Eygalieres galerie de portraits

Pierre Drulang

Homme d'action et de réflexion

Voici un Alsacien solide, façonné par une longue vie professionnelle de chef d’entreprise baroudeur à travers le monde, de l’Afrique à la Bretagne en passant par les Antipodes. Un homme qui, avec son épouse Florence, s’est posé à Eygalières il y a quinze ans, vingt ans après y avoir fait construire leur maison. Tel un ermite, Pierre Drulang est la discrétion-même. C’est pourtant quelqu’un dont la vie a été largement guidée par la curiosité, la tentation de l’aventure, le goût de la découverte d’autres territoires, d’autres pays, d’autres cultures, d’autres horizons intellectuels, et par sa forte capacité à s’y adapter.

Ce goût se manifeste dès l’âge adulte. Si l’objet de ses études supérieures, les sciences économiques, n’est pas d’une grande originalité, les choix qui s’offrent à lui sont larges. Lorsqu’en 1969, il obtient sa maîtrise à Strasbourg, où il est né 23 ans plus tôt, les "Trente Glorieuses" sont toujours glorieuses et assurent un quasi plein-emploi. Plutôt que de passer un doctorat ou d’intégrer une entreprise en France, Pierre choisit le grand large. Un groupe industriel de matériaux de construction l’embauche alors pour l’envoyer en Afrique. Avec des responsabilités croissantes, au Cameroun, au Tchad puis au Nigéria, il va pouvoir satisfaire son goût de la découverte : conduite des affaires, gestion du personnel, appréciation des enjeux pour l’entreprise et pour soi-même, tout est fort différent de ce qu’il aurait vécu s’il était resté en Europe. Mais il s’adapte, assumant les risques qu’entrainent ses fonctions. Ainsi, au Nigéria, alors qu’il a licencié un employé qui s’est avéré être le cousin du ministre local de la police, pour protéger sa vie, il doit faire appel au ministre fédéral des finances, par ailleurs actionnaire de l’entreprise qu’il dirige. Arrive un moment, cependant, à 30 ans, où l’envie d’une vie moins aventureuse l’emporte sur le goût de l’exotisme et des risques qui vont avec.

Pierre rentre donc en France pour une sorte d’intermède, qui durera quatre ans, avant de repartir pour le grand large. Pour autant, il n’est pas question de tomber dans la banalité : c’est une entreprise suédoise spécialisée dans les caoutchoucs industriels qui l’embauche, pour s’occuper d’export, notamment à destination de l’Afrique. Là encore, il court des risques. Parmi les produits qu’il promeut figurent les bandes transporteuses pour les minerais ; il y a des mines de fer dans le Nord de la Mauritanie, à la frontière de l’ancien Sahara espagnol. A quelques jours près, Pierre s’y serait trouvé lors d’un raid du Front Polisario, soldé par des morts et des otages.

Encore une année dans une autre entreprise, et le voilà qui se met à rêver à nouveau de départ. Il est alors marié, avec deux jeunes enfants, et n’est plus prêt à se mettre en danger, lui et sa famille. C’est en répondant à une petite annonce pour un emploi aux Nouvelles-Hébrides qu’il va, sans trop en mesurer l’ampleur, s’engager dans de nouvelles aventures. Mais au fait, où sont les Nouvelles-Hébrides ? Ce petit pays archipélagique de Mélanésie, aujourd’hui République du Vanuatu, avec ses 250 000 habitants, est situé dans l’Océan Pacifique, à une heure d’avion de Nouméa et 28 heures de la France. Curiosité institutionnelle, c’est un condominium franco-britannique, qui accèdera à l’indépendance quelques mois après l’arrivée de Pierre. C’est une terre de rivalité féroce entre les Français et les Anglais – ou plutôt les Australiens qui ont pris leur succession. D’ailleurs, en y arrivant, Pierre a l’impression que « la Guerre de Cent ans n’est pas terminée ». Sa candidature retenue parmi beaucoup d’autres, Pierre arrive donc, en famille, dans ce pays très particulier, pour occuper un poste dans lequel il restera sept ans. Jusqu’alors, il a exercé des responsabilités de direction d’entreprises industrielles spécialisées. Cette fois-ci, il doit diriger un groupe aux activités extrêmement diversifiées. Ballande, entreprise à capitaux français, est la plus grande entreprise du pays et son premier employeur avec 150 personnes. Distribution, logistique, assurances, exploitation d’un terminal pétrolier, gestion d’un des plus grands troupeaux au monde de vaches charolaises d’un seul tenant. Elle émet même des billets de banque qui ont cours à Port-Vila, la capitale, à Nouméa et … à Marseille ; cette émission est liée au négoce du coprah, sous-produit de la noix de coco utilisé pour produire de l’huile, des cosmétiques, des engrais, et dont Ballande est un gros exportateur. Bref, il serait plus simple d’énumérer ce qu’elle ne fait pas.

