Catherine Puynesge
Le choix d'Eygalières
Portrait dû à l'initiative d'Adrienne Clarkson, qui a réalisé et retranscrit l'interview. Texte rédigé par Catherine Puynesge.
C'était en septembre 1962. Arrivant à Eygalières par la route de la Gare de Mollégès dans la DS Citroën de son père, Catherine Puynesge voit pour la première fois le vieux village se détachant sur les Alpilles. Ce paysage aride mangé par le soleil de l’été la déconcerte, elle qui est habituée aux champs, prairies et forêts du nord de la Bourgogne. L’acquisition de cette étrange maison située en haut du village, avec une vue magnifique sur les Alpilles, c’est le choix de sa grand-mère, artiste-peintre qui avait découvert Eygalières un an plus tôt lors d’un séjour à Saint-Rémy-de-Provence avec son mari qui faisait de la photographie.
Déconcertée par ce changement, Catherine, à tout juste quinze ans, explorant les lieux en grande partie en ruine et en partie restaurés, prenait conscience que, désormais, c’est là qu’elle irait en vacances et qu’elle ne passerait plus une partie de l’été en Bretagne à faire de la voile dans la baie de Concarneau ni à sortir le soir en bande avec les amis de son âge. En l’occurrence, dans le vieil Eygalières de l’époque, les amis, c’étaient ceux de ses grands-parents, des « grandes personnes » qu’avec la maturité elle apprendrait à connaître et à apprécier. Notamment les peintres à qui, bien longtemps après, elle aurait le plaisir de rendre hommage en organisant, avec ses ami(e)s de l’association Eygalières Terre d’Artistes, des expositions rétrospectives de leur œuvre.
Les années passant, ce premier sentiment de déception a petit à petit fait place à un attachement de plus en plus fort : très proche de ses grands-parents et plus encore de sa grand-mère avec qui elle allait peindre sur le motif, elle s’est mise à aimer cette nature et ces paysages qu’elle découvrait par ailleurs lors de marches dans les Alpilles avec son ami Jean Fraisse. Et à l’occasion de promenades à cheval et de randonnées organisées dans le cadre de "l’Homme à Cheval", créé par Henri Roque, initiateur du tourisme équestre en France, et animé par son épouse Andrée, infatigable travailleuse, toujours disponible et bienveillante.
Tant et si bien que la maison d’Eygalières est devenue son point d’ancrage : elle y venait dès qu’elle le pouvait, à l’époque par le train de nuit qu’elle prenait à la Gare de Lyon le vendredi soir et qui la faisait arriver le samedi au petit matin à la gare d’Orgon. Le temps d’un week-end elle retrouvait l’atelier, les toiles et les pinceaux et l’odeur de l’huile de lin et de l’essence de térebenthine mélangée à celle des cigarettes brunes que fumait sa grand-mère. Après la mort de Jean Puynesge, son époux, Solange Puynesge avait décidé de ne pas quitter Eygalières et, au soir de sa vie, avait acquis l’indépendance jusqu’alors aliénée à l’ombre de son mari. Elle était encore pleine d’énergie et accueillait avec générosité les amis de ses petits-enfants et s’amusait de leur liberté (mai 68 était passé par là …).
Il s’est trouvé que, juste le temps d’une année, en 1976, Catherine a pu s’installer à Eygalières. Convaincue par une très proche amie de tenter le concours de l’ENA, voie interne réservée aux fonctionnaires, elle avait obtenu le « pré-concours » qui lui permettait de bénéficier d’un détachement administratif pour préparer le concours. Et cette scolarité de « prep-ena » avait lieu sur le campus universitaire de Grenoble …. à deux heures de voiture d’Eygalières ! Elle a donc pris ses quartiers chez sa grand-mère d’où elle partait tous les mardis matin pour Grenoble et en revenait le jeudi soir après avoir suivi tous ses cours qu’elle avait pris soin de bloquer sur trois jours. Seulement, une fois de retour, l’attrait de l’atelier agissait comme un aimant et les polycopiés de droit constitutionnel attendaient sagement sur le bureau le moment improbable où elle les ouvrirait. Il va sans dire qu’elle a échoué au concours. De là à soutenir que c’est à cause d’Eygalières, c’est un pas qu’elle ne franchit pas.
Cependant, elle reconnaît que c’est sans doute grâce à cet échec que sa vie professionnelle a changé, que son cercle amical s’est élargi et que, quelques années plus tard, elle a fait la connaissance de Paul Hunsinger. Une rencontre à l’origine de quarante-quatre ans de vie commune fondée sur une condition préalable : le choix d’Eygalières. Car, avant de se laisser convaincre par Paul Hunsinger de le suivre dans sa carrière diplomatique à l’étranger, Catherine lui avait posé une double condition : se faire apprécier de sa grand-mère, sans doute pas pour très longtemps, et apprécier Eygalières, ce qui pouvait durer beaucoup plus …. Et cela a marché au-delà de ses espérances puisqu’aujourd’hui Paul est comme chez lui dans ce village où il est connu d’un grand nombre d’Eygaliérois grâce à ses portraits publiés sur internet.
