Eygalieres galerie de portraits

René Marcellin

Fier d'être paysan

Petit-fils et fils de berger, gendre d’agriculteur, René Marcellin revendique l’appellation de paysan, plus une vocation qu’un métier, plus une culture que des techniques. Le monde rural est le sien, il y est né, il y a travaillé dès l’âge de 14 ans et pendant cinquante ans, aux côtés de son épouse Monique. Il a vécu les bouleversements qu’a connu l’activité agricole, sans baisser les bras. Dur à la tâche, volontaire, doté d’une personnalité affirmée, René est aussi, peut-être surtout, un homme généreux, ouvert aux autres. Il est l’homme d’une passion, celle des chevaux : les chevaux, qu’il côtoie depuis tout petit, qu’il monte depuis qu’il est adolescent, et dont il a fait une partie de son activité professionnelle avec le tourisme équestre. Les chevaux, enfin, dont il a su mettre la sensibilité au service de personnes handicapées.

Dans une famille de sept enfants, dont cinq garçons, il faut parfois se bagarrer pour tenir sa place. René apprend donc tôt à se bagarrer et forge ainsi son caractère. C’est à Saint-Andiol qu’il grandit dans les années 50-60, quatrième de la fratrie, et qu’il se frotte à la vie agricole. Il participe aux travaux ; à l’époque de la transhumance vers Moustiers-Sainte-Marie ou ailleurs dans les Alpes, à pied ou sur l’âne, il lui arrive d’accompagner son père, « le Vieux », que chacun dans la région identifie à sa pipe. Autour de lui, il y a déjà des chevaux ; il y en aura toute sa vie. Certificat d’études en poche, il est mis au travail dès l’âge de 14 ans. Petit épisode cocasse, ses parents n’ont pas pris garde que les règles avaient changé et que depuis 1959 l’école était devenue obligatoire jusqu’à 16 ans. Qu’à cela ne tienne, il ira à l’école d’agriculture de Châteaurenard une semaine par mois, en parallèle à son travail. Ou plutôt à ses travaux car, ouvrier agricole au service de plusieurs patrons, il jongle avec les activités : manutentionnaire qui charge fruits et légumes sur des camions, travaux aux champs ou dans les vergers. Il apprend à tailler les arbres fruitiers, activité qu’il pratique d’abord dans la région, puis plus loin, à Béziers, Montpellier, dans les Alpes, au sein d’une équipe d’une vingtaine de garçons. Il ne ménage pas sa peine et est apprécié de ses employeurs. Dès 15 ans, il a l’opportunité de se rapprocher des chevaux : apprenant qu’un certain M. Regudy, à Cabannes, cherche quelqu’un pour les dresser et faire des promenades équestres dans les Alpilles, il se présente. Il semble savoir y faire, on l’embauche donc. Sur le tas, il apprend à débourrer et à dresser les chevaux. Débourrer, c’est travailler le cheval pour qu’il accepte l’homme. Le dresser, c’est le faire obéir à l’homme. Et René parcourt les Alpilles à cheval, un grand bonheur pour lui.

A 18 ans, René fait la connaissance de Monique Féraud, qui sera son épouse et la mère de ses deux enfants, Thierry et Christelle. Ils se marient alors que René n’a pas encore 19 ans. C’est le début d’un long parcours côte à côte, « elle travaillait mieux et plus vite que moi », dit René. Un parcours commun, interrompu il y a une dizaine d’années par un grave syndrome qui ne permet à Monique de marcher qu’au prix de lourds traitements réguliers.

Monique est la fille unique d’un agriculteur d’Eygalières, dont la famille y habite depuis le XVIIe siècle. René a donc vocation à travailler aux côtés de son beau-père et à reprendre son exploitation le moment venu, ce qui ne va pas de soi. Aimé Féraud, personne respectée, a aussi une forte personnalité et 40 ans de plus que son gendre. René doit donc s’adapter et faire la preuve de sa compétence auprès de son beau-père : « j’ai été mis à l’épreuve, on ne me faisait pas de cadeaux », dit-il. Il passe l’examen haut la main et sera alors encensé par son beau-père, pour lequel lui-même professe une grande admiration. Au cours de sa vie, il s’est souvent demandé « ce que Aimé aurait fait à [sa] place ». Mais leurs caractères se heurtent parfois. Lorsqu’Aimé prend sa retraite, peu après le mariage de sa fille, René supporte difficilement la présence affectueuse mais assez intrusive de son beau-père. Il le convainc alors de partir voyager en Europe, ce dont Aimé sera finalement heureux.

