Eygalieres galerie de portraits

Jean-Pierre Lombrage

L'olivier avant tout

Ecrire le portrait de Jean-Pierre Lombrage, c’est avant tout parler de l’olive. Savez-vous en effet qu’à Eygalières se trouve l’un des plus importants conservatoires de variétés d’oliviers en France ? Cent variétés différentes, plantées en même temps, ce qui permet de comparer leur évolution. Ce conservatoire est le produit du travail et de l’engagement de cet homme souriant, entreprenant, imaginatif, plein d’empathie, installé à Eygalières depuis un peu plus de vingt ans. Et qui préside depuis sa création le Syndicat interprofessionnel de l’olive de la Vallée des Baux. Un château, un fruit, une vocation, telles pourraient être les trois lignes de son destin.

Le château, c’est Estoublon, acheté par son grand-père Gaston en 1932 et qui représente pour lui le berceau familial et quarante ans de vie. Au XVIIIè siècle, le gouverneur d’Arles, marquis d’Estoublon (un petit village situé aujourd’hui dans les Alpes-de-Haute-Provence), en avait fait sa résidence de campagne et avait ainsi rebaptisé ce qui s’appelait jusqu’alors « Le Grand Mas ». En 1932, le château est en bien mauvais état. Dépouillé de tout ce qui pouvait avoir de la valeur, il appartient à un paysan qui y loge ses vaches au premier étage ! C’est l’époque où Gaston, qui exerce en grand la profession de champignonniste et habite à Blois, toujours à la recherche d’espaces souterrains pour y faire pousser ses champignons, en trouve une vingtaine d’hectares à Fontvieille. Il achète en même temps le château à l’abandon, situé quasiment de l’autre côté de la route. En 1938, après l’avoir remis en état, il s’y installe. Quarante ans après son rachat, la propriété de 400 hectares est devenue un grand domaine agricole. Le terrible gel de 1956 a conduit à arracher les 12 à 13 000 oliviers. Ce crève-cœur, dit Jean-Pierre, a tué son grand-père, qui avait déjà été très affecté par la brusque expropriation de ses caves de Fontvieille par la Marine Nationale. Les oliviers arrachés, on en replante 35 hectares, ainsi que 10 hectares en vignes. C’est ainsi que commence l’aventure vinicole d’Estoublon. D’abord vendu en vrac à un négociant d’Avignon, le vin est ensuite vinifié et mis en bouteilles au domaine à partir de 1966. Estoublon devient ainsi le troisième producteur à bénéficier de l’appellation vinicole « Vallée des Baux ». Par ailleurs, de nombreux hectares sont consacrés à la reproduction végétale : au printemps, on fait pousser fleurs et plantes aromatiques, chacune sur trois ou quatre hectares, et on en récolte les graines à la fin de l’été, avant les vendanges. Après ses études au Lycée agricole de Limoux et son service militaire, c’est à Estoublon que Jean-Pierre vit sa vie d’adulte, là qu’il se marie, là que naissent ses deux enfants. Là que, après avoir été champignonniste pendant huit ans aux côtés de son père, il prend en charge la partie vinicole du domaine, où il s’épanouit pleinement. Mais après le décès de leur père Pierre, son frère et lui décident de vendre le château car trop lourd à porter avec ses 43 pièces et ses 1 800 m² de toitures, même s’il faut aussi renoncer aux 400 hectares de terres. La vente est réalisée en 2000, Jean-Pierre a 54 ans.

Le fruit, c’est l’olive, qu’il a découverte à Estoublon et dont il est devenu un expert reconnu. Il contribue à la création en 1994 du Syndicat interprofessionnel de l’olive de la Vallée des Baux, dont il devient alors, et est toujours, le président, ainsi que trois ans plus tard à celle de l’appellation contrôlée « Olive de la Vallée des Baux ». Une appellation qui porte sur trois catégories différentes de produits : l’olive verte cassée, l’olive noire et l’huile d’olive, qui elle-même se subdivise en « fruité vert » et « olive maturée ». Avec 330 km², l’AOC des Baux est la plus petite de France en surface mais c’est la plus grande en volume de production : elle représente 10 % de l’huile d’olive produite en France, soit 500 tonnes par an en moyenne.

