Eygalieres galerie de portraits

Jean Peter Schwaab

Rebelle ordonné

A la fin du mois de juillet, Jean Peter Schwaab, artiste peintre, exposera ses œuvres à la Maison des Consuls, dans le vieil Eygalières. Après des décennies d’une vie agitée, Peter (prononcer « Piteur ») s’est posé il y a vingt-trois ans à Eygalières avec son épouse Carmen Diez Guttierez. Autodidacte, fugueur dès l’adolescence, homme de passions affectives et à l’occasion d’addictions, il est aussi un homme d’ordre et de rigueur, comme l’illustrent l’impeccable agencement de son atelier et surtout l’implacable volonté avec laquelle, tout au long de sa vie, il s’est tenu à peindre, peindre, toujours peindre, quels que soient le lieu et les circonstances. A la fois spontané, obéissant à l’impulsion du moment, et réfléchi, pensant son activité artistique et la préservant des conséquences de son impulsivité.

Ne tentons pas d’expliquer cette dualité, voyons-là à l’œuvre. Peter commence tôt à se rebeller. Il naît dans une famille « normale » mais ses parents s’entendent mal. Il passe sa petite enfance à Nice avant de déménager près de Paris, transition qu’il vit avec difficulté. L’école l’ennuie, l’atmosphère de la maison l’insupporte. Alors, dès 14 ans, il fait des fugues, pratique l’école buissonnière, va chez des copains dont les parents veulent bien l’accueillir pour quelques jours, avant que les siens ne le ramènent à la maison. Ceux-ci finissent cependant par accepter cet état de fait, si bien que, à 16 ans, Peter quitte définitivement sa famille pour s’installer à l’hôtel, sans doute pas un trois étoiles … Il travaille  pour subvenir progressivement à ses besoins : vendeur de meubles, tenancier du vestiaire pour dames dans un centre sportif … Le désir de rupture va de pair avec le sérieux, mais le pousse aussi à s’engager dans des voies sans issue : voilà qu’à 19 ans il épouse Dominique, une infirmière rencontrée par hasard dans une surprise-party. Ce coup de tête – il y en aura d’autres par la suite – n’est pas un coup de maître : chacun a une vision différente de sa vie ; ils divorcent au bout d’un an.

Il a 20 ans, il est libre et va alors choisir ce qui sera son métier, de manière raisonnée. Depuis tout jeune, il a commencé à dessiner, spontanément, bien qu’aucun antécédent familial ne l’ait poussé dans ce sens. Il improvise, constate que des choses clochent dans ses dessins, rectifie, recherche dans des livres, prend conscience de ce que sont les proportions, s’améliore. Il apprend tout seul, recopie des bandes dessinées, dessine tout le temps, jusqu’en cours de français, plus ou moins clandestinement, ce qui lui vaut cette remarque mi-agacée, mi-amicale de son professeur : « Monsieur Schwaab, je ne vous comprendrai jamais. Comment pouvez-vous dessiner aussi bien et écrire aussi mal ? » Cependant le dessin, plus tard la peinture, ne sont pas ses seuls pôles d’intérêt artistique. Il écrit aussi des textes libres de poésie, il suit une formation de batteur. Lorsqu’au bout du compte, il décide de faire le choix qui orientera toute la suite, c’est un raisonnement économique qui prévaut : même si c’est difficile, on peut vivre de sa peinture, difficilement de la musique et pas du tout de la poésie. Ce choix initial, Peter va l’assumer tout au long de sa vie, peignant en toutes circonstances. Il va l’assumer de manière professionnelle et réfléchie. A chaque fois, Il adaptera son activité picturale au lieu où il séjourne, choisissant en voyage de petits formats, à la gouache ou à l’aquarelle. Au cours de sa carrière d’artiste, il va essayer beaucoup de styles différents. Une fois même, alors qu’il a un peu plus de 20 ans, découvrant une œuvre de Picasso en arrière-plan d’une publicité, il prend conscience qu’il essaye en fait de faire du Picasso. Comme Picasso « occupe la place », il se remet en question et change complètement de style. « J’ai eu tout le mal possible à trouver ma voie », dit Peter.

