Marie Pélissier
Passée du Nord au Sud avec bonheur
Voici une femme du Nord qui n’aime pas trop la chaleur. Une femme passionnée par l’international, qu’elle a pratiqué en grand pour promouvoir les fruits et légumes bretons. Et voilà qu’à pas tout à fait quarante ans, cette femme s’installe dans notre petit village ensoleillé et cinq ans plus tard prend les rênes de la petite librairie d’Eygalières, qu’elle va mener avec passion pendant onze ans. Aujourd’hui elle est engagée dans le bénévolat local et consacre plus de temps à sa famille. Cette femme, c’est Marie Pélissier. Sa transplantation heureuse, cette sorte de transmutation, Marie la doit à son caractère ouvert et à son mari, Daniel, toujours présent de manière discrète mais essentielle.
Marie associe en elle deux qualités fortes, qu’on pourrait estimer contradictoires : une attention portée aux autres et une grande rigueur. L’attention aux autres : lorsqu’elle obtient son bac à 16 ans – excusez du peu ! – elle veut devenir assistante sociale. Si elle échoue au concours qui le lui aurait permis, c’est uniquement parce qu’elle est alors trop jeune et manque de la maturité nécessaire. Depuis lors, tout au long de sa vie, elle reste à l’écoute des autres, à sa manière discrète mais en intervenant lorsque cela lui semble nécessaire. La rigueur, on la retrouve dans tout ce qu’elle entreprend, une rigueur qui lui vient de son éducation, assez stricte, car au sein de la famille Pidou on a des principes et des convictions, que l'on met en œuvre. De la rigueur à la rigidité, il pourrait n’y avoir qu’un pas, et pourtant son parcours est tout de souplesse, d’éclectisme dans les choix, de capacité d’adaptation. Car cette rigueur qui bride parfois son imagination et qui la fait souvent douter d’elle-même est compensée justement par son ouverture aux autres, par l’écoute des suggestions que ceux-ci peuvent proposer et qu’elle apprécie à sa manière, « au feeling ». C’est ainsi qu’elle est capable de saisir les opportunités qui se présentent à elle et d’en faire le meilleur. En particulier avec ce qu’on peut appeler les trois grands chapitres de son odyssée professionnelle.
Une odyssée, vraiment ? Marie n’est certes pas Ulysse même si elle a beaucoup bourlingué. Dans chacune de ses trois vies professionnelles les plus importantes, elle a plongé sans hésiter dans un monde inconnu, épaulée à chaque fois par un mentor, elle s’y est totalement immergée, avec une énergie qui ne l’a jamais quittée, et en a éprouvé beaucoup de bonheur. Après son bac, à défaut d’être assistante sociale, Marie se tourne vers des études commerciales et obtient le diplôme de Sup de Co Lille. Dans un premier temps, son ambition est de travailler à l’étranger mais elle prend rapidement conscience qu’aucune entreprise ne l’y enverra sans qu’elle ait d’abord fait ses preuves en France. Née à Calais, elle trouve son premier emploi dans le grand groupe textile Courtaulds, fabriquant de la fibre acrylique Courtelle, dont l’usine est justement à Calais, mais on l’envoie travailler à Paris comme adjointe de la responsable marketing. Première aventure, elle participe à un programme destiné à faire connaître les usages possibles de la Courtelle, à travers un concours organisé avec les écoles de style. Il faut d’abord expliquer aux étudiants de ces écoles quelles sont les possibilités d’utilisation de cette fibre. Les étudiants réalisent alors des croquis de pièces de vêtements destinées à constituer une collection. Leurs propositions sont soumises à un jury composé de créateurs déjà connus mais pas encore devenus des icônes – Jean-Paul Gaultier, Azzedine Alaïa, Chantal Thomas, …. Une fois les gagnants choisis, Marie va à la rencontre d’industriels susceptibles de produire la collection à venir : il faut que celle-ci corresponde à l’image que désire le styliste tout en étant réalisable à un coût acceptable. Enfin, il s’agit de trouver le distributeur et de l’aider à mettre la collection en place. Alors qu’elle n’a pas encore 30 ans, Marie est déjà comblée par cette première expérience professionnelle. Elle est ravie de pouvoir saisir l’ensemble d’un cycle dans la mode, de la conception du produit à sa commercialisation, ravie de « ménager la chèvre et le chou », comme elle dit, entre les artistes créateurs, les industriels et les distributeurs, donc de concilier création et concret. Ravie aussi d’être entourée de beauté et d’harmonie. Ce sont trois années de rêve pour elle. Mais les meilleures choses ont une fin : la réduction des budgets de marketing dans l’entreprise conduit à l’abandon du programme et donc au départ de Marie, qui va aller tenter sa chance ailleurs.