Lorsqu’Estoublon est vendu, Jean-Pierre s’installe avec sa femme Catherine à Eygalières, sur le Domaine de Costebonne, que son beau-père, le docteur Dulcy, anatomiste-pathologiste à Avignon, avait acheté en 1964. C’est un ensemble planté en vignes – confiées à un fermier – et en arbres fruitiers. Mais Jean-Pierre, lui, va y planter des oliviers, sous la forme d’un conservatoire qui réunit côte à côte des variétés différentes. En 2008, il plante donc 300 arbres, trois pour chacune de cent variétés. S’il existe un tout petit nombre d’autres conservatoires d’oliviers en France, celui de Jean-Pierre est l’un des plus riches par le nombre de variétés. Outre le plaisir de satisfaire sa curiosité naturelle, ce conservatoire est aussi un outil au service de l’interprofession nationale, qui peut ainsi observer l’évolution et la résistance aux variations climatiques de chaque variété. C’est également un outil pédagogique utile pour les élèves du Lycée agricole de Saint-Rémy-de-Provence, où Jean-Pierre enseigne depuis douze ans. En tant que président du Syndicat interprofessionnel, Jean-Pierre se devait aussi de produire des olives AOC, pour lesquelles seules cinq variétés sont autorisées ; il a donc également planté une parcelle avec ces seules variétés.

La vocation, c’est le rayonnement de l’appellation des Baux. Une vocation qui correspond à sa fibre altruiste, l’un de ses traits de caractère les plus puissants, et au plaisir qu’il éprouve à la mettre en œuvre. Ce n’est pourtant pas avec l’olive qu’il a commencé à travailler pour les autres. On ne le soupçonnerait pas, mais Jean-Pierre s’intéresse à la mécanique, l’électronique, l’électricité. C’est lors de son service militaire dans l’armée de l’air, affecté sur le Mont Agel, au-dessus de Menton, où il était chargé avec d’autres de la surveillance radar du territoire, qu’il a appris l’électricité et l’électronique. Une fois dans la vie active, parallèlement à son activité agricole, il a créé avec un ami un cabinet d’expertise d’assurances, où lui se chargeait des « dommages électriques », une expérience qui s’est prolongée pendant quinze ans. Autre expérience, cette fois-ci bénévole : en 1993, au milieu de la quarantaine, il se sent suffisamment assuré pour prendre une responsabilité collective en devenant président des Vignerons des Baux, fonction qu’il assumera pendant trois ans.

Mais ce qui compte le plus pour lui, c’est son engagement pour l’olivier et l’olive, une aventure où Jean-Pierre s’est vraiment révélé, plus encore que pour le vin. Une très belle aventure, aux enjeux lourds. Le syndicat regroupe des membres qui ont des activités différentes et des intérêts qui peuvent ne pas converger. D’abord les oléiculteurs, majoritaires en nombre et en pouvoir de décision. Puis les oliverons, équivalents des vignerons pour l’olive, les confiseurs qui transforment celles-ci, et les moulins à huile, prestataires au service des autres acteurs. Le syndicat compte aujourd’hui 890 oléiculteurs, qui gèrent 240 000 pieds sur 2 500 hectares. Il a pour missions de représenter, défendre, promouvoir les produits de ses adhérents, mais aussi de leur faire respecter le cahier des charges de l’appellation et de s’en assurer à travers la mise en place d’auto-contrôles. Au sein de son Conseil d’administration de 21 membres, Jean-Pierre est donc le garant du bon fonctionnement de cette organisation tant devant ses adhérents que devant l’Institut national des appellations d’origine (INAO), qui en est le législateur et le gendarme. Il doit aussi veiller aux équilibres entre les différentes catégories de membres. Son sens de la diplomatie et son autorité résultent de sa longue pratique mais surtout de cette fibre altruiste qu’il s’est découvert et qui lui donne beaucoup de plaisir. Il aime s’occuper des autres, et c’est devenu rapidement son activité principale. D’autant qu’il siège aussi au conseil d’administration de l’interprofession au plan national, ainsi qu’au Comité de certification de Veritas, qui assure les contrôles externes du respect du cahier des charges.

A 74 ans, Jean-Pierre Lombrage a décidé de quitter à l’été 2020 ses fonctions de président du syndicat de l’olive des Baux : il est temps selon lui de passer la main à une nouvelle génération. Cela lui permettra de consacrer plus de temps à sa famille, son épouse, ses deux fils et ses trois petits-enfants. Et aussi à quelques passions plus secrètes, comme les courses de Formule 1, pour lesquelles il est un supporter inconditionnel de Ferrari.

3 mars 2020