Eygalieres galerie de portraits

Françoise de Turckheim

Tenir son cap 

Figure familière du village depuis des décennies, Françoise de Turckheim y déploie sa silhouette mince, aujourd’hui un peu voûtée par l’âge, et affiche un visage toujours souriant. Connue pour une partie de sa vie mais méconnue par sa discrétion. A tous les âges de sa vie, elle a déployé les mêmes qualités d’énergie, de volonté, de tolérance, enveloppées dans une bienveillante courtoisie.

Il était une fois une jeune fille de famille nombreuse (la famille Husson), établie depuis le début du XIXè siècle dans les vestiges de la très belle abbaye cistercienne de Preuilly en Seine-et-Marne. Catholique, la famille a plusieurs branches, toutes aussi prolifiques. Notre héroïne est ainsi l’aînée de dix enfants, ce qui, aux yeux de ses parents, lui confère une obligation d’exemplarité qu’elle a essayé d’assumer. Mais, tout imprégnée qu’elle soit des valeurs de sa famille, elle est attachée à être elle-même, à vivre sa vie plutôt librement et à en assumer les conséquences. Ayant reçu une éducation classique et rigoureuse, elle fait ses premiers pas à l’hôpital de Montereau à l’âge de 18 ans en tant que secrétaire médicale et administrative. Elle ne cessera de travailler jusqu’à sa retraite, prise à 67 ans.

Elle a 15 ans à la fin de la guerre. Après son bac, elle rencontre un beau et grand jeune homme, qui plaît à toutes les filles ; les détails de l’idylle ne sont pas connus, mais les parents de la jeune fille ne voient pas cette idylle d’un bon œil ; tout cela leur semble bien rapide. Mais Françoise et Arnaud de Turckheim – puisqu’il s’agit de lui -, eux, n’ont pas de temps à perdre. Tout juste majeure, en juillet 1951, Françoise va épouser civilement Arnaud (elle est catholique, lui protestant, c’est donc un peu compliqué). Le mariage religieux sera célébré un an plus tard à St Pierre de Chaillot. Leur premier enfant, Marie-Cléophée, naît en juin 1953 à Montereau. Charlotte, Amaury et Amélie naîtront au cours des années suivantes.

Notre héroïne a épousé un homme qui lui est en quelque sorte complémentaire, voire son contraire. Elle est posée, lui est pressé ; elle apprécie la stabilité, lui veut bouger, changer tout le temps ; elle est prudente et économe, lui a le goût de la grandeur. Mais, immense qualité, elle sait s’adapter, faire face à beaucoup de choses sans cesser d’être elle-même. Les initiatives d’Arnaud la bousculent, mais elle s’y fait et reconnaît d’ailleurs que son mari réussit dans ses entreprises. Au début de leur vie commune, ils déménagent souvent au gré des opportunités signalées par des amis ou par des membres de la famille. A chaque fois, Françoise fait en sorte qu’ils soient « chez eux ». Mais il y a parfois des chocs un peu rudes : dans la clinique où elle vient d’accoucher de son premier enfant, Arnaud lui annonce qu’il vient de démissionner de l’emploi qu’il occupait chez « Kléber-Colombes » pour créer une entreprise de transport. Prise d’angoisse, Françoise, du coup, reste quelques jours de plus hospitalisée … 

Au cours des 27 années pendant lesquels ils vont rester mariés, quatre enfants naissent. SVP Transport, l’entreprise d’Arnaud, se développe ; Françoise y travaille à partir de 1962. Ils achètent une maison de campagne en Seine-et-Marne puis la revendent, une bastide à Chomerac en Ardèche qu’ils revendent aussi, une petite maison rustique en Irlande – où Arnaud pratique la chasse et la pêche. Au début des années 60, ils acquièrent un premier mas à Eygalières, dans le quartier de la Calefiguière. Survient un choc inattendu, aujourd’hui de notoriété publique : après mai 1968 Arnaud part en Inde. S’ensuit une période marquée par la présence intermittence d’Arnaud, qui s’achève par un divorce en 1978. 

