Eygalieres galerie de portraits

Maurice Grimaud

Trente-cinq ans de l'histoire du village

« Je vais chez Maurice » : pendant plus de trente ans, à Eygalières, cela voulait dire : « je vais faire des courses ». Dans l’épicerie de Maurice Grimaud, ouverte presque tout le temps, on trouvait en effet de tout, de l’alimentation à la droguerie en passant par les bouteilles de gaz domestique. A 75 ans aujourd’hui, près de vingt années après avoir revendu son épicerie, Maurice Grimaud est toujours le même, âpre au travail mais aimant galéger, amoureux de la nature, une nature qu’il n’a finalement jamais quittée, positif et entreprenant. Consacrant maintenant le plus gros de son temps à son potager et à son verger, il retrouve le métier d’agriculteur que ses parents et ses ancêtres ont pratiqué pendant des générations, comme lui-même pendant huit ans, autant par plaisir que par fierté de consommer les produits qu’il a amoureusement fait pousser.

La vie de Maurice, c’est d’abord le succès d’un entrepreneur improvisé, un succès fondé sur un mélange de rigueur et d’imagination, et par-dessus tout énormément de travail, une grande disponibilité et le plaisir de rendre service. Marcel Grimaud, son père, a toujours été agriculteur. En 1945, il est revenu de cinq ans de captivité en Allemagne, passés dans une grande exploitation agricole. Avec son épouse Yvette Pélissier -cousine germaine de l’ancien maire du village Félix Pélissier-, ils ont élevé leurs quatre enfants, qui tous ont commencé dans l’agriculture mais n’y sont pas restés. Le destin de Maurice n’était nullement fixé à l’avance, c’est finalement à sa tante qu'il le doit : Emilienne Grimaud était propriétaire d’une des quatre ou cinq épiceries du village, située dans la rue principale. Elle ne parvenait pas à faire marcher ce tout petit local, certes remarquablement placé mais minuscule, une quinzaine de mètres carrés, à peine le tiers du magasin actuel. Après avoir essayé sans succès de le mettre en gérance ou de s’en occuper elle-même, elle propose à son neveu Maurice de le reprendre. Maurice a 22 ans, de l’énergie à revendre, il pose ses conditions : il veut créer le premier libre-service du village. Il signe alors un bail commercial avec sa tante, et prend possession des lieux en avril 1968. Certes, ce n’est pas la période idéale pour se lancer dans un commerce en France : le manque d’essence crée des blocages, les approvisionnements sont difficiles. Sur le plan administratif, d’ailleurs, il ne sera en règle qu’en octobre. Mais il n’a pas froid aux yeux, il se lance, seul tout d’abord puis à la fin de l’année 1968, avec Marceline, qu’il vient d’épouser. Marceline, originaire de Cavaillon, qu’il a rencontrée pour la première fois au bal à Cheval-Blanc. Marceline, toujours vaillante, qui n’a pas changé non plus depuis lors. Plus tard, leur fille Corinne viendra les épauler au magasin.

Ce magasin sera rapidement agrandi. Tout d’abord, il annexe le fond du bâtiment, qui avait servi de logement à Emilienne Grimaud ; la surface est ainsi doublée. Par ailleurs, à côté du magasin et en contrebas, il y a un autre commerce, que Maurice rachète au bout d’un an, avant d’ouvrir le mur pour créer une communication. Son épicerie prend alors la forme qu’elle a encore aujourd’hui. Beaucoup plus tard encore, Maurice rachète les murs à ses cousins qui, entretemps, en avaient hérité.

Maurice et Marceline ne vont pas ménager leur peine. Maurice dit : « je travaillais dix-sept heures par jour ». L’épicerie est ouverte même le dimanche après-midi, ce qui permet de répondre aux attentes d’une clientèle « orpheline » ce jour-là. Chaque matin, ils se lèvent à 4 heures 30 ; à 5 heures ils sont au magasin. Nettoyage, rangement, puis ouverture à 7 heures. Pendant ce temps, Maurice va acheter ses fruits et légumes. Pour lui, c’est comme un rituel où il se replonge dans les premiers temps de sa vie professionnelle : de 14 à 22 ans, il a travaillé aux côtés de ses parents comme « aide familial » (c’est-à-dire avec pour seule contrepartie 50 francs d’argent de poche le dimanche). Les fruits et légumes, c’est vraiment son rayon. Aussi ne peut-il concevoir de se faire livrer : il va s’approvisionner au marché d’intérêt national de Cavaillon, qui se tient le matin, plutôt qu’à celui de Saint-Etienne-du-Grès, qui a lieu le soir : le matin, les produits sont plus frais. Il les choisit avec soin, presque avec amour. Au retour, il fait une halte à la Gare de Mollégès, chez son père qui lui fournit les produits de sa propre exploitation. Ainsi, en saison, des tomates qui, dit Maurice, sont « une merveille », et chaque jour un seau dans lequel sont rangés quinze paquets de fines herbes toutes fraiches. Le café bu ensemble, Maurice repart installer tout cela au magasin.

