Eygalieres galerie de portraits

Marlène Pezet-Soumille

Enthousiasme et détermination

Marlène dit « je vais te raconter … », son œil bleu pétille et son sourire se fait gourmand. Son regard exprime le plaisir de dire ; elle a tant de choses à raconter, elle dont Eygalières est la vie. Eygalières d’où vient sa famille, où elle est née, où elle a vécu l’essentiel de sa vie. La vie d’une battante chaleureuse, directe, courageuse, qui sait inspirer confiance. Qui a cumulé 28 ans au service de Groupama dans son village, 41 ans au domaine vinicole de La Vallongue, et bien d’autres aventures. « Une petite vie de village », dit-elle avec modestie, mais une vie intense dont les différentes étapes ont été des réussites.

La personnalité de Marlène Pezet-Soumille, les qualités dont elle a fait preuve au long de sa vie professionnelle, trouvent d’abord leur origine dans ses racines paysannes, dans l’éducation qu’elle a reçue de ses parents Aimé Soumille et Ginette Yvaren, dans les formules de sagesse de sa grand-mère Blanche Martin, qu’elle aime à rappeler. Le bon sens et le travail priment, on est loyal, on a confiance en soi, on ne se laisse pas impressionner ni marcher sur les pieds, on est solidaires, solidaires en famille, solidaires de sa communauté. Marlène n’était « pas fana de l’école » et le jeudi préférait monter les chevaux d’Henri Roque (« L’homme à cheval ») plutôt que de faire ses devoirs. Mais son père avait des principes pour ses quatre filles : « je ne veux pas que vous soyez dépendantes d’un homme, je veux que vous sortiez avec un diplôme » ; Marlène passera donc un diplôme de comptabilité. 

Sa personnalité, c’est aussi un attachement incroyablement intense à son lieu. Il ne s’agit pas tant ici de traditions, de culture, comme pour d’autres Eygaliérois « de souche », mais de quelque chose d’autre : comme si la présence tutélaire des Alpilles, leur vision quotidienne, était nécessaire à son bien-être physique et psychique. Peut-être d’ailleurs a-t-elle transmis cela à son fils et à ses deux petits-enfants. Ainsi, les trois premières années de son mariage, elle suit son mari Yves Pezet (ils se sépareront en 2005) à Aix-en-Provence où il a été nommé par la Société Générale. Dès qu’elle le peut, c’est-à-dire lorsqu’il est muté à Salon-de-Provence, elle revient à Eygalières, d’où elle ne partira plus. 

Effet du hasard ? On retrouve ses racines agricoles dans ses deux métiers, exercés d’abord en parallèle pendant 28 ans avant que l’un d’entre eux n’occupe tout son temps et toute son énergie. C’est en tout cas le hasard qui la conduit à les exercer : les assurances à partir de janvier 1976, le domaine vinicole à partir du 2 mai de la même année, alors qu’elle a 25-26 ans.

Les Assurances Mutuelles Agricoles (AMA) - qui deviendront Groupama en 1986 - cherchent une personne pour tenir leur bureau à Eygalières, confié jusqu’alors à un agriculteur qui s’en charge en sus de son activité professionnelle. A ce compte, les clients ont le sentiment de ne pas être suivis comme ils le souhaiteraient. Le candidat doit également, si possible, fournir le local. Par chance, le père de Marlène est propriétaire d’une maison sur la place de la mairie. Marlène se présente, elle est retenue et devient donc à mi-temps mandataire des AMA, installée dans un local encore très rustique, dans cette maison qui est aujourd’hui le Café de la Place. Quelques semaines plus tard, Philippe Paul-Cavallier, qui a créé le domaine de la Vallongue en 1970, lui rend visite à son bureau : il avait été impressionné par la rapidité avec laquelle Marlène avait répondu à une question qu’il lui avait adressée, une rapidité qui tranchait avec la nonchalance supposée des gens du Sud. Homme du Nord, impérieux sinon impérial, plutôt « vieille France », on le craignait un peu dans le village. Marlène accepte malgré tout sa proposition de travailler pour lui, à raison de trois après-midis par semaine, pour « l’aider dans son courrier ». C’est le début d’une aventure qui va durer 41 ans. 

