Eygalieres galerie de portraits

Zine

L'aventurière au grand cœur

Zine se reconnaît de loin, à son sempiternel bonnet et à sa Dyane Citroën verte hors d’âge. C’est une artiste qui crée ses œuvres à partir d’objets récupérés dans la nature. Ses qualités traduisent de nombreux savoir-faire, on pourrait même parler de savoir-être. Car pour elle, faire n’est rien d’autre qu’exprimer son être. Elle s’est installée progressivement à Eygalières au début des années 2000, ce qui a marqué pour elle un nouveau départ, même si ses centres d’intérêt et ses appétences n’ont pas varié d’un pouce : créer, voyager, rencontrer, partager.

Créer. Rien dans son environnement familial ne l’y a prédisposée, et pourtant Zine perçoit l’art, et plus généralement la création, comme une partie essentielle d’elle-même. « L’art, ça m’a toujours parlé » ; « c’est comme si j’avais l’âme d’une artiste en moi ». A l’école, elle était douée pour le dessin (et la gymnastique), moins pour le reste. Spontanément, elle se met très jeune à ramasser des objets et à les assembler pour en faire quelque chose. Elle le fait à Paris, elle le pratique avec des enfants sur une plus grande échelle lors de ses voyages à l’étranger, elle en fait son activité principale lorsqu’elle prend pied à Eygalières : installée dans un grand mas, elle peut élargir son « champ de ramassage », stocker ce qu’elle trouve et donc vraiment créer des œuvres de manière régulière. Ses créations sont des assemblages marqués par l’imagination, l’humour, la poésie.

Zine manifeste son goût pour la création dans un autre domaine, la cuisine. En jouant des ingrédients et de la couleur, elle invente des recettes originales, parfois improbables. Elle cuisine chez les autres, à la demande, souvent lors de ses voyages. Un temps, elle organise des « soirées à thème » culinaires dans un bistrot parisien. Elle est même pendant six mois le chef cuisinier dans un restaurant éphémère à Eygalières en 2009-2010, « La bono vido ». Elle cuisine aussi pour 200-300 personnes dans le cadre de « Cuisines du monde ». Ajoutons qu’elle joue de la musique, qu’elle chante, qu’elle écrit.

Voyager. Zine a parcouru une bonne partie du monde – à l’exception toutefois de l’Amérique – comme une routarde, seule ou à plusieurs, le plus souvent à l’aventure, sans beaucoup de moyens. Et là, quelquefois, elle se pose, pour quelques jours ou quelques semaines, et s’insère dans la communauté locale. Arrivée à Saly, petite ville au Sud de Dakar, elle et ses copains sont d’abord qualifiés de « toubabs », puis très vite de « Sénégalais » qui ont appris à parler le ouolof. Citons le Maroc, le Sénégal, la Turquie, Madagascar, l’Australie et de nombreux pays d’Asie. Elle aime l’Asie ; elle est époustouflée par le spectacle d’Angkor Vat. Elle a parcouru l’Asie du Sud-Est, l’Inde. Ce qu’elle aime bien sûr, c’est l’ouverture sur autre chose, la découverte, mais surtout la rencontre.

Rencontrer. Si l’âme de Zine est celle d’une artiste, son cœur est dans la rencontre, pour laquelle elle éprouve une véritable passion. Elle a une incroyable envie de rencontrer des gens, toutes sortes de gens, pour échanger avec eux. Elle est capable d’entreprendre un voyage en Australie pour « rencontrer des Aborigènes ». On pourrait prendre cela pour de la prétention, mais c’est aussi le reflet d’une étonnante capacité qu’elle a toujours eue. Partout, miracle, elle rencontre des gens qu’elle trouve passionnants, avec lesquels elle échange et crée une relation intense. C’est comme dans le Sahara : on s’arrête dans un endroit où il n’y a rien ni personne, et dans l’heure qui suit on se retrouve entouré de dizaines de personnes. Avec Zine, c’est pareil, partout : elle arrive dans un endroit où elle ne connaît personne, et, comme attirés par un magnétisme particulier, des tas de gens viennent la retrouver, certains qui lui ressemblent, d’autres pas.

