Eygalieres galerie de portraits

Marie-José Sat

Porter ses racines en soi

Marie-José Sat porte en elle ses racines familiales eygaliéroises, qu’au fil des ans elle a entretenues, nourries, et transmises à ses enfants, comme elle les avait reçues des générations précédentes. Cependant, elle n’est pas née à Eygalières et n’y habite vraiment que depuis peu. Son destin personnel, issu d’un mélange de curiosité pour le monde et d’occasions saisies, mais aussi d’une forte capacité d’adaptation, l’a conduite bien loin d’ici, d’abord en Angleterre, plus tard en Californie, où elle a vécu trente ans. Elle s’est ainsi forgé une double culture, source d’ambivalence car finalement elle ne se sent complètement ni d’ici ni de là-bas, mais aussi source d’une incontestable richesse, que cette dualité lui a apportée. Après trente ans de vie américaine, Marie-José a fait le choix de venir s’installer à Eygalières, dans la maison familiale au cœur du village, conservée depuis toujours et habitée régulièrement pendant les vacances.

La généalogie de Marie-José est un concentré des noms de famille du village : parmi ses ancêtres, outre les Sat, figurent entre autres des Pélissier, des Chabaud, des Isnard, des Martin, des Roque. C’est au début du XVIIIe siècle qu’André Sat, marié à Louise Roumanille, serait arrivé à Eygalières, où il a fait souche, au point que ce patronyme y a été porté par de nombreuses personnes pendant deux siècles, avant de s’étioler. A la Révolution, la famille se divise en « blancs » et « rouges » ; une partie de ces derniers quittera plus tard Eygalières pour s’installer à Saint-Rémy-de-Provence. Marie-José, profondément consciente de cette ascendance, est la petite-fille de Joseph Sat, le boucher du village dans les années 30, époux d’Armande Pélissier. Ce sont eux qui décident de quitter le village juste après la guerre. Ils ont un fils unique, Max, d’autant plus chéri de ses parents que ceux-ci ont eu, avant lui, un premier-né qui n’a vécu que six mois. Pour épargner à leur fils la pension pendant ses années de lycée, Joseph et Armande décident d’aller s’installer à Montpellier, où ils achètent une autre boucherie et où ils resteront jusqu’au décès de Joseph, en 1961. Armande reviendra alors vivre à Eygalières. Max fait de brillantes études de médecine et se spécialise en cardiologie. Il épouse Jacqueline Fabre, née à Carmaux, dans le Tarn, avec qui il aura trois enfants, Marie-José étant la deuxième. Le docteur Sat s’établit à Alès, où vont grandir les enfants. Max reste très attaché à Eygalières, bien qu’il n’y ait pas exercé. Il partage cet attachement avec ses enfants, qu’il envoie souvent en vacances chez leur grand-mère Armande. Lorsqu’elle y est, la jeune Marie-José est identifiée par tout le monde comme « la fille de Max ».

Ce lien profond n’a entravé ni le goût de la découverte, ni le sens de l’indépendance, qui, conjugués à une salutaire absence d’inhibition, vont marquer le déroulement de la vie de Marie-José. Une vie qu’elle conduit sans plan pré-établi. Très tôt, elle part au large. Enfant, elle rêvait d’être archéologue, mais ses parents l’en ont dissuadée et l’ont poussée vers des études plus « sérieuses ». C’est ainsi que, suivant l’exemple d’une amie, elle entame un cursus bio-maths sup afin de devenir vétérinaire. Très vite, cependant, elle a conscience de faire fausse route. C’est autre chose à quoi elle aspire, mais elle ne sait pas mettre un nom sur cet « autre chose ». Alors, pourquoi ne pas saisir cette possibilité qui s’offre à elle de partir à Londres pour deux ans afin de perfectionner son anglais, dans le cadre d’une école d’interprétariat ? Elle a 19 ans. En effet, elle devient bilingue et passe les diplômes de Cambridge, ce qui lui sera bien utile par la suite. Et c’est à Londres que naît Maïa, sa fille aînée.

