Eygalieres galerie de portraits

Astrid Fontès

Cultiver sa part de lumière

Cultiver sa part de lumière quand, pendant 54 ans, on a été l’épouse d’un homme entreprenant, brillant et charismatique, c’est ce à quoi Astrid Fontès s’est employée avec constance tout en accomplissant pleinement sa vie de femme, mère et grand-mère. Elégante, discrète, attentionnée, elle a bien sûr tenu son rôle de représentation aux côtés de son époux dans les nombreuses occasions où René Fontès recevait, inaugurait, présidait. Mais, rayonnant dans sa sphère privée, familiale et amicale, elle s’est consacrée à des activités fondées sur une dynamique d’équipe : les tournois de bridge où s’affirme le sens de la compétition en même temps qu’un lien avec son partenaire, la chorale et surtout le théâtre, pratiques exigeantes qui demandent beaucoup de travail sur soi-même et une forte interaction avec autrui. Réinstallée à Eygalières depuis dix-huit ans, elle est aujourd’hui reconnue comme l’un des acteurs de la troupe d’amateurs du « Théâtre des Calans », au sein de laquelle elle trouve une forme d’accomplissement personnel. 

Astrid Joffre est arrivée dans notre village à l’âge de deux ans, elle y a été élève de l’école communale pendant tout le primaire et est ainsi une « Eygaliéroise d’adoption » même si pendant trente-sept ans elle a habité Clermont-Ferrand, devenue sa « ville de cœur », aux côtés de son mari, cadre dirigeant du Groupe Michelin. Jusqu’à son mariage, la vie d’Astrid, née à la fin de la guerre, avait été assez mouvementée. Fille unique d’un père transporteur fils de gendarme et d’une mère issue d’une famille d’agriculteurs, elle naît à Nîmes ; elle est transportée encore bébé à Eygalières, d’où elle part en pension à Sommières à neuf ans et demi, après avoir été l’élève de Suzanne Pezet à l’école communale. Lorsqu’elle a 14 ans, ses parents déménagent à Arles et c’est là qu’elle poursuit sa scolarité en pension. Elle obtient son CAP à 19 ans, va travailler quelques mois à l’Industrielle du riz. De cette période de sa vie, on peut retenir deux choses. La première, c’est le sens de la discipline peut-être dû à ses gènes mais surtout acquis en pension, même si Astrid dit avoir beaucoup aimé la possibilité qui lui a alors été offerte de vivre avec des copines dans une sorte de communauté. La seconde, c’est une amitié éternelle nouée à Eygalières avec Marie-José Isnard, qui aura la bonne idée d’épouser Raymond Divol, camarade de lycée et de football de René Fontès à Tarascon. C’est grâce à Marie-José qu’ils décideront de s’installer à Eygalières à la retraite.

Après ces années de jeunesse, Astrid a vécu deux bouleversements majeurs dans sa vie : lorsque René Fontès y est arrivé et lorsqu’il en est parti brutalement le 17 mars 2019, à la suite d’une crise cardiaque aussi soudaine que violente. Mais si ce second bouleversement relève de la tragédie, le premier, quelques cinquante-cinq ans plus tôt, s’apparente à un de ces jolis contes qui se murmurent à l’oreille des petites filles. Il se trouve que le grand-père d’Astrid et le père de René, tous deux gendarmes, ont lié une amitié professionnelle et que les deux jeunes gens se croisent. Astrid n’a pas vingt ans, elle travaille à Arles. René, de trois ans et demi son aîné, jeune ingénieur diplômé de l’INSA de Lyon, vient d’être embauché par Michelin pour un emploi « temporaire ». La première rencontre, fortuite, est suivie d’une autre qui l’est moins. Mais les familles sont proches ; Astrid apprend que, d’une certaine manière, il y avait déjà eu très longtemps auparavant une sorte de rencontre virtuelle entre René et elle : un jour à Tarascon où les deux gendarmes étaient affectés, la mère d’Astrid, enceinte de celle-ci, avait fait jouer le petit René sur ses genoux. Il y a là comme un signe du destin… Et c’est ainsi qu’en ce beau jour de mars 1965, elle s’embarque avec lui pour une aventure de 54 ans, dont 37 à Clermont-Ferrand et 17 à Eygalières. Une aventure aux côtés d’un cadre - bientôt dirigeant - du Groupe Michelin pendant 38 ans, président pendant 9 ans de l’ASM, l’emblématique club de rugby de Clermont-Ferrand, et maire d’Eygalières pendant 11 ans après deux mandats de conseiller municipal.

