Eygalieres galerie de portraits

Emilie Cérésola

Un vrai conte de fées

Aimez-vous les contes de fées ? En voici un, avec des passages heureux et des passages cruels comme dans les vrais contes. Commençons donc par un passage heureux : il était une fois une petite fille issue d’une lignée d’enseignants. Habitant à Briançon, elle passait régulièrement une partie de ses vacances dans le petit maset que ses grands-parents avaient construit à Eygalières. La petite fille n’a pas encore d’idée sur son futur métier, mais un jour sa grand-mère lui dit « tu seras directrice d’école à Eygalières ». Elle n’écoute que d’une oreille mais n’oublie rien et, 35 ans plus tard, Emilie est la directrice de l’école communale d’Eygalières, ce qui la remplit de bonheur.

Effet du hasard ou de la nécessité ? Plutôt une combinaison d’événements, heureux et malheureux, avec en fond de tableau une aspiration profonde de la part d’Emilie. La vie d’Emilie, c’est d’abord une vocation que, par esprit de rébellion, elle s’est un temps refusée à accepter, mais qui semble profondément inscrite dans ses gènes : Emilie a l’enseignement dans le sang, elle en a hérité de ses grands-parents instituteurs et de son père professeur de français. Adolescente, juste pour s’affirmer, elle résiste aux instances familiales qui la poussent dans cette direction. Mais elle doit tout de même s’avouer qu’elle a envie d’enseigner et sa résistance s’effrite face à la voix de la raison et du cœur, si bien qu’à 23 ans, elle passe le concours de professeur des écoles.

Sa vie, c’est aussi l’équilibre entre les deux lieux qui comptent pour elle. Briançon, où elle est née car son père y avait été affecté ; elle y a passé son enfance, elle y retourne régulièrement. Et Eygalières, où sa grand-mère, dont elle s’est toujours sentie très proche, avait fait construire dans les années 60 un petit maset pour y faire prendre l’air à son mari invalide de guerre.

Et sa vie, c’est une succession de bonheurs et de malheurs. Bonheur bien sûr d’être aujourd’hui à Eygalières. Bonheur d’avoir épousé à 23 ans son « amour d’enfance » Sylvain Sola, puis en secondes noces Pierre Cérésola, de la naissance de ses deux garçons, Maxime et Alessandro. Mais dans sa vie familiale elle a aussi côtoyé le malheur. Si ses grands-parents ont choisi d’avoir un modeste pied-à-terre à Eygalières, c’est parce que son grand-père, hémiplégique, avait besoin de campagne, ce qu’il n’avait pas à Cavaillon. La mère d’Emilie, jeune retraitée, a fait récemment une chute de vélo dont elle est, elle aussi, restée hémiplégique. Elle habite maintenant près de sa fille, à Eygalières. Et en mai 1999, pendant sa première année scolaire, tout juste quelques mois après leur mariage, on découvre chez Sylvain une tumeur au cerveau, qui va l’affaiblir terriblement. Pendant plusieurs années, Emilie va le soigner, lui réapprendre à manger, à parler, à marcher, un dur chemin au bout duquel, alors que Sylvain a largement récupéré, ils se sépareront, restant « comme frère et sœur ». Sylvain a gagné un sursis, accompagné par Emilie et Pierre, mais il rechute et décède finalement il y a deux ans.

Tout cela a donné à Emilie un caractère que certains qualifieraient de « solaire » : une capacité à voir la vie du bon côté, à s’enthousiasmer sans rien s’occulter, à gérer des situations difficiles en faisant face avec optimisme. En s’appuyant sur les valeurs qui structurent sa personnalité : la cohérence, la loyauté, la fidélité.

