Eygalieres galerie de portraits

Guy Latourrette

Capitaine d'industrie au long cours

Voici un habitant d’Eygalières qui cultive la discrétion. Or, si je vous dis « Lacoste », à juste titre vous me répondrez « tennis » et « crocodile ». Eh bien, la marque Lacoste d’aujourd’hui, marque française réputée, présente partout dans le monde, doit beaucoup à Guy Latourrette : c’est lui qui, au cours d’une douzaine d’années, a été l’artisan de son impressionnant développement. S’il s’est gardé de jamais occuper le devant de la scène, ce grand patron s’est fait un nom respecté dans les deux mondes complexes du textile et de la distribution. C’est grâce à Alix sa femme, artiste peintre, qui a été l’élève de Joseph Alessandri à Marseille, alors que Guy y dirigeait le groupe SHRM, que tous deux sont arrivés dans notre village il y a un peu plus de dix ans. Depuis l’achat de leur mas en 2010, Guy y rejoint régulièrement Alix pour des périodes de tranquillité bienvenue. Tout au long de sa carrière, Guy Latourrette, par sa loyauté, son sens de la diplomatie, son goût des défis et son courage pour les relever, s’est acquis la confiance de grands actionnaires pour diriger avec succès des entreprises très différentes, dans le textile, la vente par correspondance ou la gestion de bases-vie.

Pour cela, il a bénéficié de trois atouts : une culture et des principes hérités des origines militaires de sa famille ; la pratique de la voile qui lui a appris à garder le cap malgré les caprices des éléments ; une épouse depuis toujours à ses côtés en toutes circonstances. En premier lieu, des principes et une loyauté à toute épreuve. L’amiral Lucien Latourrette, grand-père paternel de Guy, a commandé l’Ecole Navale en 1917-1918. Le général Laurent Latourrette, son père, était au rude combat de Monte Cassino en Italie en 1944. Le contrôleur général des armées Robert Jacomet, son grand-père maternel, a été secrétaire général du ministère de la Guerre de 1936 à 1940, à ce titre accusé au célèbre procès de Riom en 1942, et plus tard conseiller d’Etat. C’est ce grand-père, d’une large culture, auteur de plusieurs ouvrages de droit, qui a été un mentor pour Guy pendant ses années d’adolescence, alors que son père était en garnison en Afrique du Nord. Il en a hérité le sens du devoir et de la rigueur ainsi qu’une grande curiosité intellectuelle et un intérêt prononcé pour la chose publique.

Autre atout, la voile, qu’il pratique depuis l’âge de 10 ans : incontournable à Carnac, le lieu des vacances familiales, ce sport est devenu sa passion, à laquelle il se livre dès qu’il le peut. Or, les enseignements de la voile sont aisément transposables au monde des affaires : environnement toujours en mouvement, risques au quotidien, nécessité de surmonter ces éléments en gardant son cap et son calme.

Quant à Alix Levrat, dont il a fait la connaissance à 16 ans, qu’il a épousée à 23, la mère de ses trois enfants, Bruno, Mathieu et Ségolène, elle a fait d’emblée le choix de considérer que sa passion à elle, la peinture, était compatible avec la vie professionnelle de Guy, lui donnant ainsi une grande sérénité.

La place manque ici pour détailler le long et riche parcours professionnel de Guy, débuté en Tunisie dès 23 ans, et qui se poursuit encore aujourd’hui. Mais ce parcours fait d’occasions saisies et d’essais transformés, comme on dit au rugby, lui a valu de franchir des étapes successives, chacune lui permettant d’acquérir compétences et connaissances qu’il a valorisées par la suite. Comme si ces étapes avaient eu pour objectif de l’y préparer, le point culminant de sa carrière, ce sont certainement les années 1999 à 2010, où il dirige et restructure le groupe Devanlay, organisé à son arrivée autour de deux activités : une large gamme de marques de sous-vêtements et la gestion de la marque Lacoste, elle-même détenue principalement par la famille éponyme. Jouant sur tous les leviers de l’entreprise sans en négliger un seul, y veillant personnellement, portant un intérêt tout particulier aux produits et à leur attractivité, il recentre l’activité sur la marque Lacoste, plus prometteuse que les sous-vêtements. Il refond la gamme grâce à l’embauche de directeurs artistiques, réorganise la production, dynamise les ventes en France et surtout à l’étranger, où elles connaissent une explosion. Ainsi en douze ans il double la part des ventes internationales dans le chiffre d’affaires, lui-même en forte progression, tandis que la rentabilité rejoint celle de grandes marques comme Vuitton ou Hermès.

