Eygalieres galerie de portraits

Dario Pellegrini

La passion des mots

Dario Pellegrini, président de l’association « Parole Vive », est un homme avenant, doté par la nature d’une voix qui porte et d’une passion pour les mots, qu’ils soient dits ou écrits. Passion pour les mots, pour les langues, plaisir de se les approprier, de les manipuler, de jouer avec eux, sous toutes leurs formes. On l’entend bien lorsqu’à l’occasion du Printemps des Poètes, Dario lit des vers de Rimbaud. On le perçoit avec force à la lecture de ses quatre (bientôt cinq) recueils de poèmes. Et on en constate la persistance lorsqu’on apprend qu’il est diplômé en anglais et docteur en linguistique.

Peut-être faut-il voir la source de cette passion dans ce que Dario a vécu enfant. Il est né en Toscane, à Arezzo, 50 km au Sud-Est de Florence. Ses parents sont métayers et vivent une vie de misère. Pour y échapper, alors que Dario a six ans, ils partent en France et s’installent à Carpentras, où ils travailleront encore dans l’agriculture mais dans de meilleures conditions. Le jeune Dario, qui a appris à parler en dialecte toscan et en italien, est plongé dans la langue française, dans laquelle se déroulera toute sa scolarité. Aujourd’hui encore, il aime rapprocher le vocabulaire des deux langues. 

Six siècles plus tôt, également à Arezzo, naissait Pétrarque, le grand poète florentin du XIVè siècle. Ce parallélisme que Dario relève avec un clin d’œil ne s’arrête pas là : comme lui, Pétrarque est parti très jeune en Provence ; comme lui, il a commencé l’école à Carpentras. Comme lui, il a vécu à Avignon. Ce qui pourrait n’être qu’une coïncidence amusante me semble recouvrir quelque chose de plus profond, que révèle le titre d’une « causerie » (par modestie, il préfère ce terme à celui de conférence) prononcée par Dario il y a quelques années : « Pétrarque entre deux mondes », entre le monde profane et le monde sacré, entre l’Italie et la France, entre la langue toscane et la langue latine.

Il me semble que Dario lui aussi est à certains égards « entre deux mondes ». Il a conjugué une carrière professionnelle riche et diversifiée, au service le plus souvent du Ministère de l’éducation nationale, donc d’une certaine manière comme propagateur de la culture supposée rationnelle de la République. Parallèlement, au fil de ses séjours en Afrique, dans l’Océan Indien et en Polynésie, il a développé une fascination pour les cultures premières, les mythes, les spiritualités anciennes. Jusqu’à faire naître son jardin secret, que dévoile la photo qui illustre ce portrait : Dario construit des totems que, jusqu’à présent tout du moins, il garde chez lui et n’expose pas.

Une carrière riche et diversifiée : avec son doctorat, il aurait pu être enseignant ou chercheur, mais il a préféré choisir une autre voie en passant avec succès le concours d’inspecteur. Pas spécialement par goût de l’autorité mais plutôt en raison de la diversité des missions qu’un inspecteur peut se voir confier : missions d’évaluation, de réflexion, de coordination, de construction de programme, de développement de programme, responsabilités de chef de projet, etc ... Et il préfère former plutôt qu’enseigner.

Très tôt, Dario est attiré par l’outre-mer ; il débute en partant en coopération au Gabon, où il récoltera la matière de sa thèse de doctorat. Il sera plusieurs fois affecté en Afrique, au Niger, au Sénégal, au Gabon à nouveau, en Afrique du Nord, dans l’Océan Indien aux Seychelles. Son dernier poste est aussi le plus lointain : il est inspecteur de l’éducation nationale pour les Iles Tuamotou (Polynésie française), un archipel long de 1 700 km, à 15 000 km de la France – ce qui lui donnera l’occasion de visiter tant les Marquises que l’Ile de Pâques, références de choix pour qui s’intéresse à la culture polynésienne. Dans chacune de ces affectations, il se voit confier des fonctions différentes. Citons entre autres le pilotage de projets de réforme du système éducatif, la conduite d’un projet pour les autorités polynésiennes sur les convergences dans l’enseignement des langues, les fonctions de responsable de la recherche appliquée aux enseignements à l’Institut pédagogique national du Gabon, etc…