Ces deux aventures vont se dérouler en parallèle. Chez Groupama, Marlène apprend le métier sur le tas, elle ne ménage pas sa peine. Loin de se limiter à ses heures officielles, elle travaille à l’heure du déjeuner, le week-end quand il pleut, visite ses clients le soir en rentrant de la Vallongue, s’en occupe avec dévouement. Au point que certains diront « c’est chez Marlène que je suis assuré, pas chez Groupama ». Le chiffre d’affaires progresse, et c’est ce qui va causer la fin de l’aventure : le développement appelle plus de moyens. Groupama va remplacer ses mandataires à temps partiel par des salariés à temps plein, et propose à Marlène de devenir directrice salariée d’un bureau à Plan d’Orgon, ce qu’elle ne souhaite pas. Les mandataires recrutés se voient refuser le bénéfice de leur ancienneté. Une association de défense des mandataires est alors créée, Marlène en est présidente, avec deux autres collègues elle se démène sans se laisser impressionner, gardant en tête la formule de sa grand-mère : « un non n’est pas un coup de canon, on n’en meurt pas ». Elle obtient gain de cause pour celles qui restent comme pour celles qui partent. Pour son cas personnel, elle est pleinement soutenue par ses clients qui, dans le système mutualiste de Groupama, sont aussi les sociétaires et par conséquent ont voix au chapitre : ils font front commun avec Marlène. Et le 31 décembre 2003, après 28 ans de services, elle quitte ses fonctions.

A la Vallongue, embauchée modestement, Marlène va occuper progressivement une place grandissante, jusqu’à gérer seule le domaine pendant huit ans. Avec Philippe Paul-Cavallier, elle travaille, prend des initiatives, répond du tac au tac à cet homme qui n’a pas l’habitude d’être contredit mais qui respecte ses qualités ; elle établit avec lui une relation quasi d’égal à égal et quasi familiale : vers la fin, le patron-propriétaire présente souvent Marlène comme « sa fille spirituelle ». A son dernier anniversaire, il la fait asseoir à sa droite à la table familiale. Secrétaire, puis assistante, elle manifeste de l’intérêt pour ce qui se passe dans les vignes et dans « la cave ». La confiance qu’elle inspire et l’engagement dont elle fait preuve conduisent Philippe Paul-Cavallier à lui confier finalement les clés de l’entreprise, sous son autorité bienveillante. Marlène apprend le métier en le pratiquant et en participant à des stages de formation. Lorsque le patriarche décède à 80 ans, les enfants mettent le domaine en vente et demandent à Marlène de le gérer. Elle devient alors pleinement chef d’entreprise, avec les responsabilités, les soucis, les insomnies, le choix de ne pas se rémunérer certains mois pour pouvoir faire face aux échéances. C’est seulement huit ans plus tard que le domaine sera racheté par Christian Latouche, fondateur du groupe Fiducial. Avec l’arrivée du nouveau propriétaire, les choses ne changent que progressivement, Marlène reste aux commandes même si elle doit rendre plus de comptes. Mais le domaine s’étend, M. Latouche rachète les Terres Blanches, sur la commune de Saint-Rémy-de-Provence, puis une autre propriété vinicole à Tavel. Marlène se retire progressivement de la gestion du domaine, qu’elle quitte finalement le 1er juillet 2017, 41 ans et deux mois après y être entrée. Elle l’aura dirigé pratiquement pendant trente ans, y introduisant l’agriculture biologique, en faisant un domaine réputé de l’appellation des Baux-de-Provence, développant le chiffre d’affaires grâce à un sens commercial très affûté et assorti de bon sens, appréciée de ses clients, de ses fournisseurs et de ses collaborateurs. 

Marlène Pezet-Soumille s’est aussi impliquée dans la vie du village. Deux fois, elle est candidate aux élections municipales mais sa liste ne gagne pas. A partir de 1977, elle siège six ans dans l’opposition, aux côtés de « Lolo » Sicard (voir son portrait dans cette Galerie). En 1983, tête de liste, elle est seule élue mais renonce à son siège. Et n’oublions pas qu’elle est la « marraine » du Café de la Place : au décès de leur père en 2002, ses filles décident de vendre la maison de la place Marcel Bonnein, finalement rachetée par une association d’une dizaine de personnes désireuses d’y créer un café, qui ouvre en 2004. Marlène est heureuse d’avoir pu ainsi contribuer à la création d’un lieu convivial à Eygalières, qui rééquilibre un peu la géographie du village vers les Alpilles et permet la renaissance de cette place qui dépérissait. La boucle est bouclée, la famille Soumille continue à accompagner l’évolution de son village.

24 octobre 2018