Ce succès, il le doit à son savoir-faire en management, dont il a alors pu donner la pleine mesure, au fait qu’il connaissait l’entreprise depuis 25 ans, mais peut-être surtout à la confiance de l’actionnaire, en l’occurrence le discret groupe familial suisse Maus. Cette capacité à susciter et conserver la confiance d’actionnaires très différents les uns des autres est sans doute un trait caractéristique de Guy Latourrette. Jugez-en : au début des années 80, embauché une première fois par le groupe Devanlay, il est placé sous l’autorité de deux fortes personnalités, Pierre Lévy, président, et Léon Cligman, directeur général, qui, bien qu’ayant des liens familiaux, ne s’entendent pas. Néanmoins, tous les deux lui font confiance. En 1987, la famille Maus, actionnaire de La Redoute, ce champion de la vente par correspondance qui avait besoin d’une nouvelle dynamique, appelle à sa tête Guy, alors âgé de 41 ans. Malgré son jeune âge, il relève brillamment le défi : image de l’entreprise grandement améliorée, gamme de produits modernisée et désormais souvent conçus par La Redoute elle-même avec le concours de créateurs. L’attractivité des produits s’accroît et avec elle les résultats de l’entreprise. Mais en 1991, à la suite de déboires aux Etats-Unis, la famille Maus vend toutes ses activités internationales, dont La Redoute. Une dizaine d’années plus tard, elle saura cependant se souvenir de cette réussite lorsque, sa situation apurée, elle deviendra l’actionnaire de Devanlay dont elle confiera les rênes à Guy. En attendant, c’est François Pinault qui rachète La Redoute. Celui-ci maintient Guy en fonctions, lequel travaille pendant quatre ans avec cette autre forte personnalité, qui exerce un contrôle particulièrement vigilant sur la gestion de cette entreprise alors la plus rentable de son groupe.

Et pourtant, si on ne refait pas l’histoire, on peut se demander comment la vie professionnelle de Guy aurait évolué s’il n’avait pas été frappé par un risque majeur : un glaucome qui a bien failli lui faire perdre la vue. Car la première opération s’est mal passée. Guy prend alors conscience de sa vulnérabilité : il a 49 ans et une famille à protéger ; si l’opération de l’autre œil échoue, son avenir professionnel est compromis. Il se rend compte qu’il doit être à lui-même son propre assureur et se constituer en quelque sorte une « assurance-vue ». L’occasion lui en est donnée lorsque, remis de sa seconde opération qui, elle, est un succès, il est associé au capital de la SRHM. Ce groupe marseillais de 30 000 personnes, leader mondial des bases-vie (ces lieux implantés dans des pays difficiles pour gérer des chantiers, des sites d’exploitations de gisement, etc … ), mais actif également dans la restauration collective, cherche alors un directeur pour le redresser. En quatre ans, Guy réorganise les activités, met l’entreprise « au carré » et en multiplie plusieurs fois la valeur, à sa propre satisfaction et à celle des actionnaires, cette fois-ci quatre familles originaires de Corse. Ce sont d’ailleurs ces années marseillaises qui figurent parmi les plus belles de la vie de Guy et d’Alix. La chaleur de l’accueil, les sorties en mer tous les week-ends, de fréquents tours en Méditerranée sont autant de bonheurs, des bonheurs d’autant plus intenses que la menace de la cécité a disparu.

Depuis 2010, Guy a « pris sa retraite », las de passer la moitié de son temps en voyage. Néanmoins, il a été coopté au conseil d’administration du groupe Maus lui-même et est devenu un « business angel » au service de jeunes entreprises en devenir. Mais aujourd’hui, lucide et soucieux de préserver sa santé, après plus de cinquante ans de vie professionnelle intense, Guy Latourrette a décidé qu’il était temps pour lui de lever le pied pour de bon. Nul doute cependant qu’entre les croisières sur le voilier ancré à Marseille et l’accueil de leurs enfants et petits-enfants, Guy et Alix continueront d’avoir une vie bien remplie.

4 mai 2021