A l’issue de ce séjour, Marie-José revient en France avec sa fille. Elle travaille dans une agence immobilière. Peu satisfaite de cette occupation, désireuse de nourrir la composante artistique de sa personnalité, « un intérêt majeur dans sa vie », dit-elle, elle s’inscrit aux Beaux-Arts à Nîmes, dont elle obtient le diplôme. Mais un diplôme ne fait pas un projet. Voilà cependant qu’une nouvelle opportunité s’offre à elle : une amie inscrite en post-doctorat à San Francisco l’invite à la rejoindre. Or, il se trouve qu’après le décès de sa grand-mère, Marie-José a un peu d’argent devant elle. Elle part donc là-bas, le nez au vent.

Elle a 29 ans. Elle l’ignore encore, mais c’est le début de sa deuxième vie, qui va durer trente ans. Elle fait la connaissance d’un professeur de chimie à l’université de Berkeley. D’origine germano-chilienne, Peter Vollhardt, qui devient son mari, sera le père de ses deux autres enfants, Paloma et Julien. Pendant une année, elle fait des aller-retours, puis s’installe. Elle s’acclimate vite à ce monde si différent du nôtre et s’imprègne de la culture américaine, devenant ainsi progressivement biculturelle. S’attachant à entretenir beaucoup de centres d’intérêt différents, elle se livre à de nombreuses activités tout en s’efforçant de conserver une part d’indépendance. Activités professionnelles d’un côté, éducation artistique de l’autre, sans oublier le temps consacré pleinement à ses enfants. Sa formation aux Beaux-Arts la conduit à être graphiste, en statut de free-lance. A Berkeley, elle suit des cours d’histoire de l’art antique. Lorsque ses enfants sont devenus autonomes, elle s’engage, d’abord comme salariée, puis comme associée, dans une petite entreprise qui importe de France des « cadeaux » : les Américains sont friands de petits objets à offrir pour la maison, la cuisine, la décoration, et de cartes de vœux.

Puis, il y a trois ans, elle se met à percevoir les choses d’une manière différente. Même si son mari et elle résident dans un quartier très vert et aéré, les conditions de vie dans la métropole de San Francisco – et surtout la circulation, son métier l’obligeant à conduire beaucoup – commencent à lui peser. Survient la pandémie et la nécessité de revenir en France en juin 2020 pour s’occuper de ses parents. Son père décède brusquement d’un anévrisme à 86 ans, en novembre 2020. Pour Marie-José, c’est comme un déclic, une rupture. Elle reste en France plusieurs mois, et sent que sa place n’est plus aux Etats-Unis. Tout se passe comme si, en disparaissant, son père lui avait laissé le soin d’incarner le lien familial avec Eygalières, après lui avoir fait donation de la maison au milieu des années 90. Cette maison qui est toujours restée comme un point d’ancrage, pour elle mais aussi pour ses enfants. Afin de créer un lien et de leur permettre de vivre dans un environnement francophone, chaque année jusqu’à leur adolescence, elle les avait emmenés en France, parcourir telle ou telle région de notre pays, puis séjourner quelque temps à Eygalières. Elle a si bien réussi à créer ce lien que, tentée un moment de vendre cette maison, ce sont ses propres enfants qui l’en ont dissuadée. Pourtant ses trois enfants, comme elle-même pendant trente ans, vivent loin d’ici. Maïa enseigne les relations internationales à Oxford. Paloma va devenir avocate à l’été. Julien, installé en Pennsylvanie, est directeur artistique de théâtre.

Voici donc Marie-José Sat maintenant parmi nous, (re)nouant progressivement les liens avec cet environnement à la fois familier et étranger. Ceux qui connaissaient son père ne sont plus là. Ses parents les plus proches à Eygalières ont disparu eux aussi : Mireille Bouche, la petite-fille d’Edouard Sat, l’arrière-grand-père de Marie-José, et son mari Félix Pélissier. Mireille, marraine de Marie-José, lui envoyait carte et cadeau pour son anniversaire, chaque année jusqu’à la fin de sa vie en 2019 ; Marie-José en est encore toute émue. Finalement, elle se sent chez elle dans ces murs qu’elle connaît depuis toujours. Heureuse de vivre dans une nature où elle a ses racines, heureuse de pouvoir se retrouver dans les Alpilles en quelques minutes, même si parfois la vie américaine lui manque un peu. Elle travaille bénévolement à la médiathèque du village, s’occupe aussi de l’entretien de propriétés de vacances. Ouverte, rayonnante et éclectique, elle est également à la recherche de la manière dont elle va pouvoir faire vivre sa composante artistique, qu’il s’agisse d’écriture, d’art plastique ou de photographie.

27 mars 2023