Nouvelle aventure, changement de décor. Après les saisons de la mode, celles de la nature. Après Paris, Roscoff pendant sept ans. L’aventure de Marie s’inscrit dans une autre aventure, celle d’Alexis Gourvennec, paysan breton visionnaire et entreprenant qui a su fédérer des milliers de petits paysans bretons, et de son bras droit Marc Gilon, directeur marketing, qui a créé la marque « Prince de Bretagne » et lui a donné vie en France comme à l’étranger. Marie devient son adjointe. Au contact de ces deux hommes et de leurs idées, elle apprend beaucoup et s’amuse beaucoup. Plus encore que dans son emploi précédent, elle peut pratiquer ce monde de l’étranger qui l’attire, elle voyage beaucoup et participe à des missions collectives organisées par le Centre français du commerce extérieur (CFCE). Et voilà qu’au cours d’une de ces missions en Scandinavie, elle fait la connaissance d’un certain Daniel Pélissier (sans lien de parenté ni avec Léone Pélissier – voir son portrait dans cette Galerie - ni avec l’ancien maire d’Eygalières Félix Pélissier), alors cadre dans une coopérative fruitière de Cavaillon.
Coup de foudre ou pas, il se passe manifestement quelque chose entre eux. Sautons donc quelques épisodes jusqu’à leur mariage en juin 2001. Marie est une fille du Nord, Daniel un gars du Sud, enraciné dans le Sud, né à Cavaillon mais avec une grande partie de sa famille à Eygalières. Daniel n’est pas prêt à aller au Nord, donc Marie va s’installer au Sud, mais à la condition d’y trouver un emploi. Elle se met en recherche, ce n’est pas facile : exercer dans le marketing international semble ne pouvoir se faire qu’à Avignon, Aix en Provence ou plutôt Marseille, ce dont elle n’a aucune envie. Alors, pourquoi pas le vin et l’huile d’olive, des produits agricoles comme elle en a l’habitude ? Elle suit ainsi une formation à Suze-la-Rousse, puis travaille quelque temps au Domaine de Valdition. Mais le hasard fait que la librairie d’Eygalières est mise en vente à ce moment-là. Marie n’y prête pas trop attention, elle n’a pas suffisamment confiance en elle. Daniel, en revanche, est d’emblée convaincu que c’est ce qu’il faut pour Marie. Il s’emploie donc à l’en convaincre, et cette troisième aventure commence en 2006 ; elle va durer 11 ans, à raison de quasiment 365 jours par an. C’est un métier passionnant, dans lequel Marie met en œuvre beaucoup de ce qu’elle a appris lors de ses précédentes aventures, c’est une activité grâce à laquelle elle s’intègre vraiment dans le village, où elle noue des relations amicales avec quantité de ses clients. Elle s’investit pleinement dans l’animation de son lieu, les séances de dédicaces, au bénéfice d’une clientèle très large. Mais c’est aussi un métier très exigeant, au rythme intense. Même en continuant à joindre leurs forces, tous deux se rendent compte qu’il leur sera difficile de continuer à développer la librairie et qu’ils s’useront vite s’ils continuent ainsi jusqu’à l’âge de la retraite. Alors, un peu la mort dans l’âme (« je perdais mon bébé », dit Marie), ils mettent la librairie en vente et le 1er mars 2017, c’est fait.
Depuis lors, au-delà d’un emploi en CDD à Saint-Rémy-de-Provence, Marie peut enfin donner un contenu plus concret à son sens de la famille, en consacrant du temps à ses parents, en organisant des « cousinades » à Eygalières : son père était le dixième de onze enfants, très soudés à la suite de la mort de leur père dans un bombardement à Calais. Du côté de Daniel également, issu d’une famille nombreuse, celle-ci compte beaucoup. Et Marie s’investit avec plaisir dans le bénévolat : Foyer rural, Eygalières Terre d’artistes, peut-être d’autres plus tard - le bénévolat sans lequel Eygalières n’aurait pas le visage que lui connaissons ni son incontestable rayonnement. Comme toujours énergique, efficace et discrète, Marie est heureuse d’apporter sa contribution personnelle à son village d’adoption.
4 août 2019