Il a la bougeotte, il a grande envie de voyager. Il rêve de l’Inde mais, dans un premier temps, c’est en Grèce qu’il se rend régulièrement, presque chaque été. Là, il peint et on lui achète sa peinture. Mais il sait aussi saisir des occasions. Ainsi, sur une des îles, il rencontre des personnes qui fabriquent et vendent des bijoux fantaisie. L’une d’elles oublie sur place une boîte de matériel. Peter la récupère ; comme il est fort habile de ses mains, il se rend compte qu’il pourrait lui aussi fabriquer des bijoux. Il investit dans un peu plus de matériel et, l’été suivant, vend ses bijoux en Grèce, avec succès mais cela ne durera pas plus d’une saison car rien ne doit le détourner de la peinture. C’est justement cette année-là que, arrivé à Thessalonique sur le chemin du retour en France, il s’y plonge dans « La liberté ou la mort », best-seller de l’écrivain grec Nikos Kazantzakis consacré à la Crète. Plein d’enthousiasme, il décide illico de faire demi-tour et d’aller découvrir cette grande île.

Il y fait la connaissance d’une jeune étudiante parisienne, Evelyne, avec qui il va vivre trois ans, formant ce que Peter appelle un « couple libre ». Il s’installe chez elle, dans le 13e arrondissement de Paris et c’est avec elle que, pour la première fois, il part découvrir l’Inde, dont il rêvait, alors qu’il a à peine plus de 20 ans. Un long voyage de près d’un an. Ce qu’il découvre lui plaît et lui déplaît à la fois : « l’Inde, c’est dur », dit-il. Mais la fascination demeure, inentamée par une extension de leur voyage au Népal (Katmandu, le nirvana des soixante-huitards, dont il n’est pas) et à Singapour.

Puis une nouvelle étape se profile. De retour en Europe, Peter donne rendez-vous à Evelyne à Icaria, une île de la mer Egée. Evelyne ne reçoit pas le courrier et ne sera pas au rendez-vous. En revanche, sur cette île Peter fait la connaissance d’une Japonaise plus âgée que lui, Aiko, C’est un coup de foudre réciproque et ce sera une longue relation, de plus de quinze ans, une relation passionnée et orageuse. Aiko habite dans le Jura suisse. Peter l’y rejoint. Comme toujours, il peint mais, fort accueillants, les habitants lui confient aussi d’autres travaux qui restent proches de sa vocation : des peintures sur miroir, la confection de décors de théâtre, … Avec Aiko, Peter part de nouveau en Inde, qu’ils vont parcourir en tous sens pendant huit mois, de Delhi au Bengale puis au Kerala, au Sud-Ouest, en passant par Madras, Pondichéry et Cochin. Pour lui, c’est à nouveau une expérience exaltante, et épuisante en même temps, d’autant que ce voyage est ponctué de tensions et de ruptures au sein du couple.

En 1997, alors que Peter approche de la quarantaine il fait la connaissance en Suisse, de Carmen Diez, qui va devenir sa compagne au long cours, puis son épouse, et toujours son « garde-fou ». Mais avant de se poser quelque part pour de bon, il fait une nouvelle expérience, qui lui laissera un souvenir cuisant. Avec un ami argentin, il ouvre un bar à Puerto Banus, près de Marbella, dans le Sud de l’Espagne. C’est un endroit pour gens très riches. L’échec est patent : selon lui, pour réussir, il aurait fallu proposer à la clientèle des prestations illégales, ce que les deux associés n’étaient pas prêts à faire. Aussi, au bout d’un an, ils arrêtent l’expérience.

Déçus et sans plus beaucoup de sous, Peter et Carmen décident alors de s’établir en Provence ; ils arrivent à Eygalières un peu par hasard : ils ont fait la connaissance des Mc Donald, un couple américain qui a acquis une propriété au Mas des Maunier. Pendant dix ans, c’est là qu’ils vont vivre. Peter s’occupe d’eux, de leur propriété, supervise les travaux qu’ils y entreprennent. Et toujours, il peint. Puis, il y a maintenant treize ans, Peter et Carmen s’installent au cœur du village, impasse Bouchet. Au dernier étage de cette petite maison, Peter installe son atelier, un petit bijou de lieu de travail, entretenu avec une méticulosité quasi-helvétique. Cette vie apaisée ne l’empêche pas complètement de retomber à l’occasion dans une des addictions dont il s’est plusieurs fois échappé : « au cours de ma vie, j’ai arrêté cinq fois l’héroïne, trois fois l’alcool », dit-il. Heureusement pour lui, sa volonté lui donne le sursaut nécessaire pour arrêter, et Carmen veille sur lui. Grâce à cela, Peter en est maintenant sorti.

A 65 ans, Jean Peter Schwaab a aujourd’hui trouvé sa voie picturale, qui suscite intérêt et attention auprès de clients fidèles. Sa vie organisée à Eygalières, avec son épouse Camen, lui apporte une sérénité qui lui a fait défaut au cours des différentes étapes de sa vie. Que demander de plus ?

18 juillet 2023