Eygalieres galerie de portraits

Serge Jodezyk

La force de la volonté, le choix de l'humanité

A Eygalières, rares sont ceux qui ne connaissent pas Serge Jodezyk. Son nom, bien peu provençal, chacun sait l’écrire car c’est ici qu’il est allé à l’école. Il en a hérité de son père qu’il a peu connu puisqu’il l’a perdu quand il avait 13 ans, mais sa mère, née Pélissier, est d’une famille eygaliéroise depuis des générations. Président bénévole de l’ADMR, association qui fournit des services d’aide aux familles du village, il s’intéresse à la situation de nombreux habitants. C’est un homme rond, au propre comme au figuré, aimable, toujours prêt à s’engager quand on le lui demande. Avant de revenir à Eygalières, il a servi 33 ans dans l’Armée de l’air, qu’il a quittée en 2009 avec le grade de lieutenant-colonel et où il a exercé de lourdes responsabilités. Pour lui, rien d’exceptionnel, juste le résultat d’opportunités qu’il a su saisir quand elles se présentaient : « J’étais le bon bonhomme au bon endroit, au bon moment », dit-il, ajoutant « J’ai eu une chance formidable ».

Serge, servi par la chance, ayant su simplement se saisir des opportunités qui se sont offertes à lui ? Pas si sûr. Quand on l’écoute confier son histoire, ce qu’on devine, c’est la part de la volonté, du courage d’aller vers l’inconnu mais aussi sa préoccupation et son goût pour les relations humaines. Et tout cela sans jamais perdre de vue ses racines maternelles, son ancrage en Provence, à Eygalières.

Sans s’être tracé de chemin à l’avance, sans diplôme prestigieux, il ose, travaille d’arrache-pied, s’impose et réussit. A l’issue de son service militaire, Il s’engage dans l’armée comme officier sous contrat et enchaîne des affectations très différentes, où il doit à chaque fois recommencer à apprendre ; il y réussit au point de souvent surprendre ses chefs. Discipliné, comme il convient dans l’armée, il a l’intelligence des situations et parvient à orienter les choix de ses affectations afin de rester proche de ses racines : sur 33 ans de carrière militaire, il en passe 18 en Provence - dont 13 sur le Plateau d’Albion. Il n’a pas peur de dire non : en 1995, alors à l’Etat-major des Forces aériennes stratégiques (FAS), on lui propose un poste très intéressant dans l’adaptation d’un nouveau système d’armes nucléaires pour le Plateau d’Albion. Or, plus de 18 ans après s’être engagé, il est toujours sous contrat et préfère donc un poste aux responsabilités moindres pour préparer sa reconversion, quitte à peut-être décevoir ses chefs. Est-ce alors une coïncidence si, quelques mois plus tard, on lui propose de devenir « officier d’active » (c’est-à-dire intégré statutairement dans l’armée) ?

Force de la volonté, capacité de travail mais avec une vraie dimension humaine. Serge le dit avec simplicité et modestie : « J’ai été officier. L’expérience militaire m’a appris à me sentir responsable d’un groupe d’hommes, donc à être près d’eux, à me soucier de leur quotidien, de leurs difficultés, de leurs aspirations. L’engagement au service du pays, la nécessité de tirer le meilleur de chacun, impliquent une dimension affective. Dans l’armée, c’est une dimension finalement assez courante même si chacun a sa manière de l’exprimer ». A l’issue de la mission de démantèlement des missiles du Plateau d’Albion à laquelle il a participé, l’unité qu’il commandait sera dissoute ; il s’occupe alors personnellement de « recaser » chacun des 23 officiers sous ses ordres, leur trouvant une affectation qui corresponde à leurs compétences et à leurs souhaits. Cette dimension humaine, c’est aussi l’attachement à ses racines, à sa famille. Et les responsabilités qu’il assume à l’ADMR depuis cinq ans.

