Eygalieres galerie de portraits

Stéphane Guiran

L'alliance subtile des contraires

Entré dans le monde artistique par la petite porte, Stéphane Guiran est un artiste reconnu, dont les œuvres sont aujourd’hui exposées de l’Australie à la Suisse en passant par la Chine. Au-delà d’une production riche et diverse, il est aussi un véritable entrepreneur, un homme qui conçoit ses œuvres et les réalise lui-même, de la plus petite à la plus grande. Avec son léger sourire, son œil plein de curiosité, sa casquette sur la tête, Stéphane Guiran reste discret et de prime abord n’en impose pas. Et pourtant, on pourrait lui appliquer de nombreux superlatifs. Comment est-il arrivé là ? Sa vocation artistique, tardive, s’est imposée à lui avec la force de l’évidence. Elle s’est concrétisée en associant une curiosité intellectuelle sans limites, une inventivité exceptionnelle, énormément de travail, mais aussi des accidents de parcours qui, loin de le décourager, l’ont stimulé.

Dans ce qu’il appelle son jardin secret, Stéphane a toujours aimé peindre, dessiner, écrire. Mais les contraintes de la vie réelle l’ont conduit à « taire sa part d’imagination » pendant plusieurs années. Né à Draguignan, où il passe son enfance, il doit rapidement travailler pour financer ses études, à Nice puis à Paris, où il intègre l’Essec. Encore étudiant, il crée avec deux amis « Himalaya », une société de graphisme qui évolue rapidement vers le monde de l’internet, alors à peine naissant - on est à la fin des années 90. La société marche bien. Stéphane en devient le directeur artistique et y apprend beaucoup de choses qui lui seront utiles par la suite, en premier lieu ce qu’il appelle la « plastique des lignes ». Ce n’est pas de l’art car les clients, avec leurs chartes graphiques et leurs contraintes, brident la liberté créatrice, mais c’est tout de même de la création. Stéphane y reste une dizaine d’années. Cependant, autour de la trentaine, il ressent le besoin d’autre chose. Besoin de retrouver l’environnement de sa jeunesse, la lumière, les sensations du Sud. Besoin d’air, surtout.

Alors, avec sa famille, il parcourt la Provence. A ce moment de sa vie, il n’a pas d’idée préconçue de ce que va être sa nouvelle activité. Mais une première évidence s’impose à lui : en 1998, le hasard lui fait découvrir Eygalières ; il perçoit immédiatement que là est son lieu. Il achète un terrain, fait construire et s’installe en 2001. Progressivement, mais là encore avec la force de l’évidence, s’impose le désir d’être artiste. Mais quel domaine artistique investir ? Stéphane s’essaie à tout, écriture, peinture, sculpture. C’est un séjour d’un an à Barcelone, en 2004-2005, qui va le conduire à choisir la sculpture, et la sculpture monumentale. A Barcelone, influence de Gaudi oblige, les sculptures sont omniprésentes. Stéphane y acquiert les bases techniques qui vont lui être nécessaires pour travailler le métal : fonderie, serrurerie, chaudronnerie. Il assimile les notions d’échelle : dans un parc, la dimension de référence est celle des arbres ; dans un lieu public, c’est celle des immeubles. De retour en Provence, dans son atelier de Saint-Rémy-de-Provence, il produit des œuvres de grande taille, de très grande taille. Des œuvres marquées par la ligne, le graphisme, voire la calligraphie : il ne le découvrira que plus tard, mais plusieurs de ses sculptures évoquent des idéogrammes chinois. Evénement majeur, il suscite une rencontre avec Jean-Louis Servan-Schreiber qui commande d’emblée une sculpture à ce jeune artiste alors inconnu, pour l’installer dans le parc qu’il a baptisé « Samsara », un terme sanskrit qui désigne le cycle des renaissances.

