Eygalieres galerie de portraits

Bernard Wibaux

En accord avec sa vie

Figure du village depuis des décennies, membre du Conseil municipal pendant trente-quatre ans, longtemps adjoint de Félix Pélissier puis de René Fontès, et maire lui-même pendant une année après le brusque décès de ce dernier, Bernard Wibaux a décidé de prendre du recul. Jeune diplômé en aménagement rural, c’est presque par hasard qu’en 1980 il s’est installé avec son épouse Marie-Christine dans notre village, qu’il n’a plus quitté depuis lors. Ce qui est bien compréhensible puisqu’il y a trouvé tout ce qu’il souhaitait : la possibilité de vivre dans un environnement rural, au plus près de la nature ; l’opportunité de mettre en œuvre au sein du Conseil municipal les pratiques et les projets qu’il concevait et appliquait au quotidien dans son métier ; des femmes et des hommes, une collectivité indiscutablement dynamique. Volontaire, énergique, rapide, Bernard a mis ces qualités au service de son double engagement, professionnel et communal, entrelaçant pendant trente-quatre ans ses savoir-faire acquis dans ces deux vies parallèles.

Paradoxe pour cet homme né dans une grande ville, Lyon, dans une famille originaire d’une autre grande ville, Roubaix, c’est la nature, la ruralité qui attirent Bernard, lequel est parvenu à mener une vie en adéquation avec cette profonde aspiration. Pour son équilibre personnel, il a besoin de nature et de solitude, mais il éprouve aussi l’envie de servir en s’engageant pour la collectivité, ce qui le place sous le regard des autres et en fait un être social presque par devoir. Au bout du compte, il a su concilier ces deux aspects de sa personnalité. Mais au fond, il n’est jamais aussi pleinement heureux qu’au cœur de la nature, lorsqu’il entretient ses étangs dans la Dombe, menacés par le réchauffement, ou dans les Alpilles au lever du jour, avec son chien aux aguets, lorsqu’il chasse le petit gibier.

Né au milieu d’une fratrie de six, dont les parents avaient des occupations professionnelles qui les retenaient souvent loin de la maison, Bernard a très tôt appris à se débrouiller seul. Ce qui pour d’autres aurait pu être une contrainte est devenu un atout pour lui. En allant, jeune, découvrir le monde sac au dos, seul le plus souvent, il a vécu des expériences qui l’ont beaucoup marqué. Au Cameroun, avec une belle-sœur entomologiste, il collecte des centaines de moustiques porteurs de maladies tropicales. Il parcourt en stop l’Angleterre, l’Ecosse et même l’Irlande du Nord, où pendant une journée il côtoie la guerre civile, découvrant une réalité tragique qu’il n’imaginait pas un instant. Mais son souvenir le plus vif est celui d’un séjour dans un ranch au Montana, au cœur des Rocheuses. Un jeune rencontré lors d’un voyage lui a dit qu’il avait travaillé au Montana, et cette idée titille Bernard. Sans trop y croire, il écrit au ranch en question, reçoit une réponse positive et se prépare donc à partir. C’est une vraie aventure : le charter pour New-York arrive très en retard, Bernard passe un morceau de nuit sur le sol de l’aéroport dans son sac de couchage, il est dégoûté par l’horrible odeur de la ville engloutie sous les ordures par la grève des éboueurs. Puis, pendant trois jours et trois nuits, il voyage en car Greyhound, faisant des rencontres improbables. Ainsi, de cet indien qui habite dans une réserve et l’invite chez lui, mais Bernard à son grand regret ne peut accepter car on l’attend à l’arrivée. Et là, sur le quai de la gare routière, il rencontre une incarnation de Lucky Luke, qui a troqué son cheval Jolly Jumper contre un énorme 4x4. Pendant cinq semaines, Bernard va travailler comme garçon de ferme, découvrant ce monde nouveau pour lui, l’immensité des territoires et des exploitations. C’est à cette occasion qu’il fait une excursion à Wibaux, une bourgade fondée par un arrière-grand-oncle un siècle plus tôt. Il y est accueilli avec tous les honneurs, et y retournera vingt ans plus tard avec quatorze membres de sa famille. Il faut dire que la famille Wibaux est fort nombreuse : Bernard se compte deux cents cousins …