Sautant une génération, le choix d’Eygalières a donc été transmis par Solange Puynesge à sa petite-fille en même temps que l’amour de la peinture. Si bien que, dans sa vie ultérieure qui l’a conduite à vivre dans des étrangers lointains, chaque fois que Catherine se réfugiait dans la peinture, elle se transportait à Eygalières par la pensée : « c’est bien, l’encourageait gentiment Monsieur Liu, son professeur de peinture à Pékin, mais vos montagnes, elles ne sont pas très chinoises … » Et il fallait alors que, dans son chinois laborieux et approximatif, Catherine tente de lui expliquer que ses montagnes à elle, c’était les Alpilles, en Provence et que c’est sa main qui les traçait instinctivement. Catherine lui montrait alors des reproductions des tableaux de Derain et Oudot représentant le village …
Il lui aura fallu de la patience : elle aura attendu près de quarante ans avant de pouvoir s’installer en permanence à Eygalières. Et dans l’intervalle, la maison d’Eygalières a failli lui échapper deux fois. La première, au milieu des années quatre-vingts lorsque son père, aux prises avec de graves difficultés financières, a envisagé de mettre la maison en vente. Finalement, il est parvenu à la garder. La seconde fois, au moment de la succession : les prix de l’immobilier à Eygalières avaient atteint de tels sommets que le montant des droits à verser excédait largement les capacités financières de Catherine et de son mari. Et là, c’est Marie-Laure, la sœur de Catherine, qui a sauvé la situation en lui proposant de reprendre la maison dans l’indivision et donc de partager le montant des droits de succession. C’est grâce à cette alliance entre sœurs que les petits-enfants, Romy et Maxime, sont la cinquième génération dans cette maison.
Dans la vie de Catherine il y a souvent eu de merveilleux hasards. C’est ainsi que, alors qu’elle était encore à Rome où Paul était en charge des relations économiques et financières à l’ambassade, elle a eu la surprise de se voir proposer par la toute jeune association Les Artistes de Chez Nous d’organiser dans l’ancienne église Saint-Laurent une rétrospective de la peinture de Solange Puynesge. De retour de Rome en plein hiver pour s’occuper de choisir les tableaux et de les monter sur châssis, Catherine a été aidée avec efficacité dans la joie et la bonne humeur par la présidente Marie-Josée Divol, entourée de ses amies et complices : plusieurs journées de montage et encollage dans l’atelier froid et poussiéreux dont elle se souvient avec bonheur. Ce petit évènement, soigneusement préparé par une opération de bouche à oreille, eut un beau succès auprès des Eygaliérois(es) et a été à l’origine de l’implication de Catherine dans la vie du village. Que ce soit en prenant la suite de Marie-José Divol pour développer l’association rebaptisée Eygalières Terre d’Artistes, dont le but est de faire connaître le travail des artistes-plasticiens d’Eygalières et des environs ou que ce soit en prenant l’initiative de fédérer un petit groupe d’Eygaliérois disponibles, aux compétences et talents complémentaires, pour créer des documents touristiques constitués de fiches illustrées présentant les principaux points d’intérêt du vieux village et le patrimoine rural d’Eygalières, aujourd’hui distribués par l’Office de tourisme.
Avec un recul de près de cinquante ans, Catherine observe les changements profonds de ce village qu’elle a connu pauvre et mais tellement authentique et attachant ... Elle est particulièrement sensible à la transformation des paysages qui ont changé de couleurs sous l’effet du nombre de mas avec jardins arrosés et pelouses à l’anglaise, conjugué à la prolifération du pin d’Alep, ce résineux invasif. La végétation méditerranéenne a recouvert les tons de gris, ocre jaune et terre brûlée caractéristiques de la Provence. Mais Catherine Puynesge se console car, dit-elle à la manière des Chinois, ce village bénéficie d’un bon feng-shui, une disposition harmonieuse des lieux qui favorise la circulation des énergies telluriques et dispense un sentiment de sécurité et de bien-être. Perché sur son rocher, le vieux village d’Eygalières se trouve au centre de l’arc des Alpilles sans être coincé contre la montagne. De ses hauteurs, la vue embrasse la campagne environnante sur 360 degrés et, comme l’a dit un jour, très joliment, une amie de sa fille alors âgée de six ans « tout le paysage, il appartient à la maison. »
22 juin 2024