Jim Sanders
La vie en rythmes
Octobre à Eygalières, c’est le mois du festival annuel des arts « Sous les feuilles d’automne ». Pour le plus grand plaisir des auditeurs et manifestement pour le leur aussi, Jim Sanders et son groupe se produisent à cette occasion en plein centre du village. Sur la scène, la belle voix chaude de Jim donne vie à ces tubes des années 60 et 70 que tout le monde connaît, tandis que sa gestuelle, réservée et discrète, est toute à l’image de cet homme qu’on remarque à peine mais qui, avec une grande agilité, a été capable de changer plusieurs fois de vie. Installé en France à l’approche de la cinquantaine, Jim vit à Eygalières depuis maintenant un peu plus de dix ans.
Dans la famille de Jim, il n’y avait pas de musicien, et pourtant ce goût lui est venu, spontanément ; il s’y est adonné tôt : dès l’école à Minneapolis, où il est né, il chante dans la chorale. A Colorado Springs, où il poursuit des études supérieures, il est à nouveau dans la chorale du « collège ». Pour autant, s’il aime chanter, ce n’est pas une passion, semble-t-il : lorsqu’il entre la vie active, il « fait autre chose », comme il dit. C’est seulement trente ans plus tard, par l’effet du hasard, que le « virus » va le reprendre. En 2003, il est installé à Eyguières depuis quatre ans. Une voisine lui présente trois jeunes gens qui jouent de la guitare. Ils sont sympathiques, ils jouent bien, mais voilà : leur prononciation des chansons en langue anglaise heurte les oreilles de Jim. Celui-ci pense pouvoir contribuer à améliorer les choses, et sans doute est-il titillé par l’idée de reprendre la musique. Il commence donc à jouer avec eux. A cette époque-là, on trouve à Eyguières un excellent cinéma, doté d’une direction imaginative et entreprenante. Le cinéma va projeter une série de films de Martin Scorsese sur l’histoire du blues ; à cette occasion, la direction imagine un ciné-concert et demande au petit groupe de jouer sur scène après chaque film. Jim ne s’est encore jamais produit sur une scène, il a un peu le trac mais l’attitude du public le rassure : dès le premier morceau, c’est l’enthousiasme.
Alors, le groupe commence à donner régulièrement de petits concerts, jouant des chansons qui parlent au cœur et à la mémoire des « baby-boomers ». Un peu plus tard, deux des membres du groupe le quittent par manque de disponibilité et sont remplacés par deux nouveaux musiciens. Depuis lors, le « Sanders’ Band » continue à jouer, autant pour son propre plaisir que pour celui des auditeurs : Jim assure que ses partenaires et lui font cela « pour s’amuser » puisque chacun d’entre eux a une activité professionnelle par ailleurs. A raison d’une douzaine de concerts par an, ils jouent pour des fêtes ou des anniversaires. Et à Eygalières depuis la première édition de « Sous les feuilles d’automne » en 2016, au Café de la Place.
Jim est américain, né dans le Minnesota, un Etat très agricole au Nord des Etats-Unis. Minneapolis, sa ville natale, est marquée par des ses hivers glaciaux et des neiges abondantes. Son père, comptable dans une grande entreprise, est emporté par un cancer à 43 ans. Jim a deux sœurs et un frère ; leur mère, jusqu’alors femme au foyer, va alors travailler chez un décorateur. A vrai dire, la vie n’a pas dû être très facile pour eux tous. Lui affiche rapidement son agilité en allant étudier ailleurs, à Colorado Springs, sur le versant oriental des Montagnes rocheuses, doté d’un climat plus clément que celui du Minnesota. S’il commence sa vie professionnelle comme professeur de maths dans un lycée, il ne tarde pas à se réorienter pour aller diriger une agence de services d’aide à domicile.
