Chantal Lemaire
Le cheval avant tout
Janvier 1984. Chantal Lemaire est visiteuse médicale. Avec son mari Lucien, elle habite à Fontvieille, où elle possède deux chevaux. Dans un coin de sa tête, elle nourrit depuis longtemps le rêve de pouvoir s’adonner pleinement à sa passion pour les chevaux, qu’elle entretient depuis toute jeune. Et pourquoi pas en créant un centre équestre. Ce jour-là, elle passe à Eygalières. Il neige. Le village l’éblouit. Elle y découvre un mas à vendre, entouré d’un terrain d’un seul tenant, suffisamment grand pour réaliser son rêve. Et depuis lors, Chantal habite à Eygalières où, après quelque temps, elle a créé son Centre équestre, qui fonctionne depuis 25 ans.
Chantal Lemaire ne se livre pas aisément, il faut la découvrir. Son abord est austère voire sévère. C’est celui d’une femme qui sait ce qu’elle veut, qui dirige sa petite entreprise avec efficacité. Mais sous cette carapace se révèle une personne d’une grande délicatesse, animée de sentiments profonds d’humanité, attentive aux autres et presque plus encore aux animaux, riche d’une forte sensibilité artistique. Une personne qui a organisé toute sa vie en fonction des passions qui l’animent, des passions qui ne sont pas celles de tout le monde.
Sa première passion, c’est le sport. Elle en a élu trois mais elle en a sans doute essayé et pratiqué beaucoup d’autres. Le sport pour l’activité, pour le dépassement, pas pour la compétition, ça ne l’intéresse pas. Le cheval, le ski, l’aïkido. Le cheval, difficile de dire comment cette passion s’est ancrée dans son être. Adolescente à Paris, elle a l’occasion de monter. Puis sa famille se prépare à s’installer à la Réunion, où son père va gérer une entreprise. Chantal, 13 ans, traîne les pieds et finalement pose une condition : pouvoir monter à cheval. Pendant huit ans, avant de revenir à Paris, elle va pratiquer ce sport intensément. Puis elle va organiser sa vie pour pouvoir continuer sur cette voie. C’est ainsi par exemple que, pour vivre, elle occupe pendant trois ans un emploi « sans aucun intérêt », dit-elle : chaque été, elle démissionne, ce qui lui permet de partir en Corse avec les chevaux d’un club universitaire dont elle s’occupe pendant deux mois ; à la rentrée, elle est réembauchée. Plus tard, installée en Provence pour des raisons que vous allez découvrir un peu plus loin, elle n'a de cesse de monter à nouveau ; habitant à Fontvieille, elle achète deux chevaux, qu’elle monte régulièrement. Plus tard encore, c’est l’aventure du centre équestre à Eygalières.
Deuxième sport-passion, le ski. Elle le pratique aussi assez jeune, même s’il n’y a pas de tradition familiale en ce sens. Dans une première partie de sa vie adulte, dont on ne saura rien, elle habite à Paris, se marie, puis divorce. Sa liberté reprise, elle cherche comment pratiquer activement le ski. Les laboratoires pharmaceutiques, dit-elle, aiment bien recruter des femmes divorcées, prêtes à travailler beaucoup. Elle devient ainsi visiteuse médicale pour les Laboratoires Servier. Elle est en charge de trois départements : le Vaucluse, les Basses-Alpes et les Hautes-Alpes. Grand avantage de cet emploi : pour autant qu’elle atteigne ses objectifs de vente, Chantal est libre de gérer son temps comme elle veut. Elle s’installe en Provence, d’abord à Barbentane puis à Fontvieille et enfin à Eygalières. Elle alterne visites de clients et descentes à ski.
Troisième sport, l’aïkido, un art martial japonais dont l’ensemble des techniques vise non pas à vaincre l’adversaire mais à réduire à néant sa tentative d’agression. De ce fait, il n’y a pas de compétitions d’aïkido. Mais on y fait des rencontres heureuses : c’est sur un tapis d’aïkido, à Paris, qu’elle rencontre Lucien, son second mari et le père de ses deux enfants. Malheureusement, un genou défaillant lui interdit aujourd’hui de pratiquer ce sport. Pour compenser, elle s’est mise au yoga qui, fondé sur la respiration et concentration, participe selon elle du même esprit que l’aïkido.