Tourner le dos à la ville, Bernard a fait ce choix dès son enfance : il a découvert la nature dans la ferme qu’avait son grand-père dans l’Ain, un lieu où il se précipitait dès qu’il le pouvait. C’est cela qui a orienté ses études, d’économie agricole à Vincennes puis d’aménagement rural et de cartographie à Montpellier. C’est là qu’il fait la connaissance de Marie-Christine Ribe, qui suit presque les mêmes études que lui et qui deviendra sa femme et la mère de ses trois filles. Et c’est cela qui oriente son choix professionnel : à 27 ans, il est embauché à Avignon par le Comité départemental pour l’habitat rural, une association où figurent tous les acteurs institutionnels du développement rural. Cette association changera plusieurs fois d’appellation ; Bernard va y gravir tous les échelons et le diriger pendant vingt ans, jusqu’à sa retraite, prise il y a cinq ans. Sa mission initiale consiste à mettre en place des politiques d’aménagement de l’habitat au bénéfice des habitants du monde rural. Puis son champ d’action s’étend à l’architecture : c’est ainsi qu’on lui confie en parallèle la direction d’une coopérative dans ce domaine.
Aussi, il n’y a rien d’étonnant à ce que Bernard veuille faire assez rapidement bénéficier Eygalières de ce qu’il a appris. Il est vrai que les difficultés de logement, il connaît. Marie-Christine et lui, au tout début de leur installation dans le village, ont emménagé place de l’église, dans un endroit sans aucun confort – un logement qui leur avait été signalé par une collègue de Bernard, la fille de Mme Corsesaint, directrice de l’Atelier de tapisserie Bobin installé dans le village. Ils prendront encore deux autres locations avant d’acheter la maison où ils sont maintenant installés, depuis plus de trente ans. A Eygalières, le jeune couple déborde d’énergie, il s’implique activement dans la vie du village, monte les premières séances de cinéma itinérant. Bernard joue au foot, va à la chasse. A cette époque, c’est un « baba cool », barbe et cheveux longs. Félix Pélissier, maire du village depuis 1977, ne manque pas de remarquer « Monsieur Brun », comme on le surnomme, et va le prendre à ses côtés. Il lui demande de travailler sur la mise en place de logements sociaux – que l’on va appeler « logements à loyer maîtrisé » - indispensables pour maintenir les jeunes au village. Aux élections de 1989, Bernard est élu au Conseil municipal sur la liste conduite par Félix Pélissier. Il en restera membre pendant trente-quatre ans, adjoint de Félix Pélissier puis de René Fontès, responsable des finances municipales et de l’urbanisme. Mais son principal sujet de fierté est la création des programmes de logements sociaux dans le village, six à ce jour, ainsi que celle de la zone d’activité des Grandes Terres, l’ensemble permettant à ceux qui le souhaitent d’habiter au village et d’y travailler, contribuant aussi au maintien de l’école communale. Il travaille beaucoup, il prend des décisions, parfois clivantes, ce qui, dit-il, lui vaut quelques inimitiés.

Les dernières années se sont faites plus difficiles, avec le brusque décès en 2019 de René Fontès, qui avait succédé à Félix Pélissier onze ans auparavant, puis avec la pandémie, qui a pesé lourd sur la collectivité et sur les élus. Se sont ensuivi deux élections municipales successives ; Bernard a été maire d’Eygalières pendant une année, en 2019-2020.

Il y a quatre mois, Bernard Wibaux a démissionné de ses mandats au Conseil municipal et à la Communauté de communes. Cette prise de recul lui permet de porter aujourd’hui un regard serein sur cette période, finalement une simple étape de sa vie. C’est qu’au total, il reste ébahi d’avoir pu vivre toute sa vie d’adulte dans l’environnement qu’il souhaitait pour lui-même, une vie qui correspondait à sa personnalité et à son goût pour la nature. « J’ai eu une vie de rêve », dit-il. Le soutien de son épouse n’y a sans doute pas peu contribué. Sa nouvelle activité d’exploitant piscicole dans la Dombe le comble elle aussi : seul dans la nature, il entretient ses étangs, dont il craint cependant la survie menacée par la raréfaction des précipitations. Il se rend ainsi plus souvent dans leur maison de l’Ain, agrandie pour pouvoir accueillir toute la famille, à laquelle Bernard est très attaché. Il a eu le bonheur de marier lui-même à Eygalières chacune de ses trois filles, Mélanie, Christelle et Sandrine. Et le bonheur familial se poursuit, avec elles, leurs conjoints et les cinq petits-enfants, bientôt six précise-t-il.

30 octobre 2023