A 28 ans, à Montréal, Jim rencontre Dominique Parisot. Depuis lors, ils sont ensemble. Au milieu de la trentaine, Jim décide à nouveau de réorienter sa vie professionnelle. Ni une ni deux, il retourne à l’université pour étudier l’architecture. En 1989, à 37 ans, il obtient sa maîtrise d’architecture. De son côté, Dominique a fondé une société qui organise des séjours de cyclotourisme en Europe à l’intention de ressortissants américains. Or, précisément au moment où Jim obtient son nouveau diplôme, Dominique vend sa société à un habitant de Seattle, qui y déplace le siège. Dominique reste dans l’entreprise – c’est d’ailleurs toujours le cas aujourd’hui – mais Jim et lui déménagent à Seattle. C’est dans cette grande ville sur la côte Ouest des Etats-Unis, connue notamment pour être le siège de Boeing, que Jim va exercer son métier d’architecte pendant neuf ans, au sein d’un petit cabinet spécialisé dans les projets de « mixed use » : des immeubles comportant une activité commerciale en rez-de-chaussée et des logements au-dessus. Pendant toutes ces années, il voyage régulièrement en France pour être guide lors des excursions organisées par la société créée par Dominique. Il est déjà familier de notre langue, qu’il avait apprise au lycée ; il devient plus familier de notre pays lui-même.
Après neuf ans à Seattle, rebelote : un nouveau désir de changer de vie. Après tout, pourquoi pas ? Jim explique : « avec notre choix de vie, sans enfants, il était facile de changer complètement du jour au lendemain, de prendre des risques ». Mais c’est surtout un trait de son caractère, qu’il partage avec Dominique : être capable de se réinventer comme si c’était parfaitement naturel. L’idée arrive un peu comme une boutade : pourquoi ne pas s’installer en France pour y offrir des chambres d’hôtes ? C’est une idée sérieuse, malgré tout, mais ils pensent que cela va leur prendre quelques années avant d’y parvenir. En voyage en France, ils visitent des propriétés dans le Pays basque, en Dordogne, en Bourgogne et aussi en Provence. Et là, au deuxième jour de leur visite dans la région, ils tombent sur un ancien moulin à Eyguières, sur le versant Sud des Alpilles, comportant une grande maison refaite dans les années 70, une scierie, des écuries, le tout largement « dans son jus », comme dit Jim. Il y a là de quoi aménager des chambres d’hôtes et conduire un projet architectural intéressant. Toujours réservé dans sa manière de s’exprimer, Jim ne parle pas de coup de foudre, mais cela y ressemble bien. Sur le champ, ils font une offre ; ils rentrent aux Etats-Unis, vendent tout ce qu’ils ont et s’installent dans les Alpilles en décembre 1998. Jim a alors 46 ans ; en un an ils ont à nouveau réorienté leur vie.
A Eyguières, Jim va pouvoir s’adonner à ce que, au fond, il aime plus que tout : concevoir et mettre en œuvre un projet de transformation architecturale, et c’est encore plus passionnant quand on le fait pour soi-même. Une fois le gros œuvre achevé par les différents entrepreneurs, Jim et Dominique réalisent eux-mêmes les finitions. Il faut un peu plus de deux ans pour pouvoir commencer à louer les cinq chambres d’hôtes. Ils se transforment alors en hôteliers et le resteront six ans. Mais l’obligation d’être sur place en permanence finit par leur peser, tandis que les charges de remboursement des emprunts souscrits pour les travaux ne leur laissent que peu de bénéfices. Et peut-être aussi, les travaux achevés, Jim se languit-il d’un nouveau chantier à sa main…
Alors, en 2007, tous deux se mettent en chasse d’une nouvelle maison ; ils prospectent assez largement. Finalement, ils trouvent le lieu qu’ils habitent aujourd’hui, à côté du terrain de football d’Eygalières. C’est une ruine, en fait, juste des moellons surmontés par un toit, pas grand-chose de plus… Mais voilà à nouveau un beau chantier en perspective pour Jim. C’est un client américain du cyclotourisme, avec lequel ils ont sympathisé, qui rachète leur propriété d’Eyguières. Par chance, il leur permet de continuer à y loger jusqu’à ce que la maison d’Eygalières soit habitable. Installés dans le village fin 2008, ils se réinventent à nouveau. Diplômé en architecture aux Etats-Unis, Jim n’est pas homologué pour exercer cette profession en France. Il travaille donc sur des projets de taille modeste, dans un bureau partagé au centre du village.
Vingt ans après son installation en France, Jim Sanders s’y sent parfaitement à l’aise même s’il retourne régulièrement aux Etats-Unis. Aux côtés de Dominique, il est heureux de vivre à Eygalières, dans la maison qu’il a entièrement refaite, où le rejoignent parfois les membres de sa fratrie, restés aux Etats-Unis. Et heureux aussi de faire partager la musique qu’il aime jouer, pour notre bonheur à nous.
25 janvier 2020