Contre vents et marées, face aux changements, aux déménagements, aux crises, Françoise tient bon. Elle assure l’intendance qui va avec les nombreux changements de résidence ou de maison de campagne ; elle élève ses quatre enfants ; elle se débrouille pour faire face au quotidien, tout cela en affichant sérénité et optimisme. Elle fait preuve de résilience, d’énergie et d’inventivité. 

D’abord, elle travaille, beaucoup. Elle a fait des études de secrétariat médical, ce qui lui vaut son premier emploi à l’hôpital de Montereau, qu’elle occupe quelques mois. Elle parle anglais et comprend l’allemand. Cela lui permet de devenir ensuite secrétaire commerciale dans la filiale française d’une entreprise allemande de biens d’équipement (société KSB), puis elle entre dans un groupe de presse (Réalité et Connaissance des Arts), avant de rejoindre SVP Transport pendant huit ans. Son portefeuille d’activités y est large ; il comporte notamment les relations avec les organismes de la profession. En 1971 et 1972, Françoise suit la formation du CPA (Centre de perfectionnement aux affaires) assimilé plus tard par HEC, où les cours ont lieu le soir et le samedi. A l’époque, ses enfants ont entre 18 et 5 ans. Quelle énergie ! …

En 1976 – elle a alors 46 ans –, forte de l’expérience acquise à SVP Transport et de son diplôme du CPA, elle rejoint le groupe AFT-IFTIM, lié à la formation professionnelle dans les transports et la logistique. Elle y restera jusqu’à l’âge de la retraite. Au sein de cette entreprise, elle est pendant 14 ans la responsable permanente du FONGECIF-TRANSPORT, un organisme paritaire national qui associe la profession et deux ministères. Dans le cadre de la décentralisation, une réforme administrative la conduit finalement à organiser la dissolution de cet organisme, dont les compétences vont être réparties entre les régions. 

Par ailleurs, Françoise est sollicitée par des organismes internationaux d’étudiants en recherche de formations et d’hébergements ; pendant plusieurs décennies, elle va accueillir chez elle des étudiants étrangers lors de leur cursus à Paris. En rapport avec ces organismes, elle leur apprend par la même occasion « la vie à la française ». La formule rencontre beaucoup de succès et Françoise reçoit encore aujourd’hui la visite d’étudiants passés autrefois chez elle. Elle est en outre bénévole pendant 20 ans pour les Hôpitaux de Paris.

Lorsqu’elle ne suit pas les cours du CPA, lorsqu’elle peut avoir un week-end prolongé, Françoise charge ses enfants dans la voiture le vendredi soir et roule de nuit jusqu’à Eygalières. En effet, après la vente de la bastide en Ardèche, Eygalières est devenu l’un des ports d’attache de la famille, amenée dans cette région grâce à la présence en Avignon des beaux-parents de Françoise. Françoise, Arnaud et leurs enfants occuperont successivement plusieurs maisons avant de se poser au Mas Notre-Dame. Aujourd’hui, trois de ses enfants sont installés dans le village, sa fille Amélie vivant à Barcelone. Françoise a suivi la carrière de chacun d’entre eux, la botanique pour Cléophée, le spectacle pour Charlotte, entrepreneur et logistique pour Amaury, et la pratique de la « pleine conscience » et l'enseignement du français pour Amélie.

Arnaud de Turckheim lui aussi restera ancré à Eygalières jusqu’à son décès en février 2018. Toujours large d’esprit et fidèle à elle-même, Françoise apportera un témoignage positif lors du culte œcuménique célébré à cette occasion.

Femme de caractère sous des dehors très policés, Françoise est aussi femme de contrastes. Son comportement tout de dignité et de réserve va de pair avec une capacité à accepter ce qui peut la perturber. Attachée à maintenir la cohésion de la famille qu’elle a fondée, Françoise maintient également un lien étroit avec la famille Husson, dont elle ne manque pas les rencontres régulières, la dernière en septembre 2018 ayant réuni 300 personnes à l’occasion des 900 ans de l’abbaye de Preuilly, et n’oublie pas la branche alsacienne. 

Au fond, pour Françoise de Turckheim, le sens de la famille l’emporte sur tous les désagréments que la vie peut faire connaître et lui donne sérénité et optimisme.

26 novembre 2018