Eygalieres galerie de portraits

Claude Ricard

Le bonheur de dire oui

Mon premier est une haute silhouette élancée qu’on voit souvent dans les rues d’Eygalières. Mon second est une référence en matière de culture, de langue et d’histoire provençales. Mon troisième est une personne à qui on fait appel en toutes circonstances. Et mon tout ? C’est Claude Ricard.

Claude, toute sa vie adulte professeur d’histoire-géo, les pieds enracinés dans son terroir après une enfance itinérante, profondément attaché à ses racines culturelles, participant à toutes sortes d’aventures collectives et toujours prêt à répondre positivement aux sollicitations qu’on lui adresse.

L’attention bienveillante portée aux autres

Avant tout, ce qui me semble le caractériser, c’est l’attention bienveillante portée aux autres. Une qualité, il est vrai, nécessaire dans son métier d’enseignant. Devenant professeur, il répondait certes à l’attente de sa mère, qui rêvait d’être institutrice et qui voulait que son fils « monte » dans la société. Mais, plus encore, il pouvait ainsi satisfaire une appétence profonde qui l’attirait vers les autres. Vers 17-18 ans, il anime des colonies de vacances et « découvre » ainsi les enfants. A contrario, Claude raconte son étonnement en constatant que nombre de ses collègues jeunes enseignants avaient « découvert » les enfants avec leur première classe. Par-delà l’enseignement, il est fortement convaincu que la relation avec autrui joue un rôle essentiel dans la construction de l’identité de chacun. Avec son épouse Monique, professeur de biologie, il a eu l’opportunité de rencontrer François Jacob, prix Nobel de médecine, qui a habité à Eygalières. Une rencontre mémorable. Le professeur Jacob leur a offert l’un de ses ouvrages, « La Statue intérieure », qui évoque son enfance et explique comment on se construit avec les autres, au contact des autres. C’est un livre qui a a fait grande impression sur Claude.

Les autres, c’est aussi la différence. Une différence qu’il a perçue très vite à cause de sa jeunesse itinérante, la famille suivant les affectations du père, mécanicien-avion dans l’armée française. Son frère aîné naît à Montpellier, lui dans le Wurtemberg, en Allemagne, sa jeune sœur au Sénégal. Trois ans à Dakar (Claude était tout petit, il n’a pas d’autre souvenir que celui du « boy » de son père, qui l’adorait). Huit ans à Salon-de-Provence, où Claude a fait tout son cycle primaire. Puis deux ans au Maroc, à Meknès, séjour qui l’a beaucoup marqué : c’est le début des années 60, le Maroc est indépendant mais les Français – les "Pieds-noirs" – sont très présents.  Contrairement à ceux-ci, qui sortaient peu de leurs quartiers, la mère de Claude emmène ses enfants partout, et Claude découvre alors un monde très différent, et en même temps familier par les arômes des herbes, de l’huile d’olive, qu’il retrouve. Les autres sont différents mais lui aussi est perçu comme différent : partout où il arrive, son accent lui attire le surnom de « Marseillais ». Il n’en a cure et s’intègre partout sans difficulté.

Ce goût pour le contact avec les autres, on le retrouve tout au long de la vie de Claude qui, lorsqu’il parle de ce qu’il a fait, dit plus souvent « nous » que « je ». C’est avec les autres qu’il aime entreprendre, agir. Autour de lui, on sait qu’il répond le plus souvent "oui" et, comme ses compétences sont appréciées, il est souvent sollicité. Les autres nourrissent ainsi son goût.