Et d’abord des enfants, pour lesquels elle éprouve une sorte de fascination. Est-ce dû à son enfance, marquée par un environnement très modeste ? Les parents de Zine sont marchands forains ; au marché d’Aligre à Paris, ils vendent des fruits et légumes, puis des fruits exotiques. Zine et ses deux frères et sœur ne sont pas des enfants gâtés, loin de là – « chez nous, il n’y avait pas grand-chose ». Toujours est-il que Zine a une véritable passion pour les enfants. Cette passion s’est manifestée pour la première fois lors de « l’aventure » de La Forge : une usine désaffectée du quartier de Belleville à Paris, occupée (« squattée ») par des artistes qui en font leurs ateliers. Zine a une vingtaine d’années, elle se joint aux artistes, fabrique des tables et des lampes dont elle fait cadeau et, très vite, se préoccupe d’y faire venir des enfants le mercredi après-midi et le dimanche, les enfants de ce quartier populaire pour lesquels les loisirs se résument à jouer dans la rue. Pour eux, avec eux, elle organise des ateliers de création artistique à sa manière, à partir d’objets récupérés. Elle est émerveillée par la réaction des enfants qui adhèrent avec enthousiasme à sa démarche et dont certains manifestent d’emblée des dispositions évidentes. C’est une expérience qui marque profondément Zine. Et ces enfants, elle les retrouve par la suite lors de chacun de ses voyages à l’étranger.

Les rencontres ? Elles sont innombrables, mais deux d’entre elles ont influé considérablement sur la vie de Zine. En 1996, à Byron Bay, sur la côte orientale de l’Australie, elle rencontre par hasard Marie Falquet, qui habite à Eygalières. La sympathie est immédiate ; plusieurs mois plus tard, elles se retrouvent en France, de nouveau par hasard. La sympathie spontanée devient amitié. Zine accompagne alors Marie dans ses activités artistiques et y assure souvent la restauration. Puis Marie propose à Zine de rester à Eygalières. Dans notre village, Zine va faire une autre rencontre fondamentale pour elle, celle de Gérard Drouillet, artiste plasticien, peintre, céramiste, sculpteur, décédé en 2011, en quelque sorte le chef de file de la communauté artistique d’Eygalières. En encourageant Zine, il lui donne la confiance nécessaire pour persévérer dans sa création.

Partager. Le partage « est au cœur de moi », dit-elle. Bien sûr, rencontrer, c’est déjà partager. Elle cite volontiers son père : « quand tu rencontres quelqu’un, tu lui donnes une poignée de main, un dialogue, un café chaud, mais tu ne passes pas sans regarder ». Le partage, c’est aussi la vie quotidienne dans le quartier de son enfance, quartier populaire, quartier « fleuri », comme elle dit, où la solidarité entre les habitants est quelque chose d’absolument naturel. Zine évoque également un épisode au Laos où, à vélo, elle arrive dans un petit village ; un groupe d’habitants, adultes et enfants, est réuni autour d’un unique verre. Les regards s’accrochent, un sentiment de proximité naturelle s’installe. Zine avise alors une minuscule échoppe dans laquelle sont accrochées comme des guirlandes de bonbons. Elle achète le tout pour quelques kips et partage les bonbons avec les enfants, devant les parents. Un moment d’humanité partagée autour d’un geste modeste mais qui reste dans sa mémoire comme, sans doute, dans celle des villageois.

Cette générosité spontanée, Zine sait aussi la structurer. Ainsi, au milieu des années 2000, elle en fait bénéficier les enfants de Madagascar. En 2004, avant d’y partir pour la première fois, elle organise une grande fête dans le 12è arrondissement de Paris pour collecter des objets destinés aux enfants d’un orphelinat de Tananarive : pinceaux, crayons, papiers, peintures. Elle en « récolte » 100 kg, qu’une association liée à Air France acheminera gratuitement. Deux ans plus tard, avec son amie Marie, avec d'autres amis solidaires, c’est une exposition d'œuvres offertes par plusieurs artistes d'Eygalières et des environs  qui permet de collecter des fonds destinés à la construction d’une maison en dur pour des petites filles à Majunga, au Nord-Ouest de l’île, en liaison avec l’association « Prométhée Humanitaire », qui s’adresse aux enfants de la rue.

Ainsi va la vie de Zine, mi-artiste, mi-routarde, généreuse à 100 %. Avec sa sensibilité à fleur de peau, son incroyable appétence pour les enfants et ses dons artistiques, c’est une personnalité qui ne laisse pas indifférent, parfois déroutante, toujours très attachante.

29 janvier 2019