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José Machado

L'art de rebondir

Voici un homme discret, un homme pourtant qui pendant huit ans s’est trouvé au centre de la vie du village, il est vrai de manière peu visible puisqu’un boulanger se tient plus souvent devant son four que face à ses clients. Né à Valence, en Espagne, José Machado est surtout une personne qui, tout au long de sa vie professionnelle, a enchaîné avec bonheur des métiers bien différents les uns des autres : serveur dans un grand hôtel, puis maître d’hôtel, assureur, antiquaire-brocanteur, boulanger, restaurateur, enfin à nouveau boulanger. Sans oublier de longs voyages à l’étranger, pour assouvir tant son goût de la découverte que sa passion pour la salsa, cette danse d’origine cubaine. Il a fallu pour cela conjuguer ouverture d’esprit, de bonnes doses de culot et de courage, et naturellement beaucoup de travail. L’histoire n’était pas écrite d’avance, loin de là.

En 1962, ses parents quittent l’Espagne franquiste, avec leurs enfants. José est le sixième, ils seront huit enfants au total. Son père, ouvrier agricole dans la riziculture, est un homme dur à la tâche ; il reprend cette activité en Camargue. La famille habite Nîmes. Huit ans plus tard, elle déménage à Cavaillon, où le père de famille devient maçon, salarié d’abord avant de se mettre à son compte avec plusieurs de ses fils.

A 18 ans, José va travailler comme serveur dans le plus grand hôtel de Cavaillon, l’hôtel Christel. Il ne tarde pas à y devenir maître d’hôtel au restaurant. C’est là qu’il prend une initiative dont il se félicitera toute sa vie. Le docteur Bages, un important pharmacien de la ville, marie son fils ; la réception a lieu à l’hôtel. Parmi les invités figure une pharmacienne, qui vient avec sa fille. Les regards de Mireille Altalaguery et de José se croisent, et vous devinez la suite : ils se marièrent et eurent deux enfants, leurs jumeaux Salomé et Thomas. Fille d’un Basque espagnol et d’une Bretonne, Mireille, secrétaire médicale de formation, a exercé entre autres au Centre d’aide par le travail de Cavaillon, avant de travailler pendant des années, côte à côte avec José, l’un et l’autre s’épaulant et se complétant. En particulier, Mireille, avenante et souriante, sera toujours très appréciée de la clientèle. Mais n’anticipons pas. A l’hôtel Christel se tiennent des séminaires de formation en assurance. Curieux et ouvert, José y montre son intérêt, une attitude qui ne passe pas inaperçue du responsable de ces formations, lequel lui suggère de se former lui aussi à l’assurance. José a de l’ambition, il n’envisage pas de rester maître d’hôtel toute sa vie. Il saute donc le pas et, à 28 ans, devient assureur, d’abord au GAN puis au GPA. Il vend des polices d’assurance-vie et, dans le cas du GPA, des produits financiers également. D’un naturel timide, José a du mal à sonner aux portes, à déranger la tranquillité des familles pour proposer ses produits. Mais il surmonte sa timidité et apprécie ce nouveau métier, qu’il exerce pendant cinq ans.

Puis intervient un phénomène qui se répétera dans sa vie, signe d’appétit pour le changement et les défis plutôt que d’instabilité : c’est son « pourquoi pas ? » en réponse à une suggestion de nouveau métier. Un de ses amis, brocanteur, suggère que José pourrait lui donner un coup de main. Cette idée le séduit et, pendant tout un temps, il « déballe » sur les marchés le week-end, parallèlement à son activité d’assureur. Progressivement, il y prend goût pour de bon, il s’intéresse aux objets, aux époques de mobilier. Alors à nouveau, il fait le saut vers une nouvelle profession. Dans un premier temps, il pratique seulement les marchés réservés aux professionnels, y vendant les objets chinés au cours des jours précédents. Puis il loue un stand au marché de l’Isle-sur-la-Sorgue, l’un des plus importants marchés de brocante et d’antiquités en Europe. José se spécialise dans les meubles Louis-Philippe, les poteries de Longwy (des objets très colorés) et les poteries provençales. Comme il aime bien chiner et qu’il sait vendre, il a du succès, notamment auprès d’acheteurs américains qui apprécient surtout la poterie provençale ; ceux-ci vont représenter jusqu’à la moitié de son chiffre d’affaires. Mais l’une des conséquences de la guerre du Golfe, qui se déroule à cette période, c’est que la clientèle américaine s’évapore. José comprend qu’il lui faut à nouveau rebondir.

