Eygalieres galerie de portraits

Claudine Leclercq

La femme qui déplace les montagnes

Pour tous les Eygaliérois, Claudine Leclercq est avant tout la présidente de l’Association pour la Musique à Eygalières, la créatrice et l’organisatrice du Festival de Musique d’Eygalières. Grâce à elle, pendant dix ans, de 2008 à 2017, le Mas de la Brune a accueilli un événement devenu, au fil du temps, majeur dans la vie du village. Cela n’allait pas de soi, loin de là ! La musique classique à Eygalières ? Un objet inconnu, voire élitiste, « pas pour nous », disaient certains. Créer un festival ex nihilo, alors qu’il y en avait déjà tant dans la saison, alors que les artistes sont sollicités de partout ? Une idée folle… Et pourtant, non seulement le Festival a vu le jour, mais il a « marché » dès la première édition. D’où ce commentaire du regretté Etienne Vatelot, emblématique luthier et indéfectible soutien de ce Festival : « Dès le début, tout a fonctionné comme si le festival avait déjà vingt ans ».

Quels sont les ingrédients de ce succès ? Il y en a beaucoup, mais en premier lieu la personnalité de Claudine Leclercq. Claudine, c’est la passion, l’intelligence et la détermination. Il suffit de l’entendre dire « j’adoooore » pour comprendre qu’elle n’est pas dans la demi-mesure. Une femme pleine d’énergie, qui sait se passionner, capable de transformer une intuition en une réalité concrète, et que rien n’arrête : « quand quelque chose me passionne, je suis prête à déplacer des montagnes ». Capable aussi de conduire en « entrepreneuse » une véritable aventure, pendant dix ans, en progressant chaque année.

Née à Eygalières, Claudine Leclercq se marie dès 21 ans et suit son mari architecte, d’abord en Algérie pour un service civil de deux ans, puis à Lille où ils s’installent. Elle y restera 35 ans, revenant régulièrement à Eygalières pour les vacances. « Le Nord, j’ai adoooré ! ». Naissent deux garçons. En se mariant, Claudine a interrompu ses études de lettres et d’anglais à Aix-en-Provence. A Lille, elle trouve un emploi dans la communication. C’est une époque bénie, le sujet de la communication monte en puissance ; le dynamisme et l’enthousiasme de Claudine y font merveille. Elle se forme sur le tas, à coup de stages, notamment à l’Ecole de journalisme de Lille. Pendant tout son séjour dans le Nord, elle travaillera dans ce secteur, d’une entreprise à l’autre, à chaque fois débauchée par un nouvel employeur. Parmi ses expériences les plus fortes, elle évoque son travail pour le Palais des Congrès (doté d’un grand hall d’exposition et d’un Zénith), en construction lorsqu’elle y est embauchée. Un puissant outil de valorisation d’une ville et d’une région à l’image alors passablement négative. Toujours entreprenante, Claudine milite dans diverses associations pour redresser cette image, tellement elle est convaincue des atouts du Nord, peuplé de gens actifs, positifs, conviviaux. Les responsables de la communication de nombreuses entreprises et institutions se retrouvent pour créer des événements ou pour insérer la promotion du Nord dans des manifestations nationales, comme le départ du Tour de France.

C’est dans ce cadre qu’elle côtoie l’Orchestre national de Lille et son directeur Jean-Claude Casadesus, avec lequel elle noue des relations d’amitié. Claudine a toujours aimé la musique, sa mère écoutait des airs d’Offenbach ou de Strauss, elle-même écoutait de la « bonne chanson française ». Il est vrai que, pour elle, la musique est aussi « source de frustration » car elle ne sait pas « faire de musique », bien qu’elle ait suivi des cours de piano quand elle était petite. Pensionnaire à Aix-en-Provence, elle s’est inscrite aux Jeunesses Musicales de France et est allée à tous les concerts. A Lille, elle peut poursuivre cette acculturation en allant écouter l’orchestre au Nouveau Siècle. Une pierre de plus sur son chemin – qu’elle ne soupçonne pas, bien sûr – vers le Festival de musique d’Eygalières.