Amoureux de ses fruits et légumes, Maurice les entoure d’un soin protecteur qui touche à la manie et qui agace plus d’un client. Bien que le magasin soit un libre-service, les clients n’ont pas le droit de toucher à ces produits, de les manipuler, ils doivent attendre d’être servis ; c’est même affiché en trois langues. Maurice se souvient avec amusement d’un épisode où Lionel Jospin, alors premier ministre (son beau-frère Jean-Marc Thibault avait une maison à Eygalières), est entré dans l’épicerie, suivi de trois gardes du corps. C’est Corinne qui servait à ce moment-là et, alors qu’elle s’apprêtait à rappeler la règle à ce client comme un autre, les gardes ont fait mine de vouloir intervenir pour « protéger » leur patron...

Ce magasin, ce n’est pas qu’une épicerie, loin de là. On y vend presque de tout : quincaillerie, droguerie, produits pour la peinture, mercerie, bazar. On y trouve même des rustines pour réparer les pneus de bicyclette. On y fait aussi commerce des bouteilles de gaz, que Maurice livre à ses clients. Ce service qu’il rend volontiers lui est parfois demandé dans des circonstances improbables. Ainsi, tard un soir de Noël par une dame qui n’était même pas cliente, ou bien un dimanche après-midi, réveillé alors qu’il faisait la sieste, par les cuisiniers du restaurant « Chez Bru ».

Les affaires marchent bien, très bien même. Le comptable de Maurice lui-même est surpris du chiffre d’affaires qu’il réalise dans un village de la taille d’Eygalières. Certes, le développement que connaît le village dans les années 70 et 80 y contribue : les propriétaires de nombreuses résidences secondaires y viennent pour le week-end ou pour les vacances. Mais cette réussite est d’abord le produit d’une politique d’offre diversifiée, du travail et de la disponibilité de Maurice et de sa femme. Assez vite, ils deviennent les seuls épiciers du village. Tous deux prennent plaisir à servir toutes les célébrités, grandes ou moins grandes, des arts, du spectacle et de la télévision, qui fréquentent le village, et donc leur épicerie également. Toutefois, bien que l’un et l’autre soient encore jeunes, Maurice et Marceline finissent par fatiguer. En 2003, à 57 ans, Maurice vend son épicerie. Il travaille, il est vrai, depuis 43 ans… Ce sont Christelle et Yannick Uffren qui la rachètent et vont la gérer pendant quatorze ans. Maurice, lui, entame une nouvelle vie.

Des années auparavant, à 29 ans, il avait acheté à la mère de Lucien Perret (voir le portrait de Lucien dans cette Galerie) un terrain situé très haut dans le village, quasiment au pied des Alpilles. Comme tout Eygaliérois, Maurice voulait construire sa maison. C’est ce qu’il a fait, petit à petit, jusqu’à y emménager avec sa famille en 1980, cinq ans plus tard : Marceline, leur fille Corinne et leur fils Pascal, aujourd’hui photographe à Marseille et père de deux jeunes enfants. C’est là que, après avoir vendu son magasin, Maurice s’est « replié ». Dans son petit empire, il s’occupe depuis lors avec passion de son potager, de son verger, de ses oliviers. Bonne surprise, il a découvert en prenant possession de son terrain qu’il y poussait des truffes, dont la récolte s’est ainsi ajoutée à ses activités. Je n’aurais garde d’oublier que Maurice est aussi un membre actif de la société de chasse d’Eygalières, une pratique qui lui tient à cœur.

Devenu commerçant par hasard familial, un commerçant à succès grâce à son travail, Maurice Grimaud est aujourd’hui retraité mais toujours très actif, un homme épanoui, heureux au sein de la nature qui est la sienne depuis toujours et où ses racines sont profondément enfouies.

5 janvier 2022