Eygalieres galerie de portraits

Roselyne Villard

Faire de sa vie un bonheur

Voici cinq mois que Roselyne Villard a quitté son cher Eygalières, où elle est née et où elle a vécu toute sa vie, pour s’installer à Cavaillon, dans une agréable résidence plus facile à vivre que sa maison au pied des Alpilles, dont la vue continue cependant à la réjouir tous les jours. Rayonnante, respirant la joie de vivre, Roselyne a su faire de son parcours une sorte d’odyssée locale, dont chacune des étapes lui a donné du bonheur. Elle le doit à son caractère courageux, volontaire, positif et ouvert aux autres. Elevée à la dure, partie de rien, Roselyne a su très vite ce dont elle ne voulait pas mais elle a su s’approprier successivement plusieurs métiers, très différents l’un de l’autre : épicière, serveuse au Mas de la Brune, empailleuse de chaises, co-responsable du Bar du Centre, propriétaire d’un magasin d’articles de mode. Et en toile de fond, elle a accordé à ses quatre enfants, dont elle est très fière, toute l’attention et l’énergie nécessaires pour qu’aujourd’hui ils aient pignon sur rue, tous autour d’elle.

Pour comprendre le parcours de Roselyne, il faut remonter à la génération précédente. Son père, Maurice Bianciotto, est né à Cumiana, village situé à 40 kilomètres à l’Ouest de Turin, dans une famille de forestiers. Lorsqu’il a cinq ans, la famille émigre en Provence. Tout comme ses frères, Maurice devient forestier à son tour, bûcheron et producteur de charbon de bois. L’âge venu, il retourne à Cumiana pour prendre femme et en revient avec Louise, avec qui il aura six enfants, dont Roselyne est la dernière-née. Dure à la tâche, Louise fait travailler ses enfants aux champs dès cinq-six ans, rapporter l’eau du puits du cimetière, entretenir la maison. Et avec cela, Roselyne est une bonne élève à l’école, son institutrice engage ses parents à lui faire faire des études. C’est en vain ; elle est mise pour de bon au travail dès 14 ans. Elle a conçu une véritable détestation du travail des champs, dur et ingrat, aussi préfère-t-elle faire des ménages. Chaque semaine, elle remet à sa mère l’argent de son travail, y compris lorsque, celle-ci étant hospitalisée à Montpellier, il faut le lui apporter jusque-là. Elle est soulagée de pouvoir sortir de cette vie à 20 ans en épousant Maurice Villard, de douze ans son aîné. Lui aussi est agriculteur, mais Roselyne a mis d’emblée cartes sur table : il n’est pas question pour elle de travailler aux champs !

De cette date, Roselyne va naviguer d’une activité à une autre, trouvant toujours le moyen et la capacité de rebondir lorsqu’elle se trouve dans une impasse, grâce à son appétence pour l’échange et à sa capacité d’adaptation. Dès l’année de son mariage, elle rachète la minuscule épicerie de Félicie Rousset, accolée à celle d’Emilienne Grimaud, la tante de Maurice Grimaud (voir son portrait dans cette Galerie), qui a pour principal intérêt d’être aussi un dépôt de journaux, ce qui attire de la clientèle, mais qui est sans doute la plus vieillotte. Elle va s’y investir pleinement et la rénover. Surtout, elle va découvrir qu’elle a un excellent sens commercial et ainsi réussir à bien faire tourner son épicerie. Son mari, en revanche, n’a aucun goût pour le commerce. S’il prend plaisir à produire d’excellents légumes que vend sa femme, il va travailler en parallèle à la carrière de Léon Martel, le beau-père de « Lolo » Sicard (voir son portrait dans cette Galerie). A l’expérience, seule dans sa boutique ou aidée par une tierce personne, Roselyne constate que l’équilibre économique de son épicerie est fragile. Ses trois premiers enfants, Christian (voir son portrait dans cette Galerie), Michel et Nathalie, sont nés. Peu après la naissance de Nathalie, elle met son épicerie en gérance et la revend quatre ans plus tard.

