’Est de l’Allemagne, on le charge de s’occuper d’une ferme. Si le travail est dur, il ne peut pas vraiment se plaindre de ses conditions de vie. Cependant, c’est l’armée soviétique qui le « libère » et va le garder six mois, un séjour dont il reviendra dans un état de grande faiblesse. Claude affirme : « on aurait dit un squelette vivant ». En 1945, alors que de nombreux prisonniers étaient déjà revenus, sa famille n’avait aucune nouvelle de lui et le croyait mort lorsque la gare d’Avignon a téléphoné à la mairie pour dire que « M. Arnaud souhait[ait] qu’on vienne le chercher ». Claude avait alors cinq ans.

Du côté maternel, les choses sont différentes. Les Montfort ont du bien à Eygalières. Le grand-père est boulanger et exerce sa profession dans ce qui a longtemps été l’une des deux boulangeries du village, à côté de l’actuel Bar du Centre. C’est lui, ou peut-être son père, qui offre à la commune un terrain pour relier la rue de la République à ce qui est aujourd’hui l’avenue Charles de Gaulle, terrain devenu la « traverse Montfort ». Les parents de Claude, Emile et Claire, habitent à l’étage de la boulangerie, c’est d’ailleurs là qu’il est né. Mais la profession de boulanger s’éteint dans la famille lorsque le grand-père prend sa retraite.

Revenu en mauvais état d’un camp soviétique, Emile Arnaud tente de reprendre son métier d’agriculteur. Mais, bien qu’encore jeune, il n’en a pas la force. A l’époque, une tante de sa femme vient de décéder ; elle était propriétaire d’une grande maison de ville avec deux étages, une cour et un bâtiment transversal au fond de cette cour – ce qui est devenu la « Maison Arnaud ». Emile, initié à la mécanique pendant sa captivité, reprend l’ensemble pour l’habiter, y vendre de l’essence – c’est l’unique pompe à Eygalières - et ouvrir un garage de réparation de matériels agricoles, plutôt que de voitures, encore peu nombreuses alors.

Claude grandit, il passe à 17 ans un CAP d’ajusteur et s’en va travailler à Marignane, dans l’usine d’hélicoptères qui s’appelle alors la SNCASE (Société nationale de constructions aéronautiques du Sud-Est) – aujourd’hui Airbus Helicopters. Ensuite, c’est l’appel au service militaire, effectué en France puis en Allemagne ainsi que, pendant 22 mois, en Algérie. Mais les accords d’Evian ont déjà été signés, il est affecté dans un « secteur calme », qui plus est au Service du matériel, un service chargé d’entretenir jeeps, camions et autres. Les choses se passent bien pour lui, il acquiert des connaissances en mécanique qui vont lui servir par la suite. Lorsqu’il rentre chez lui, il est réembauché à Marignane. Mais son père lui fait observer qu’il serait plus utile avec lui au garage : en 1962, au milieu des « Trente Glorieuses », le parc automobile se développe. L’entreprise familiale a matière à se développer elle aussi. C’est décidé : Claude s’occupera du garage, ses parents de la distribution d’essence et de fioul. Pendant une dizaine d’années, il développe son activité à mesure que le parc automobile s’agrandit autour de lui. Il représente la marque Renault, prend part à des stages de formation à chaque fois que sort un nouveau modèle. Ce métier lui plaît, il s’y épanouit. Il lui plaît aussi de rendre service en répondant efficacement aux attentes des clients. Et ce, même si la tutelle de son père, un être généreux mais quelque peu tyrannique, lui pèse parfois. Dans cette activité, il n’y a pas de vacances ; il faut même parfois répondre aux appels qui surviennent à des moments où l’on préfèrerait privilégier sa vie privée, ainsi tel réveillon du Nouvel An, dont il est privé lorsqu’il doit aller réparer une grosse cylindrée au Mas de la Brune. Cependant, un contrôle fiscal relève une erreur comptable involontaire mais qui a duré des années. L’amende à payer les décourage ; le garage et la distribution d’essence sont fermés. Et Claude redevient salarié ; il a 34 ans. C’est l’époque où se développent les activités industrielles autour de l’étang de Berre. Il est embauché chez Usinor à Fos, à l’atelier de mécanique des hauts-fourneaux. Il il va y rester seize ans, prenant chaque jour le car de ramassage qui transporte à Fos la main d’œuvre des environs. De cette époque, Claude ne garde pas un mauvais souvenir : certes, il n’a plus la gratification de la satisfaction des clients, mais quand le travail s’arrête, il s’arrête vraiment, et on sait au début de chaque mois combien on va toucher – au bout du compte, c’est plus que lorsqu’il était garagiste. Sollicité par Félix Pélissier, le maire de l’époque, il est élu conseiller municipal en 1977 et fera deux mandats comme adjoint au maire. C’est aussi l’époque où la Maison Arnaud abrite, pendant une quinzaine d’années, l’atelier Bobin, un atelier de restauration de tapisseries installé dans une pièce de l’ancien garage, et où jusqu’à 22 personnes ont travaillé.

Quelques années après le décès de son père, victime d’un AVC à 62 ans, sa mère décide de vendre un autre bien de la famille Montfort, un beau mas situé derrière la chapelle Saint-Sixte. La vente se fait à bon prix et Claude réalise qu’il n’a plus besoin de travailler. Il a 50 ans, c’est la belle vie, qui lui permet aussi d’être présent auprès de sa mère vieillissante. Il prend goût à la découverte du monde, qu’il avait déjà entamée plus jeune en parcourant en voiture l’Espagne et l’Italie : safaris au Kenya, voyages au Brésil, séjours à l’Ile Maurice et dans les Antilles. Ce goût va persister chez lui puisqu’il y a sept ans, il voyage pendant trois semaines dans l’Ouest des Etats-Unis, fasciné par les parcs naturels. Par la suite, des ennuis de santé lui interdisent de renouer avec les voyages. Et puis, il pratique la chasse, peut-être sa vraie passion, d’abord à Eygalières pour le lapin. Il est secrétaire de la Société communale de chasse et contribue à réformer cette société alors un peu ankylosée – ce qui le conduit d’ailleurs à publier dans « Le Provençal » une réponse au vitriol au billet d’un détracteur anonyme inséré dans un journal distribué à la sortie des messes. Plus tard, Claude chasse le lièvre dans les Hautes-Alpes. « Je me suis régalé », dit-il, non pas de tuer une demi-douzaine d’animaux chaque saison, mais de barouder dans les Alpes, manière aussi de rester en bonne forme physique, et d’admirer le travail de ses chiens. Mais à 70 ans, n’ayant plus l’énergie nécessaire, il arrête de chasser.

Sa mère étant décédée, Claude se décide à vendre la « Maison Arnaud », bien trop grande pour lui. C’est à la commune qu’il décide de la vendre, heureux que ce lieu reste dans le patrimoine commun de son village, ce village qu’il a cependant quitté il y a une dizaine d’années pour s’installer au Paradou, dans un appartement des « Sénioriales ». Cette solution, qui associe la liberté de vivre chez soi et la disponibilité de services pour des gens vieillissant, lui convient parfaitement.

Malgré son éloignement physique sur l’autre versant des Alpilles, toujours réservé et presque timide mais animé d’un esprit positif, Claude Arnaud demeure une figure du village.

22 décembre 2022

Claude Arnaud est décédé le 8 mars 2023