Eygalieres galerie de portraits

Jean-Philippe Montagard

Le bonheur est dans le champ (d'oliviers)

Dès que le marché du vendredi prend son allure des beaux jours, Jean-Philippe Montagard y a sa place, sur un emplacement stratégique, pour présenter et vendre « La Fabresse », l’huile d’olive qu’il produit depuis près de vingt ans. Descendant d’agriculteurs et fier de l’être, cet « oliveron » se définit d’abord comme un « Alpillin », aux pieds bien ancrés dans son terroir qu’il prend plaisir à parcourir en VTT. Cet attachement aux lieux et son sens de l’intérêt général l’ont conduit à assumer, depuis quatre ans, la présidence du Syndicat interprofessionnel de l’olivier de la Vallée des Baux fondé il y a maintenant trente ans.

Avenant, pédagogue, travailleur acharné, amoureux des Alpilles et passionné par son métier, Jean-Philippe est issu d’une famille établie depuis longtemps dans la région. Léon, son grand-père, agriculteur, est né à Mollégès ; ayant épousé une Cabannaise, il s’est établi dans ce village. C’est à Cabannes qu’est né son fils Jean-Claude, le père de Jean-Philippe, avant que la famille ne s’installe à Plan d’Orgon. Jean-Claude y a été embauché par l’expéditeur de fruits et légumes Tonfoni (voir le portrait de Fabio et Gabrielle Tonfoni dans cette Galerie). Et c’est tout naturellement que Jean-Philippe, né à Cavaillon, a « glissé » de Plan d’Orgon à Eygalières lorsqu’il a décidé de devenir oliveron. Dans la famille Montagard, n’oublions pas Roger, le frère cadet de Léon, coiffeur puis apiculteur à Eygalières, père de Patrick (voir son portrait dans cette Galerie).

Malgré son ascendance d’agriculteurs, il n’était pas dit à l’avance que Jean-Philippe lui aussi cultiverait la nature. Tout jeune, c’est un fan de rugby, auquel il s’adonne dès le collège à Cavaillon et qu’il pratique avec passion pendant presque vingt ans, jusqu’à ce qu’une douloureuse hernie discale l’oblige à arrêter. Ses études l’amènent un Brevet d’électro-mécanicien, passé à Salon-de-Provence. Puis c’est l’année du service militaire que, grâce à son engagement dans le rugby, il accomplit tout près, à Tarascon. A son retour, il lui faut à peine quelques jours pour trouver un emploi, suite à une petite annonce dans « La Provence ». Il est embauché chez Ducros, grande société familiale spécialisée dans la collecte et la distribution d’épices de toute nature. Sa responsabilité est d’entretenir et de réparer les machines d’emballage, d’abord à Carpentras puis à Monteux. Il a 23 ans, c’est la belle vie, la jeunesse, un emploi, des copains. Peu après, il rencontre Chantal Cioffi, originaire d’Orgon, qui enseigne alors à Salon-de-Provence dans un centre de formation de bergers. Chantal va partager sa vie.

Certes, Jean-Philippe a un emploi stable, des horaires de travail calibrés et des vacances. Mais au bout d’une dizaine d’années, il ne tient plus en place ; il a l’impression de tourner en rond, il voudrait du grand air, il brûle d’être son propre patron. En un mot, son sang d’agriculteur reprend le dessus. Et Jean-Philippe prend donc le taureau par les cornes ; il « retourne à l’école », comme il dit. En l’occurrence, il s’inscrit à Saint-Rémy-de-Provence à une formation de six mois qui le conduit au Certificat de spécialisation oléicole. Il y apprend tout sur les oliviers, sur leur taille, sur les modes de récolte et sur le métier de moulinier ; il fait plusieurs stages chez des professionnels. Puis il entre dans le concret. Au début des années 2000, il s’installe à Eygalières avec Chantal. Ici et à Aureille, au cœur du massif des Alpilles, il achète des parcelles d’oliviers, en prend d’autres en location, une vingtaine d’hectares au total. Jean-Philippe, la trentaine à peine entamée, devient oliveron, celui qui prend en charge tout le cycle de l’olive, de sa production à la commercialisation de l’huile.