Pierre devient vite une personnalité locale. Il est secrétaire du Syndicat agricole et pastoral, président du Rotary et de l’Ecole française. J’en oublie certainement. Sa vie, cependant, n’est pas toujours simple dans cet environnement qui lui est peu familier ; son entreprise opère sur des territoires éloignés les uns des autres : 83 îles qui s’étendent sur 1300 km. Lorsqu’après sa prise de fonctions, il va rencontrer ses collaborateurs sur une des trois grandes îles, il constate que ceux-ci ne sont autres que les chefs d’une rébellion séparatiste … Le climat, tropical humide, est aussi source de dangers. Pierre se souvient notamment d’un cyclone au cours duquel le toit de son voisin est venu se poser dans son jardin … Toujours est-il qu’au bout de sept ans, l’ambiance se tend autour de lui, au point qu’il reçoit des menaces de mort ; peut-être des personnes bien placées ambitionnent-elle de prendre sa place. Pierre, lui, préfère rester en vie et prend le large rapidement, en tout bien tout honneur. A son départ, le président de la République lui remet d’ailleurs une lettre signée de sa main pour attester de ses bons et loyaux services.

La suite de sa carrière professionnelle se prête moins à commentaires. Pierre et sa famille rentrent en France. En Bretagne à Toulouse et dans le Var, pendant 18 ans, il va travailler successivement pour plusieurs entreprises, essentiellement dans les services liés aux particuliers et aux collectivités, avant de prendre sa retraite en 2005, après 35 ans de vie professionnelle, et de s’installer dans la maison que son épouse et lui ont fait construire à Eygalières, alors qu’ils étaient encore au Vanuatu. Pourquoi Eygalières ? Si, avant d’acheter un terrain en France, ils ont prospecté le Midi d’Est en Ouest, tous deux ont finalement été conquis par la beauté du site et par la proximité de grands axes de circulation. Et sur son grand terrain de 4000 m², Pierre peut se livrer au jardinage, une de ses activités favorites.

Mais Pierre a aussi un jardin secret, qu’il a commencé à semer quand il était entrepreneur et homme d’action et qu’avec la retraite il peut maintenant cultiver sans modération. Sa curiosité intellectuelle, les interrogations qu’il pose sur la vie, l’éclectisme de ses goûts et de ses aspirations l’ont poussé à réfléchir et à découvrir des horizons inédits pour lui. N’étant pas homme à faire les choses à moitié, avant même la retraite, il y a déjà vingt ans, il s’est plongé dans l’apprentissage et l’étude de l’hébreu biblique. Encore aujourd’hui, il est fasciné par la vision philosophique « totalement nouvelle et extraordinaire » que lui apporte cette étude, qui lui semble sans limites. Il a pris conscience avec un certain éblouissement des liens qui unissent une langue à la vision du monde qu’elle sous-tend : à titre d’exemple, dit-il, « en hébreu, il n’y a pas de passé, donc tout ce qui compte c’est la progression à un moment donné ». Il a étendu ses recherches à la cabalistique puis au symbolisme. Il a même écrit plusieurs ouvrages, au contenu trop dense pour trouver place dans ce portrait. Manière de relier son travail intellectuel à celui des mains, il réalise des objets incrustés de symboles en marqueterie.

Aujourd’hui loin de son Alsace natale et de son expérience entrepreneuriale passée, Pierre Drulang combine avec équilibre ses différents tropismes. S’il vit un peu en retrait du monde, c’est pour s’y livrer avec plus d’intensité, tout en consacrant du temps et de l’attention à ses enfants Eric et Virginie et à ses petits-enfants, encore très jeunes.

7 octobre 2020