Bernard Barneaud
La passion de créer et d'innover
Bernard Barneaud est un montagnard, solide, pétri de valeurs humaines. Son léger accent méridional révèle qu’il s’est établi il y a longtemps dans notre région et qu’il ne l’a plus quittée depuis. Peu après avoir planté ses racines à Eygalières, il a créé dans la commune voisine de Mollégès, il y a 28 ans, la société Sudco, spécialisée dans la fabrication de casiers pour bouteilles de gaz, une société performante qui n’a cessé d’innover. Une petite enfance à la dure, un environnement familial fort peu aisé, des années de pensionnat, ont forgé un homme volontaire, déterminé mais attentif aux autres, un patron qui a bien mené sa barque, un passionné d’innovation et de création.
Pour saisir sa personnalité, faisons un saut en arrière de quelques décennies. Dans les années 50, le Sauze du Lac – qui à l’époque ne s’appelait pas encore « du Lac » - est un minuscule village des Hautes-Alpes, de moins de 100 habitants. La famille Barneaud – Bernard a trois sœurs - y habite une petite maison dénuée de tout confort – pas d’eau chaude courante, toilettes dans le jardin, … Le père de Bernard est un « homme à tout faire » dans l’agriculture ; tous les matins, il descend à pied dans la vallée de l’Ubaye – 350 mètres de dénivelé - pour travailler dans une ferme ou s’occuper des champignons qu’il cultive dans un tunnel. Mais en 1957 débute la construction du barrage de Serre-Ponçon, dont la retenue va progressivement inonder la vallée, donc faire disparaître ses activités. En 1958 – Bernard a six ans – la famille se transporte à La-Roque-d’Anthéron, où à l’époque le château de Florans comporte une ferme. Son propriétaire, Paul Onoratini, n’a pas encore créé le Festival international de piano qui fait aujourd’hui la célébrité du lieu ; la ferme est installée là où sont maintenant vendus les billets. C’est de celle-ci que va s’occuper le père de Bernard. Ce dernier va en classe pour la première fois à six ans – avant, là-haut, dans les montagnes, ce n’était pas possible. Ecole communale de La Roque, puis internat au Lycée Vauvenargues à Aix-en-Provence de la sixième à la terminale. Aller au lycée à l’époque n’est pas une mince affaire, d’abord parce que dans la plupart des écoles, l’immense majorité des élèves s’arrête au certificat d’études. Ensuite car il n’y a pas d’argent chez eux ; envoyer Bernard au lycée représente donc un lourd sacrifice, mais ses parents se sont laissés convaincre par les instituteurs qu’il fallait le faire. Sept ans de pensionnat, ça forge le caractère, d’autant qu’il n’y a pas de vacances : quand Bernard rentre chez lui, il travaille aux côtés de son père. Il assume tout cela sans état d’âme ; il travaille bien en classe et il est déterminé : « je ne voulais pas avoir la même vie que mon père », dit-il, ce qui n’empêche pas un immense respect pour ce dernier.
Il concrétisera vraiment cette ambition en créant son entreprise. Auparavant, il passe un DUT puis enchaîne trois emplois dans différentes entreprises, où il se frotte au marketing, approfondit ses compétences techniques et se crée une réputation de compétence et de fiabilité. Son dernier employeur est une société familiale qui fabrique des casiers pour transporter et vendre des bouteilles de gaz. En 1991, alors que Bernard a 39 ans, cette société est rachetée par un groupe industriel, dans lequel il ne veut pas rester. Il franchit donc le pas et ose créer son entreprise, avec une petite équipe de huit personnes. Il met à profit l’expérience qu’il a acquise et Sudco va elle aussi produire des casiers pour bouteilles de gaz - gaz industriel, médical, gaz pour les particuliers. Pour lancer l’entreprise, il faut investir, mais les financeurs possibles voient plus facilement les risques que les opportunités. Et c’est à St-Etienne que Bernard trouve un industriel qui, conjointement avec sa banque stéphanoise, lui permet de démarrer son activité. Il faut aussi des surfaces importantes car son activité nécessite beaucoup de stockage. C’est à Mollégès que Bernard les trouve ; c’est donc là que s’implante Sudco.