Et voici que son épouse lui signale une émission de Jean-Pierre Pernaut à la télévision : l’installation récente d’un boulanger dans le Jura. Une fois de plus, José se dit « pourquoi pas ? ». Il se trouve justement qu’il a une connaissance dans ce domaine : à Cavaillon, Patrick Mascré tient une grande boulangerie-pâtisserie, réputée notamment pour ses choux à la crème et ses gâteaux des rois. José vend alors tout son stock de brocante et s’en va travailler quelque temps comme aide-boulanger. Le métier lui plaît, il a envie de continuer. En homme sérieux, il sait aussi qu’il doit se former. Il passe donc d’abord six mois à l’Institut national de la boulangerie pâtisserie à Rouen, où il apprend la technique. Puis il passe à nouveau six mois, à Briare, dans le Loiret, à l’école Banette, plus orientée vers la gestion. Il en sort avec un CAP de boulanger-pâtissier. Il est fin prêt.

Après avoir prospecté, il s’entend avec Jean-Pierre et Yvette Broc, propriétaires d’une des deux boulangeries d’Eygalières, au fond d’une impasse ouverte sur la rue de la République, autrement dit en plein centre du village. Il vend sa maison de Cavaillon, rachète le fonds de commerce, et se loge avec Mireille et leurs jumeaux à l’étage au-dessus de la boulangerie. Après travaux, il ouvre « sa » boulangerie le 2 janvier 2000, le jour-même où les pièces et billets en euros sont introduits. Il a 39 ans. Il se met au travail avec son épouse, lui au four, elle à la vente. Ca marche bien. Le succès commercial ne se dément pas ; assez rapidement, le local atteint ses limites : l’été, les clients font la queue jusqu’à la rue. José franchit alors un pas supplémentaire en 2005, lorsqu’il achète un nouveau local : c’est toujours là que se trouve aujourd’hui la boulangerie d’Eygalières. Pour lui, c’est un gros investissement ; il doit emprunter pour l’achat, les travaux et l’installation de nouveaux équipements. Plus grand, le magasin le conduit aussi à embaucher du personnel, alors que dans son précédent magasin, il travaillait seul avec Mireille. C’est encore un succès, mais le désir de changement se fait à nouveau sentir : après trois ans, José cède le fonds de commerce tout en restant propriétaire des murs. Les boulangers se succèderont ensuite.

Le restaurant de la Galine, sur la route de Saint-Rémy-de-Provence, est précisément en quête d’un repreneur. Devenir restaurateur et retrouver ainsi, en quelque sorte, son premier métier, est de nature à séduire José, qui s’y installe. Il place devant le restaurant un grand coq à la crête rouge pour mieux le signaler aux automobilistes qui passent. Il est à son affaire, la clientèle se développe. Malheureusement, il ne parvient pas à s’entendre avec le propriétaire sur les conditions du rachat des murs. Fin 2011, après quatre ans, il s’arrête.

Pause. Avant de devenir patron, José avait visité plusieurs pays proches, en Europe, avec Mireille. Puis, devenu patron, ce n’était plus possible. Cette fois-ci, peut-être pour rattraper le temps perdu, ils partent loin, longuement, à plusieurs reprises : découvrir un glacier au Sud de l’Amérique, visiter Cuba, le Chili puis le Costa Rica pour pratiquer la salsa, que José adore. Entre deux voyages, chez lui, il donne un coup de main à droite ou à gauche. Cette pause dure un peu plus de quatre ans. Puis de nouveau, il se fixe un dernier défi : en 2016, il reprend à Maubec, dans le Luberon, une boulangerie en difficulté qu’il faut remettre sur pied. En juin 2022, six ans après, mission accomplie, il la revend.

Quel parcours ! Quasi-retraité, José a repris pied dans sa maison d’Eygalières, où il peut mieux se consacrer à ses deux enfants et à ses deux petits-enfants. On s’étonne presque qu’il ait été capable de ralentir son rythme de vie, même si ses randonnées pédestres quotidiennes lui permettent de dépenser un peu de son énergie.

26 janvier 2023