Revenons à la pratique du cheval. Installée avec Lucien et ses enfants – ainsi que ses deux chevaux – à Eygalières, Chantal poursuit d’abord son activité de visiteuse médicale. Cinq ans plus tard, elle passe le diplôme de moniteur d’équitation. Le Centre équestre d’Eygalières est créé sous la forme d’une association. Chantal emprunte des chevaux à un négociant ; elle commence à donner des cours d’équitation, progressivement et à petite échelle. Elle fait des randonnées. C’est seulement lorsqu’elle peut bénéficier d’une pré-retraite, à 54 ans, que l’entreprise se lance vraiment. Le Centre accueille enfants et adultes. On y pratique les activités traditionnelles, reprises, voltige. Tous les ans, un spectacle de fin d’année est organisé avec les enfants. Mais Chantal insuffle un esprit particulier à son enseignement, un esprit de respect pour le cheval, fondé sur la relation avec celui-ci. Ainsi, elle développe le « travail à pied », qui consiste à diriger l’animal à ses côtés avant de le monter, ce qui permet d’apprivoiser l’un par rapport à l’autre la monture et le cavalier et aussi de rassurer ceux qui appréhendent de monter à cheval.
La relation avec le cheval peut aller bien au-delà de ces aspects récréatifs : Chantal a ainsi passé un diplôme « d’équi-handi », activité qui consiste à utiliser cette relation à des fins thérapeutiques. Toutes sortes de handicapés peuvent en bénéficier ; ce sont souvent de jeunes accidentés, parfois dans un état très grave. Les exercices avec le cheval leur permettent de gagner en confiance en soi et en autonomie. Outre ces cas difficiles, la relation avec le cheval peut aussi être source de développement personnel pour des chefs d’entreprise, des cadres, et même des enseignants. Dans cette activité, Chantal s’appuie sur Lucien, qui a suivi une formation spécifique.
Aujourd’hui, le Centre équestre a 20 chevaux. Chantal prête une attention toute particulière à bien les traiter ; elle a avec eux une relation qu’on peut qualifier de personnelle. Elle garde ses vieux chevaux, ce qui est loin d’être le cas pour tous les centres. Dans un champ, elle a ainsi quatre « seniors » de 35 ans, qui demandent beaucoup d’entretien et qui ne peuvent se nourrir que d’orge. Mais « ils ont bien mérité leur retraite », dit-elle.
En soi, l’attention que Chantal porte à ses chevaux témoigne de cette sensibilité qu’elle ne met pas en avant. Mais ce n’en est pas la seule manifestation. On la retrouve à travers son expression artistique, la dernière de ses passions. Sa mère était céramiste, diplômée des Beaux-Arts de Marseille. Chantal l’a vu faire sans y prêter beaucoup d’attention mais elle en a certainement été influencée. Elle a accompagné sa mère dans les musées, les expositions. Jeune, elle peignait et dessinait un peu. Arrivée en Provence, elle s’est mise à faire de la sculpture sur terre. Et lorsque le peintre Joseph Alessandri, malheureusement disparu en décembre 2017, a ouvert un atelier pour y faire travailler une dizaine d’élèves, elle s’y est inscrite et y a participé régulièrement. « Il m’a permis de progresser », dit-elle. Depuis lors, elle peint et expose ses oeuvres, tout dernièrement au Salon du Noir et Blanc et à l’Expo de printemps à Eygalières.
Loin d’avoir achevé sa vie professionnelle, Chantal a néanmoins un peu réduit les activités du Centre équestre, qui impose un travail physiquement exigeant que l’âge avançant peut rendre plus difficile ; elle peine également à embaucher le personnel dont elle aurait besoin. Si sa fille, elle aussi monitrice d’équitation, pratique le cheval, elle n’en fera pas son métier. Son fils quant à lui en a sans doute eu une « indigestion » ; il s’est choisi une activité professionnelle très différente, tout en étant un sportif accompli. Lorsqu’on regarde le chemin qu’a parcouru Chantal Lemaire, on ne peut qu’être admiratif de la détermination avec laquelle, quoi qu’il lui en ait coûté, elle a su mettre sa vie au service de ses choix, nourris par sa richesse intérieure et sa sensibilité.
13 mai 2019