Il s’est formé, bien sûr, mais c’est sur le tas qu’il va vraiment apprendre son métier, ou plutôt ses métiers. En effet, il pratique trois métiers différents : produire, façonner, vendre. La plus grande difficulté est la maîtrise de la production. C’est affaire de taille, dont Jean-Philippe précise qu’elle « donne le la » de la récolte, un sujet plus technique qu’il n’y paraît, mais aussi et surtout des conditions atmosphériques, sans oublier la « mouche de l’olive », ce dangereux prédateur. Quoi qu’on fasse, la production peut beaucoup varier d’une année sur l’autre. Jean-Philippe s’occupe seul de la taille, qui dure tout le printemps. A l’automne, il fait appel à des saisonniers pour la récolte. Tout le reste de l’année, ils ne sont que deux, Chantal et lui. Les olives récoltées et triturées, ils assemblent les huiles produites en trois cuvées. Une fois celles-ci élaborées, il faut les vendre. Pour cela, Jean-Philippe a créé sa marque, « La Fabresse », commercialisée pour la première fois en janvier 2006, il y a donc 18 ans. En provençal, la fabresse est la femme du fabre, le forgeron. C’est le nom d’une parcelle dont Jean-Philippe était propriétaire sur la commune d’Aureille. Une parcelle dont le nom est resté mais qu’il a vendue depuis lors, se délestant il y a quelques années de ses oliviers à Aureille, finalement trop éloignés. Il conserve aujourd’hui une douzaine d’hectares, tous sur la commune d’Eygalières.

Puis les trois cuvées, la noire, la bio et la verte, doivent trouver leurs acheteurs. C’est Chantal qui est plus particulièrement en charge de la commercialisation. Depuis l’origine, le couple dispose d’un magasin de vente aux Baux-de-Provence, une opportunité dans ce haut-lieu du tourisme. En parallèle, il a ouvert un magasin à Eygalières, rue de la République, resté actif une dizaine d’années. Mais à une période où la récolte avait été particulièrement réduite, il n’y avait plus assez d’huile pour approvisionner les deux magasins. Le magasin d’Eygalières est alors devenu un restaurant, une situation inévitablement temporaire car, comme le dit Jean-Philippe, restaurateur « ce n’était pas notre métier ». Un an plus tard, le restaurant a donc été revendu. Depuis lors, la Fabresse est vendue aux Baux, mais également dans de nombreux commerce de la région, sans oublier le marché du vendredi matin à Eygalières.

On pourrait penser Jean-Philippe suffisamment occupé par son exploitation personnelle. Mais il a aussi un sens inné de l’intérêt général. C’est pourquoi, il y a quatre ans, il a pris la présidence du Syndicat de l’AOP de l’olive des Baux-de-Provence, succédant en cela à Jean-Pierre Lombrage (voir son portrait dans cette Galerie). Cette AOP est la plus petite en surface mais la plus importante en France pour le volume de production ; elle représente près de 10 % du total. Son syndicat regroupe des acteurs qui ont des intérêts communs et divergents en même temps : oléiculteurs, oliverons, confiseurs et mouliniers, près d’un millier au total. Cas unique en France, l’AOP des Baux se charge de délivrer un agrément, condition nécessaire pour pouvoir vendre sous l’appellation. Pour ce faire, tous les lots (entre 170 et 200) sont dégustés par un comité – il y a au total une trentaine de dégustateurs - qui juge de la « typicité » de l’huile. Selon Jean-Philippe, celle-ci est bien respectée dans l’ensemble : tout au plus une demi-douzaine de lots est recalée chaque année. Bien qu’il soit entouré d’un bureau et d’un tout petit nombre de salariés, le président assume une responsabilité exigeante, qui demande de la diplomatie.

Jean-Philippe Montagard trouve son bonheur dans l’équilibre entre son entreprise et ses responsabilités syndicales d’un côté, un petit peu de temps libre de l’autre. Ce peu de temps libre, il le consacre à faire du VTT dans les Alpilles ou à regarder des matches de rugby dans un stade ou à la télévision. Mais à 55 ans, dans la force de l’âge, il ne regrette pas un instant d’avoir changé de vie il y a vingt ans. Il l’exprime ainsi : « pour moi, c’est tous les jours dimanche ».

8 avril 2024