Il exerce aussi en France, notamment en région parisienne, à Massy, à Boulogne et Saint-Cloud, à Champs-sur-Marne, en tant qu’inspecteur de l’éducation nationale. Au début des années 90, il est responsable de la formation des cadres étrangers de l’éducation au Centre International d’Etudes Pédagogiques à Sèvres. Ce poste conduit Dario à voyager dans de nombreux pays, avec des interlocuteurs très variés, sur quantité de projets concrets. Un seul exemple : travailler avec les communautés francophones du Canada pour leur transmettre certaines méthodes de l’école maternelle française. Un poste passionnant. Auparavant, de 1993 à 1997, Dario est chargé du service de l’inspection pour le Nord des Bouches-du-Rhône (où exercent 300 enseignants). C’est à ce moment-là qu'il emménage avec sa famille dans notre village, qui restera ensuite leur port d’attache. Cet ancrage dans la région va lui valoir une « parenthèse » professionnelle au service du département de Vaucluse : de 2001 à 2005, sollicité par le président du Conseil général, il est Directeur général pour l’éducation et la culture du département. Une responsabilité qui conjugue construction, équipement et gestion des collèges avec la vie culturelle très active de ce département – on pense bien sûr au Festival d’Avignon et aux Chorégies d’Orange, mais il y a encore beaucoup d’autres activités. Plus tard, de retour en métropole après son séjour en Polynésie française, Dario sera président d’« Arts vivants en Vaucluse », une association départementale qui gère l’auditorium du Thor, élargissant ainsi ses compétences à la programmation et à la réalisation de spectacles vivants. En 2007, Dario prend sa retraite ; son épouse et lui s’installent alors définitivement à Eygalières. Jusqu’en 2011, Dario accomplira encore quelques missions à l’étranger, par exemple en Roumanie ou au Mali.

Dans le cadre de ses différentes fonctions, Dario a beaucoup écrit : des articles sur l’éducation pour tous, sur l’école en milieu rural, sur les défis de l’évaluation, et bien d’autres. Surtout, il est le co-auteur d’un ouvrage sur l’Informatique à l’école, puis d’un véritable best-seller réédité plusieurs fois, le « Guide du système éducatif », vade mecum à l’usage des enseignants. 

Mais ce qui tient vraiment au cœur de Dario, c’est la poésie. Depuis toujours, il écrit des poèmes même s’il en a finalement publié assez peu. Son premier recueil, en partie inspiré par l’Afrique et intitulé « Pulsions », est paru en 1981. Le second paraîtra vingt ans plus tard, sous le titre « Il y a mot d’homme » - on reconnaîtra là le plaisir que Dario éprouve à jouer avec les mots. Plus tard, « Po lyn ésie » - jeu de mots, là aussi -, doit beaucoup à son séjour aux Tuamotou. Ce recueil est aujourd’hui utilisé dans les lycées et collèges de Polynésie française, ce dont Dario est plutôt fier. Puis en 2010 paraît « Traverses », un bel objet magnifiquement illustré (L’édition à façon, Forcalquier). Le cinquième recueil de poèmes, « Fractales », va être publié très bientôt. Parallèlement, Dario s’essaie à mettre certains de ses textes en musique, à la guitare, dans la veine du Blues.

Ce n’est donc pas un hasard si, en octobre 2017, Dario fonde « Parole Vive » avec son ami Philippe Moras : l’association qui depuis 2012 organisait à Eygalières le Printemps des Poètes ne voulait pas poursuivre. Parole Vive a donc mis sur pied avec succès la sixième édition de cette manifestation en mars 2018 (en y associant « Li Cacharello », l’association que préside Magali Anglada) et a bien l’intention de recommencer chaque année. Mais ses ambitions ne s’arrêtent pas là. L’association a lancé un cycle de conférences sur des thèmes d’actualité, dont deux ont déjà eu lieu. D’autres suivront. Et Parole Vive nourrit de futurs projets, que l’on découvrira avec le temps.

Dario Pellegrini, le jeune Toscan immigré en France à l’âge de six ans, est aujourd’hui un citoyen du monde, en relation avec de nombreux amis en Afrique, en Océanie. C’est aussi un citoyen actif d’Eygalières, désireux de contribuer à créer des passerelles entre les habitants de notre village, afin que ceux-ci se connaissent mieux. 

25 septembre 2018