Lorsque, au début du nouveau millénaire, son mari et elle finissent par avoir une résidence secondaire à Eygalières, il lui faut peu de temps avant de prendre conscience que, si le Nord c’est très bien, Eygalières c’est tout autre chose… Bref, elle s’y réinstalle, crée des chambres d’hôtes, et parcourt la région. Elle est souvent invitée à des concerts privés et en arrive à se dire « Pourquoi pas à Eygalières ? » Mais comment faire ? Elle considère que sa culture musicale est modeste, elle n’a pas de contacts particuliers dans ce milieu, l’environnement institutionnel est plutôt réticent… Comme je l’ai dit, rien ne l’arrête ; même incertaine de ses compétences, elle ne doute pas de parvenir à ses fins. Modestement, elle relativise l’exploit : « Finalement, créer des événements de grande ampleur, c’est ce que j’ai fait dans ma vie professionnelle ; ça ne me faisait pas peur ».

En parallèle, mais de manière distincte, elle accepte de rejoindre la liste municipale de René Fontès et sera de 2008 à 2014 sa « ministre de la culture ». Claudine est contente d’avoir exercé ce mandat mais son impatience naturelle y était mise à rude épreuve : « Je suis une active, quand j’ai une idée, il faut la mettre en œuvre tout de suite ». Dans une municipalité, les choses sont un peu plus compliquées…

Pour ce qui est du Festival, les choses sont claires dans sa tête : elle n’a pas droit à l’erreur. Il faut un très beau lieu, un programme équilibré, entre œuvres « faciles » et moins faciles mais avec de la pédagogie, et les meilleurs interprètes. Le lieu : le Mas de la Brune s’imposait de lui-même, encore fallait-il que ses propriétaires en soient d’accord. Claudine va donc voir Marie et Alain de Larouzière (voir le portrait de Marie de Larouzière dans cette Galerie), qui tout de suite sont enthousiastes et dont la propriété hébergera le Festival pendant ses dix ans d’existence. La conférence d’ouverture sera l’élément pédagogique recherché. Quant aux interprètes, il fallait savoir qui contacter puis convaincre les artistes de participer. Conseillée par Etienne Vatelot qu’elle a elle-même abordé et qui l’a soutenue, stimulée, encouragée, elle s’est mise à l’ouvrage avec les résultats que l’on sait. Elle a énormément travaillé pour parfaire ses connaissances en musique ; « A l’écoute de mes interlocuteurs, j’étais une éponge », dit-elle.

Dans un festival, il y a le fond, bien sûr, la musique, mais également toute une mécanique de préparation et d’exécution. Pour cela aussi, Claudine a beaucoup travaillé ; elle a constitué une équipe de bénévoles qui l’ont accompagnée tout au long des dix années : les finances du Festival ne permettaient pas d’embaucher, fût-ce à temps partiel. Au premier rang de cette équipe, le trésorier, Jean-Marie Isambert, a en outre interprété la « voix de la sagesse » auprès d’une présidente souvent prête à s’enflammer, parfois un peu rapidement.

Avec tous ces ingrédients et sa spécificité, le Festival de Musique a créé à Eygalières un vrai public, composé certes de passionnés de musique mais aussi d’Eygaliérois de tous âges qui y ont découvert que la musique classique n’était pas une distraction inaccessible aux non-initiés et qui au contraire y ont pris du plaisir.

Après dix éditions, la décision a été prise d’arrêter le Festival. Toute l’équipe a dix ans de plus, les propriétaires du Mas de la Brune aussi, qui ont dit qu’ils ne souhaitaient plus continuer. Or, le caractère exceptionnel du Mas de la Brune, où les participants avaient le sentiment d’être « reçus », a contribué de manière décisive au succès du Festival. Après moult hésitations, Claudine Leclercq a conclu que, dans ces conditions, le Festival ne pouvait pas continuer. Il valait mieux s’arrêter sur une sorte d’apothéose que risquer le déclin. Grâce aux contacts pris avec le Festival de la Roque d’Anthéron, la musique classique continuera à vivre à Eygalières, mais d’une autre manière. Claudine Leclercq conclut : « Pour nous tous, il était temps d’arrêter. Toute ma vie, j’ai su tourner la page quand il était temps, sans regrets ». Et pourtant, c’est comme si une bonne partie de sa vie antérieure avait été consacrée à préparer l’aventure du Festival…

Tourner la page ne veut pas dire fermer le livre. Gageons que la femme qui déplace des montagnes ne va pas se mettre au repos mais continuera à nous étonner.

3 mars 2018