L’attachement à ses racines culturelles

Le deuxième axe fort dans la vie de Claude Ricard, ce sont ses racines, son terroir, sa culture, dont il a une perception large et ouverte, ce qui le met parfois en porte-à-faux par rapport à certains. Racines eygaliéroises, provençales, méridionales : ce n’est pas un tenant du campanilisme à l’italienne. Comme on l’a vu, son enfance a été très itinérante. Mais sa grand-mère maternelle, dont le mari était mort à 51 ans, vivait au Mas de Chabaud, dans le hameau que lui habite maintenant ; ses grand-parents paternels étaient à la Gare de Mollégès, où son grand-père avait été chef de voie. A travers les années, Eygalières est resté son port d’attache, le lieu des vacances pendant sa jeunesse et « son » club de football alors qu’il était étudiant à Aix-en-Provence. Il y a habité dès qu’il l’a pu. En un sens, la chance l’y a aidé. En effet, les enseignants en début de carrière sont le plus souvent affectés dans le Nord de la France. Mais au début de ses études, Claude a réussi un concours universitaire qui l’assimilait à un instituteur, ce qui lui a permis d’être rémunéré pendant la plus grande partie de ses études supérieures puis d’être nommé dans son département. C’est ainsi qu’il a enseigné huit ans à Port-Saint-Louis-du-Rhône, puis à Pernes-les-Fontaines et enfin à Saint-Rémy-de-Provence, où il a enseigné 27 ans. Cela lui a laissé la possibilité de rester près d’Eygalières, et d’y habiter définitivement dès l’âge de 28 ans.

Ses racines, ce sont aussi la langue provençale, que Claude parle depuis l’enfance. A une époque, cela a fait de lui une sorte d’icône pour les tenants de la re(con)naissance de cette langue. Curieusement, il lui a fallu se battre pour la conserver. Ses grand-parents le parlaient couramment, sa mère aussi. Mais il n’était pas question de parler provençal à la maison, ça n’était pas beau. Dans cette famille soucieuse de progression sur l’échelle sociale, la pratique du provençal était considérée comme un obstacle. Il fallait gommer les différences pour avancer : « On ne vous paye pas l’école pour que vous parliez comme des paysans ». Alors, le provençal, il le pratique, il l’enseigne en s’efforçant de le replacer dans un contexte plus large, celui de l’occitan. A Eygalières, il est la référence que l’on consulte quand on veut baptiser un édifice public, quand on cherche une devise.

Toujours prêt à s’engager

Son ouverture aux autres, son attachement aux racines, Claude Ricard les met en action toute sa vie. Militant sans être encarté, utopiste raisonnable, attaché à sa liberté, Claude participe dans les années 70 au mouvement de renaissance du provençal et des traditions. Il s’agit d’élargir la pratique de la langue, d’obtenir sa reconnaissance officielle, de relancer les fêtes traditionnelles dans l’idée de faire revivre le temps d’avant dans le monde contemporain : Saint-Jean, Carnaval, ... C’est un mouvement utopiste, contemporain de l’occupation du Larzac. Mais, si plusieurs actions d’animation vont rencontrer un certain succès, ce que Claude appelle avec ironie « la révolution du galoubet-tambourin » n’aboutira pas : les gens ne veulent pas retourner en arrière. Toutefois, Claude prend beaucoup de plaisir à apprendre et à pratiquer la musique populaire, le violon, l’accordéon, à mélanger les instruments traditionnels et d’autres importés, comme les batteries brésiliennes. Au-delà de cette impasse, le petit groupe de trentenaires constitué à cette occasion va rester soudé en faisant revivre le Foyer rural puis en présentant aux élections municipales de 1981 une liste conduite par Claude, qui sera battue. D’ailleurs Claude, qui ne se sent pas une âme de leader, ne regrette pas cet échec. Puis ils essaient de constituer une sorte de contre-pouvoir à la municipalité dirigée par Félix Pélissier, et redonnent vie aux Amis de l’Instruction Laïque, organisent une exposition annuelle des artistes locaux, ainsi que diverses manifestations dont le bénéfice alimente la caisse de l’école, permettant ainsi à celle-ci de mettre sur pied des activités d’éveil et de découverte.

Retraité de l’Education nationale, Claude Ricard conserve et entretient le lien qui l’unit à l’histoire. Il approfondit sa connaissance de celle du village, rédige pour le Centenaire le « Livre d’or », prévu mais non réalisé par la IIIè République après la Grande Guerre, et destiné à rendre hommage à ses victimes.

Profondément ouvert, Claude Ricard porte sur lui-même un regard distancié et affiche une bonhomie qui pourrait être qualifiée de méridionale par des gens du Nord. Il se dit altruiste par égoïsme : il ne serait toujours prêt à s’engager que parce qu’il y trouve son bonheur. C’est possible. Ce qui est sûr c’est que, sans jamais d’ostentation ni de prétention, il a fait beaucoup pour Eygalières.

6 mai 2018