En suivant René à Clermont-Ferrand, cette « ville du Nord », Astrid n’imaginait pas qu’elle allait y passer 37 ans. René non plus qui, même après quelques années d’une carrière prometteuse chez Michelin, ne voulait toujours pas y faire construire une maison. Astrid, elle, y tenait beaucoup, et finira par l’obtenir à force de patience car, selon sa propre expression, elle n’est « pas d’une nature languissante ». René a une forte personnalité, parfois autoritaire, mais Astrid admire en lui un « homme exceptionnel », sait s’accommoder de ce caractère impérieux et se satisfait pleinement d’être son épouse, la mère de ses deux filles Alexia et Mylène puis la grand-mère de ses cinq petits-enfants. Il faut dire qu’elle a une rare capacité à transformer en bonheur les contraintes qui lui sont imposées ou qu’elle s’impose. Alors, elle s’éprend de cette ville où elle est finalement bien occupée ; son mari est souvent en déplacement pour des destinations lointaines. Elle a toutefois un regret, celui d’avoir manqué une occasion d’expatriation au Canada. C’était pourtant quasiment fait, mais au dernier moment, René, qui jouissait de la confiance de ses patrons successifs, François Michelin, son fils Edouard, plus tard Jean-Dominique Senard, s’est vu proposer une importante promotion, un poste qui ne se refuse pas. Ils sont restés.

Et voilà que tout d’un coup, René annonce qu’il prendra sa retraite à 61 ans, une décision qui surprend tout le monde, son employeur comme sa femme : leurs parents vieillissent, il ne veut pas en être trop éloigné. Cinq ans plus tôt, René et Astrid ont acheté avenue de la Lèque à Eygalières une maison entourée d’un terrain, sur lequel ils ont fait construire une nouvelle maison ; ils s’y installent et vont donc devoir se réinventer une vie. Pour René, deux personnes s’en chargeront. Edouard Michelin lui confie la présidence de l’ASM, qu’il va assumer pendant neuf ans à partir de 2004, s’enthousiasmant pour le rugby alors qu’il était un « footeux », et faisant partager à Astrid cet enthousiasme. De son côté, Félix Pélissier, maire d’Eygalières pendant 31 ans, l’entraîne dans son équipe municipale, avant d’en faire son successeur en 2008 en l’adoubant personnellement. Pendant onze ans, René sera un maire entreprenant, soucieux de permettre aux plus jeunes et aux plus anciens de trouver ou de garder leur place au village, faisant construire pour cela, entre autres, un Ehpad, une crèche, des logements sociaux. Un maire reconnu et respecté, tant dans son village qu’alentour. Un maire regretté.

Aussi, lorsqu’il disparaît brusquement à 77 ans, un an avant la fin de son mandat, la vie d’Astrid bascule-t-elle brutalement, sans qu’elle s’y soit préparée. Depuis lors, toute de dignité et de courage, elle surmonte progressivement cette perte cruelle. Revenant à Eygalières, elle avait retrouvé le village de son enfance, mais un village qui avait beaucoup changé. Elle avait repris le bridge et s’était lancée dans ces deux activités exigeantes que sont le chant choral et le théâtre. Au « Théâtre des Calans », elle a rapidement trouvé sa place. Au départ réticente pour des raisons de disponibilité, craignant de ne pas être à la hauteur, elle se lance cependant dans l’aventure où elle va en quelque sorte se révéler à elle-même, ainsi qu’à son mari, par sa capacité à apprendre par cœur des textes longs et compliqués, à incarner pleinement des personnages différents, bref à être une actrice. Et pour elle, c’est un vrai bonheur. En effet, elle prend beaucoup de plaisir à jouer mais aussi à travailler en équipe, ce qui l’a certainement aidée à surmonter sa douleur, tout comme l’affection dont l’ont entourée sa famille et ses amis.

Lorsqu’il lui arrive de se retourner sur le passé, Astrid Fontès, Astrid Joffre, estime qu’elle a eu « une superbe vie », en dépit de ce coup du destin qu’a été la mort de René. Elle poursuit seule son chemin et, nouvellement élue au Conseil municipal, affirme son engagement à travailler en équipe pour le devenir de son village.

30 mai 2020

Astrid Fontès est trop tôt disparue, le 26 décembre 2020.