Le courage d’aller vers l’inconnu. S’engager à 22 ans, affecté dans les « commandos de l’air », les unités chargés de la protection des bases. Sept ans plus tard, à 29 ans, être volontaire pour « apprendre » le système d’armes SSBS, c’est-à-dire les missiles du Plateau d’Albion. Un système très complexe, un sujet très technique, une responsabilité particulièrement lourde dans un domaine stratégique puisqu’Albion est à l’époque l’une des trois composantes de la dissuasion nucléaire française. Plus tard, il est volontaire pour travailler à l’Etat-major des FAS à Taverny. A 43 ans, il est appelé à l’Etat-major de l’armée de l’air, comme adjoint du Major général, le numéro deux de cette armée. Là, il s’investit en particulier dans le sujet de la protection du secret de la défense nationale, ce qui lui vaut dans la foulée une nomination au ministère de la défense, puis sa dernière affectation dans l’armée, responsable de la protection et de la sécurité de la défense pour le Vaucluse et les Bouches-du-Rhône, y compris en milieu industriel. Semble-t-il, à chaque fois Serge a confiance dans sa capacité à maîtriser le domaine dans lequel il s’engage, fût-il complexe et difficile. Il ose donc.

Il travaille d’arrache-pied, et il réussit. Dès son service militaire comme aspirant sur la base de Salon-de-Provence, à la surprise de ses chefs, il remet en ordre, de sa propre initiative, le bureau de gestion des matériels techniques auquel il avait été affecté. Huit mois seulement après son engagement, on lui confie la charge de créer un escadron de protection-défense sur la base de Contrexéville. Formé au système SSBS, il en devient rapidement un des spécialistes. Un an et demi après son arrivée au Plateau d’Albion, il est nommé instructeur dans ce domaine puis, au bout d’un an, chef des instructeurs. Il enchaînera plusieurs commandements autour de ce système, dont il sera le pilote opérationnel à Taverny. Et, pour finir, lorsque le président Chirac décide en 1996 de renoncer au Plateau d’Albion, Serge est choisi pour faire partie de l’équipe qui va démanteler le site, avec la lettre de mission suivante : « personne n’a encore jamais fait cela ; vous le ferez et vous n’avez pas droit à l’erreur ». Ils le font, avec succès.

Tout cela peut sembler simple, lisse et pleinement cohérent. Mais, dans un milieu très hiérarchisé, issu de la base, Serge a réussi à en imposer à ses chefs et donc à s’imposer, à force de volonté et de travail. Et grâce au soutien de son épouse, Martine, dont le rôle a été précieux pour son équilibre et la réussite de ses entreprises.

Il est fier de tout cela et évoque un souvenir qui l’a marqué : en décembre 1976, il était incorporé sur la Place d’armes de la base aérienne d’Apt, conscrit ordinaire sans idée précise sur son devenir. Vingt ans plus tard, sur la même Place, on lui remettait les insignes de chevalier de l’Ordre national du Mérite (il recevra la Légion d’Honneur en 2005) et, quelques mois plus tard, il prenait le commandement de l’Escadron de missiles stratégiques, le cœur opérationnel du Plateau d’Albion.

Rien ne le prédestinait à devenir officier, même si son père, d’origine polonaise, s’était engagé dans la Légion étrangère. Mais l’armée a « fait » Serge, elle lui a permis de vivre une carrière passionnante et il lui en est reconnaissant.

Après 33 ans, il quitte l’uniforme pour revenir à Eygalières. C’est d’ici qu’il vient, c’est ici qu’il est allé à l’école, c’est ici que vit toujours sa mère, qui est née au Mas des Péchiers. Tout au long de sa carrière, il est revenu très régulièrement participer à la vie du village. Cela représente pour lui un attachement très fort. Le jour qui suit son départ de l’armée, il s’engage dans la vie locale. Il se charge de la gestion administrative des « Jardins d’Eygalières », où il restera cinq ans. Et s’engage en 2013 à l’ADMR, d’abord comme trésorier, aujourd’hui comme président. L’ADMR, association gérée par des bénévoles, a été fondée à Eygalières en 1976. Elle emploie 14 salariés. 115 familles bénéficient de ses interventions quotidiennes, de trois sortes : aide à domicile pour les tâches domestiques, portage de repas, accompagnement – à pied ou en voiture – des personnes âgées pour de petits déplacements.

Après une carrière militaire menée à force de volonté, d’intelligence et de travail, Serge Jodezyk a retrouvé ses racines avec bonheur, bonheur de vivre dans cet environnement qu’il aime, d’y être actif et de pouvoir faire vivre cette dimension humaine si forte chez lui. Serge est un homme heureux, fier de son épouse Martine, de ses enfants Clément et Laure et de ses trois petits-enfants, Gabriel, Raphaël et Margot.

15 mars 2018