C’est alors qu’elle commence à travailler au Mas de la Brune, à l’époque tenu par Nicole Corcessin, qui la fait venir lorsque, pour des réceptions, des mariages, elle a besoin de personnel supplémentaire. Pendant près de trois ans, Roselyne prend plaisir à servir dans ce cadre superbe, en côtoyant « des gens pas ordinaires ». Mais lorsque naît Lionel, son quatrième enfant, en 1968, alors qu’elle approche la quarantaine, elle va rechercher une activité mieux compatible avec l’accompagnement de ses enfants. Là, elle entre en contact avec Emile Perret, un industriel né à Eygalières qui a créé à Beaucaire une usine de chaises. Celui-ci a besoin de personnes qui, à domicile, empaillent ces chaises. Roselyne saute sur l’occasion : c’est exactement ce qu’il lui faut. Au bout du compte, cette activité qui préserve sa liberté sera la plus durable de sa vie professionnelle puisqu’elle y consacrera près de quinze ans. Elle crée même un atelier à Eygalières ; c’est un groupe de femmes qu’elle recrute, qu’elle forme, qu’elle gère et qui travaillent dans les mêmes conditions qu’elles. En parallèle, si l’on sait pailler, on sait aussi rempailler, et dans ce domaine, la demande ne manque pas, qu’elle vienne de particuliers ou d’antiquaires. Epoque heureuse, c’est aussi celle où Maurice et Roselyne font construire leur maison au pied des Alpilles, au bout d’un chemin à peine carrossable. Ils s’installent en 1980 dans leur royaume bien au calme. Roselyne a 41 ans. A la même époque, leur fils Christian se lance dans son activité professionnelle de nettoyage et ses parents ne rechignent pas à lui donner un coup de main quand c’est nécessaire. Pendant quelques années, d’ailleurs, Roselyne aide aussi son fils sur le plan administratif et comptable. Mais un jour, l’établissement d’Emile Perret est la proie d’un incendie ; l’activité n’y reprendra plus. Roselyne se retrouve au chômage.

Nouveau changement de perspectives, nouvelle adaptation. Gilbert Uffren, un temps propriétaire du Bar du Centre à Eygalières, l’a revendu au printemps 1987 à deux personnes qui recherchent quelqu’un de confiance pour l’animer le matin, eux-mêmes assurant l’après-midi et la soirée. Roselyne y fait merveille, elle instaure des petits déjeuners complets, fait de l’apéritif quotidien une quasi-institution. Le Bar du Centre est comme le centre névralgique du village, un lieu dans lequel se retrouvent – ou cohabitent – habitants de longue date, artistes et touristes qui commencent à s’installer à Eygalières. Chacun apprécie Roselyne, laquelle échange avec chacun ; « je leur apportais, ils m’apportaient », dit-elle, Mais, quelques mois à peine après le début de cette nouvelle vie professionnelle, Maurice Villard décède brutalement dans son sommeil à l’âge de 60 ans. Gros fumeur, il avait toujours refusé de se soigner malgré les mises en garde du docteur Augier, un ami. Roselyne n’a alors que 48 ans, c’est un rude coup pour elle, même si elle est bien soutenue par ses amis et surtout par ses enfants.

Toutefois, elle reste positive, mobilise ses ressources internes et travaille encore plus intensément au Bar du Centre. Quelques années plus tard, elle fait la connaissance d’un « Parisien » qui s’est implanté en Provence, Jean-Claude Févrost. C’est avec lui, aujourd’hui son compagnon depuis trente ans, qu’elle va reconstruire sa vie. En 1994, tous deux ouvrent à Cavaillon une boutique d’accessoires de mode : ceintures, foulards, colifichets, etc. C’est une activité qui plaît beaucoup à Roselyne, laquelle peut à nouveau mettre à contribution son sens du commerce. Et la retraite finit par arriver, pour elle comme pour lui. La boutique est revendue en 2006 ; ils se retirent dans la maison d’Eygalières. Mais, à mesure que l’âge avance, ils perçoivent que vivre loin de tout, entretenir maison et jardin, devient pesant. C’est pour cela qu’ils font le choix de s’installer, à l’automne 2021, dans une résidence au cœur de Cavaillon, qui leur plaît et où ils disposent de services, tout en se sentant chez eux et en restant proches d’Eygalières. C’est bien là, en effet, que Roselyne a laissé une partie de son cœur et qu’elle revient régulièrement avec plaisir, même si elle peine parfois à reconnaître le village où elle est née et où elle a grandi.

Quand on observe Roselyne Villard, rayonnante sur sa terrasse ensoleillée, et qu’on considère le chemin parcouru depuis sa petite enfance à la dure, partie de rien, on ne peut qu’être admiratif des qualités qu’elle a dû mobiliser pour parcourir ce chemin avec persévérance et optimisme. Et être heureux pour elle et sa famille, ses quatre enfants, ses sept petits-enfants et son arrière-petite-fille.

1er février 2022