Ces qualités lui ont été nécessaires dans sa vie professionnelle aussi. Une fois passé le concours de professeur des écoles, elle commence à enseigner dès la rentrée 1998, d’abord comme stagiaire, puis sur un poste de remplacement à la rentrée suivante. Elle ne commence pas par le plus facile, car elle est affectée à l’école joliment appelée du Clair Soleil, dans les quartiers Nord de Marseille. Là, elle découvre une population d’enfants à l’égard de laquelle les « valeurs de la République », qu’elle s’efforce de leur inculquer, semblent en fort décalage avec leur quotidien. Difficile d’expliquer à un enfant de sept-huit ans que son grand frère, qui gagne beaucoup d’argent, mène une vie qui pourrait ne pas le conduire bien loin… Emilie ne reste pas longtemps dans cet établissement car, en raison de la tumeur de Sylvain, qui vient d’être diagnostiquée, elle est affectée à Aix-en-Provence, puis à Orgon en 2001, où elle va rester 15 ans. Cette commune voisine d’Eygalières a une population plus nombreuse et plus diverse. D’abord enseignante, Emilie passe avec succès l’examen de directeur d’école, et devient directrice de l’élémentaire (à Orgon, la maternelle a elle-même une directrice). Celle-ci comporte une « Zone d’éducation prioritaire » (ZEP), avec des problématiques proches de celles qu’elle a connues à Marseille. Une mission exigeante mais qui ne la rebute pas, jusqu’au jour où les hasards des affectations déstabilisent l’équipe d’enseignants et compliquent son travail de direction.

C’est pourquoi, quand M. Gandolfi, le directeur de l’école d’Eygalières, s’apprête à partir à la retraite et incite Emilie, dont il connaît à la fois la compétence et l’attachement au village, à postuler à son remplacement, elle n’hésite pas beaucoup. Par chance, le fait d’avoir travaillé dans une ZEP lui donne des « points » dans le système d’affectation, ce qui contribue à sa nomination.

Elle arrive pour la rentrée 2015, « sur la pointe des pieds », comme elle dit, car l’équipe présente tourne bien et parce qu’une directrice d’école est d’abord une « facilitatrice ». Il faut bien dire par ailleurs que l’école communale d’Eygalières jouit d’un environnement privilégié. Avec ses 156 élèves aujourd’hui, six classes dont deux niveaux de maternelle, sept enseignants, c’est une petite structure. Selon Emilie, l’ensemble du personnel « donne le meilleur », la municipalité est à l’écoute, l’Association des parents d’élèves est active et en soutien. Le contexte particulier de ce village dynamique, éclectique, largement ouvert aux arts, que les lecteurs de la « Galerie » connaissent bien, complète le tableau. Pour sa directrice, cette école, « c’est un nid ». Un nid, c’est bien mais on ne doit pas s’y endormir et on doit apprendre à s’en envoler pour aller découvrir ensuite, en dehors, un monde qui s’avérera souvent plus rude.

C’est en ce sens qu’Emilie conçoit sa mission. Comme tout chef d’établissement de l’enseignement public, l’autorité qu’elle peut exercer est celle qu’elle doit à son rayonnement personnel. Elle met en place des activités fédératrices, si possible impliquant tous les élèves. Elle est ouverte aux propositions d’action faites par des parents d’élèves tout en rappelant que l’école est d’abord d’un lieu d’enseignement. Deux dimensions me semblent émerger. Celle des « valeurs de la République » d’abord, auxquelles Emilie est naturellement très attachée : « Nous n’avons pas attendu le centenaire de la grande Guerre pour aller au Monument aux morts » ; dans chaque classe se tiennent des « rendez-vous citoyens », … Et l’art : on peut citer quelques actions exemplaires. Ainsi, fin juin 2017, à l’occasion de la dernière édition du Festival de Musique d’Eygalières, plusieurs interprètes sont allés, avec leurs instruments - y compris le piano - offrir un concert aux élèves. Pendant l’année scolaire 2017-2018, un voyage collectif a été organisé à la Grotte Chauvet ; les élèves ont traduit leur vécu en œuvres picturales qui ont été exposées lors de la traditionnelle Expo de Printemps à la Salle des fêtes. Et cette année, ce sont les petits qui ont eu droit à une « master class » de peinture conduite par le peintre Tony Ramos (voir son portrait dans cette Galerie). Là aussi, leurs œuvres seront présentées à l’Expo de printemps.

Emilie Cérésola dirige donc une école parfaitement insérée dans son village. Elle-même entend bien rester longtemps dans son village de cœur et tout faire afin que l’école continue à être un « nid » pour ses élèves. Avec son mari Pierre Cérésola et ses deux fils, elle s’est installée chemin du Bagna, puis dans l’ancienne maison de « Lolo » Sicard (voir son portrait dans cette Galerie), et maintenant dans leur maison construite à côté du maset de la grand-mère. La boucle est bouclée. Un vrai conte de fées, oui.

28 février 2019