A la tête de l’exploitation de son beau-père, René la modernise, il y installe des serres Richel, un rêve qui remonte à ses premières années de travail. Ce métier d’agriculteur, qu’il va exercer pendant cinquante ans, avec Monique à ses côtés, il l’adore et le trouve très gratifiant. D’une certaine manière, il a communiqué ce goût à son fils, aujourd’hui chef de culture au domaine viticole de la Vallongue. Sa fille, elle, est secrétaire médicale dans une unité spécialisée dans le traitement de la douleur.

Si René adore son métier d’agriculteur, sa véritable passion, ce sont les chevaux. Avec eux, il a connu quelques temps forts, comme lorsqu’à partir de 15 ans il a travaillé avec eux et les a emmenés en chevauchée dans les Alpilles. Depuis lors, il n’a jamais cessé d’avoir des chevaux, de les monter. C’est lorsqu’il atteint la cinquantaine qu’il commence à en faire une activité professionnelle. Tout débute deux ans plus tôt ; les deux enfants ont quitté la maison, il y a de la place disponible. Sur la suggestion d’un ami de Mouriès, qui tient un gîte d’étape, ils décident d’ouvrir eux-mêmes un gîte. Cette activité démarre en flèche, devient une source de revenus qui à certains moments dépasse même les revenus agricoles, mais elle est surtout source de rencontres avec des personnes de toutes sortes, « du directeur au balayeur », dit René. Son empathie, son goût du contact, comme ceux de Monique, font merveille. Puis en 2005, sollicité par plusieurs de ses clients, il se met à organiser des promenades accompagnées dans les Alpilles. C’est l’occasion pour lui de faire œuvre de pédagogie sur la végétation, la faune et l’histoire de la région, et de partager des moments de plaisir avec ses clients, dont certains sont devenus des amis.

Pratiquant ainsi le tourisme équestre, René rend hommage à un précurseur, Henri Roque, « L’homme à cheval », une figure plus qu’ambigüe en raison de ses activités pendant la guerre, mais une personnalité qui a pratiquement créé le tourisme équestre en France dans les années soixante, avec sa chevauchée jusqu’à Paris vers le Salon de l’agriculture de 1961 et le pèlerinage équestre à Saint-Jacques-de-Compostelle à partir d’Eygalières, lancé en 1963. Ses rencontres à cheval organisées chaque année ont attiré dans le village jusqu’à 200 à 300 cavaliers venus de toute la France, et suscité l’intérêt d’institutions prestigieuses comme les Haras Nationaux ou le Cadre Noir de Saumur, contribuant ainsi, dans les premiers, à la notoriété d’Eygalières. Sans oublier son rôle pour acclimater le cheval auprès des jeunes de la région, nombreux à avoir monté chez lui.

René, cependant, ne va pas limiter son activité au seul tourisme équestre. Un nouvel épisode, très riche sur le plan humain, s’ouvre en effet en 2010, lorsque Monique et lui accueillent chez eux des personnes trisomiques, pour des séjours de trois semaines dans un but thérapeutique. Travailler de leurs mains dans un atelier, fréquenter les chevaux, apporte à ces personnes calme et sérénité. René les aide à surmonter leur peur de l’animal et suscite ainsi la naissance d’une relation entre l’homme et l’animal. René est d’ailleurs époustouflé par la capacité que les chevaux, y compris de tout jeunes, ont à comprendre la situation et à adapter leur comportement à ces personnes. A cette époque, son petit-fils Valentin, aujourd’hui conseiller municipal (voir son portrait dans cette Galerie), est fortement marqué par cette expérience qui détermine son choix d’orientation professionnelle. Toutefois, au bout de six-sept ans, le centre de Nancy d’où viennent ces personnes a commencé à envoyer des cas plus lourdement atteints. L’alchimie fonctionne moins bien. René arrête donc cette activité mais reste en contact avec plusieurs de ses « résidents ».

Généreux avec les gens, généreux avec la nature, René Marcellin est membre du « Syndicat des arroseurs », composé de bénévoles qui gèrent et entretiennent les nombreux canaux d’irrigation autour du Canal des Alpines. N’était l’état de santé de son épouse Monique, il serait un homme parfaitement heureux, paysan toujours, entouré de ses deux enfants et de ses trois petits-enfants.

10 avril 2023