Les œuvres de Stéphane sont exposées, de manière permanente ou éphémère, dans des parcs, dans des lieux marqués par l’histoire, dans des espaces publics, comme l’immense « A » posé Porte d’Ostende, à Bruxelles. Cependant, il lui faudra une dizaine d’années pour enfin vivre de son art et s’installer avec bonheur dans la maison qui fut celle du peintre Francis Montanier et de sa fille Francesca Guerrier. Notoriété et succès sont là, tout de même, mais un jour de 2012, coup de tonnerre inattendu, la galeriste Alice Pauli, qui vient de lui consacrer sa première exposition personnelle, lui annonce qu’elle n’exposera plus ce genre de sculptures, trop proches à ses yeux du travail d’autres sculpteurs. C’est comme si elle tirait le tapis sous les pieds de Stéphane. Mais il entend immédiatement le message et réagit. Après une période de gestation, il va montrer sa grande capacité à rebondir et son inventivité. Sans complètement tourner le dos à son passé créateur, Stéphane Guiran renaît sous une autre forme. Une forme moins marquée par des matériaux « masculins », moins caractérisée par la ligne, plus empreinte de délicatesse et plus complexe dans son expression. Il travaille le cristal, invente de nouvelles matières, les marie à d’autres formes d’expression jusqu’alors laissées en marge, la photo, le dessin, l’écriture, voire la musique grâce à l’apport de son fils Lilian et aujourd'hui de sa compagne Virginie Fiorello. Il ne renonce pas pour autant au monumental, mais il en fait une nouvelle lecture. Ainsi, dans le cadre de l’installation « Le nid des murmures » à Chaumont-sur-Loire en 2017, il place côte à côte des milliers de délicates fleurs de quartz et crée un véritable champ féérique. Une œuvre totale, pourrait-on dire, où toutes sortes de sensations, visuelles, tactiles, sonores, sont mises en mouvement afin que le spectateur ne soit plus seulement quelqu’un qui regarde, mais qui « ressente » l’œuvre. Sa renaissance, c’est aussi l’édition de très beaux recueils associant ses propres textes poétiques et les photos que lui-même a faites de ses œuvres.

Depuis qu’il a commencé à créer, l’oeuvre de l’artiste se nourrit de son monde intérieur, un monde très riche : ouverture, curiosité intellectuelle, sensibilité, esthétique marquent sa personnalité. Intérêt pour la philosophie, pour les religions et les cultures du monde, éclectisme allant jusqu’aux tarots, c’est tout cela qui est en jeu. Son site internet (www.guiran.com) en donne un bel aperçu.

On ne peut qu’être ébahi par la multiplicité des facettes et des compétences de Stéphane. Pleinement artiste, il est aussi le concepteur qui imagine la manière dont il va réaliser une série de créations, l’entrepreneur qui met en oeuvre, l’ingénieur qui calcule les caractéristiques physiques de ses œuvres, l’ouvrier qui les réalise matériellement, et enfin l’éditeur qui produit ses beaux recueils. Il allie avec subtilité des qualités a priori contradictoires, la rationalité des calculs et l’impermanence – pour reprendre un de ses mots récurrents – de la création. L’amour des mots et le scalpel de la découpe. Le souci du détail et la vision en grand. Le travail du métal et celui du cristal.

Artiste aux multiples talents, Stéphane Guiran est aussi un être généreux qui met son inventivité au service de son village. Il est reconnaissant à Eygalières et à ses habitants de lui avoir permis d’avancer dans son parcours et, par diverses initiatives, cherche à leur rendre un peu de ce qu’il a reçu. C’est ainsi qu’il a l’idée des « Rendez-vous Calan d’Art », qu’il mettra sur pied avec ses amis Louis Winsberg et Francis Guerrier (voir leurs portraits dans cette Galerie) et qui a connu sa dixième édition en 2018. Et c’est ainsi que, pour prolonger jusqu’à fin octobre la saison touristique à Eygalières, il invente un concept original : un événement multiforme alliant dans un même projet les artistes plasticiens, musiciens, écrivains, poètes, et les commerçants d’Eygalières. Chaque week-end d’octobre, au cours du festival d’art qu’il intitule « Sous les feuilles d’automne », le public est invité à découvrir une installation dans l’église Saint-Laurent, parcourir une exposition d’œuvres de petit format, participer à des colloques, écouter des concerts dans les cafés et restaurants du village. Pour la première édition en 2016, il crée « Les Voix Lactées », très belle installation rassemblant autour du cristal une série d’improvisations imaginées et filmées par lui. Il est aussi l’un des moteurs de l’aventure collective qui aboutit à la création du Café de la place. Et si, faute de temps, Stéphane est aujourd’hui un peu en retrait, il reste présent et attentif, heureux de voir ses initiatives se poursuivre et progresser.

Arrivé à la cinquantaine, Stéphane Guiran sait aujourd’hui ce qu’il veut suggérer aux autres, transmettre de son ressenti, et comment le faire, bien que son art ait certainement vocation à évoluer encore. Cet artiste accompli, dont les œuvres rayonnent par-delà nos frontières, est aussi un homme attaché à son village, auquel il a beaucoup donné et qui peut lui en être reconnaissant.

9 octobre 2018