A priori, le cœur de métier de l’entreprise est une industrie assez peu technologique, qui aurait pu être laminée au fil des années par la concurrence, notamment celle installée dans des pays dotés de coûts salariaux plus faibles. D’ailleurs, en 1991, cinq entreprises fabriquaient ces produits en France ; aujourd’hui Sudco reste la seule. Ce qui a fait la différence, ce sont justement les qualités de Bernard : la capacité à décrocher des marchés et à conserver ses clients ; un management techniquement compétent et attentif aux hommes ; la conviction qu’il est nécessaire d’innover en permanence pour tenir tête à une concurrence de moins en moins respectueuse et rendue universelle par la vertu d’internet ; l’enracinement dans son terroir. Le démarrage se fait sur les chapeaux de roue, grâce à plusieurs contrats en France et à un autre au Koweit : en 1991, c’est la guerre du Golfe. Fort de relations personnelles établies auparavant, Bernard fait un voyage de prospection dans ce pays, dévasté par l’occupation irakienne toute récente. Après plus d’une semaine de séjour dans un environnement difficile, face à des interlocuteurs encore sous le choc, Sudco emporte un contrat important avec la principale compagnie pétrolière du pays, qui demeurera un client régulier jusque très récemment.
Aujourd’hui, Sudco, dont Bernard a transmis les rênes à son fils, génère 10 millions d’euros de chiffre d’affaire et emploie soixante personnes sur près de 30 000 m² ; c‘est ainsi le premier employeur de la commune. L’entreprise a fait évoluer ses produits, elle a conçu et réalise des systèmes intelligents de distribution automatique de bouteilles de gaz. Une filiale spécialisée, WeDeal, a même été créée pour porter ces développements, qui anticipent les attentes d’une clientèle toujours plus exigeante. Bernard a créé Sudco, l’a maintenue, diversifiée et développée. Il peut en être fier. Au-delà des chiffres, il y a mis son cœur, sa passion de créer et son goût pour les activités manuelles et artisanales. Il aime dessiner, créer, « y compris des choses simples ». Il a « fait beaucoup de social », attentif au sort des hommes. Au sein de l’entreprise, il a mis en place une petite activité de serrurerie qui a permis de conserver un emploi à des salariés déjà un peu âgés et qui n’avaient plus la capacité physique de réaliser de nombreuses soudures dans la journée. Aujourd’hui, ce sont des robots qui réalisent les soudures, mais l’activité de serrurerie est toujours là.
Bernard s’est installé à Eygalières en 1987, à 35 ans. Cette idée lui trottait dans la tête depuis longtemps : lycéen puis étudiant, il a souvent fréquenté la boîte de nuit de La Jasse et découvert alors le village, où il n’a eu de cesse d’habiter. L’occasion s’est présentée lorsque, salarié à Saint-Rémy-de-Provence, il a pu acheter un terrain dans le village et y faire construire sa maison. Il est très attaché à son village d’adoption, à l’écoute des gens, n’hésitant pas à donner discrètement un coup de main à tel ou tel.
Avec neuf autres associés, il participe à l’aventure de la création du Café de la Place, dont il est l’un des gérants. Ce lieu convivial, ouvert chaque jour de l’année, contribue à l’animation et à la vie du village. Certains lui prédisaient un avenir incertain, et pourtant le Café a célébré en 2018 ses dix ans d’existence et joue pleinement son rôle.
Bernard reste aussi très impliqué dans la vie de sa famille, aux côtés de ses sœurs dont le parcours de vie a été moins favorable que le sien. Il a pu reprendre la maison des Hautes-Alpes où il est né et qui, avec l’ajout d’éléments de confort, est devenue un lieu de retrouvailles.
Désormais officiellement retraité, Bernard Barneaud peut se permettre de prendre du recul par rapport à son entreprise ; il s’autorise plus souvent la pratique de la chasse de l’autre côté des Alpilles, voire une escapade en bateau en Corse. Il a mené sa vie tambour battant, réalisant d’une certaine manière ses rêves d’enfance, ce qui ne s’est pas fait sans sacrifices personnels mais en conservant les valeurs qui lui ont été transmises et qu’il s’efforce de transmettre, en gardant le cœur sur la main, comme beaucoup peuvent en témoigner autour de lui.
19 janvier 2019