Eygalieres galerie de portraits

Louis Winsberg

La fusion de deux mondes musicaux

Louis Winsberg est un homme chaleureux, ouvert, un guitariste réputé, à l’œuvre déjà immense. Un guitariste de jazz, de flamenco, de musiques métissées. En même temps compositeur, interprète, arrangeur. Il me reçoit dans sa maison des Molassis. C’est là qu’il a grandi, entre le patio qui évoque l’Andalousie et le salon où son enfance a été baignée de musique.

Ses parents, Jacques Winsberg et Angèle Gage, sont des artistes plasticiens. Leur maison est ouverte à de nombreux amis de passage, dans une ambiance souvent festive. Les Gitans, dont le monde fascine les parents de Louis, y viennent fréquemment, chantent, jouent, dansent. D’autres visiteurs pratiquent le piano, apportent toutes sortes de disques. Avec bonheur, le jeune Louis en fait son miel. Il est présent, écoute les conversations, les mélodies, les chants, les disques. C’est sa matrice originelle.

Louis est étonnamment précoce. « Je n’ai pas vraiment eu d’adolescence car très vite j’ai abordé la musique de manière professionnelle », dit-il. Dès 7-8 ans, spontanément, il se met au piano. A 12 ans, il commence sérieusement la guitare et découvre le jazz peu après. A 16 ans, il est reçu au Lycée musical de Sèvres, un lieu unique en France.

Et à 17 ans, alors qu’il est encore au lycée, il va enregistrer un premier disque. A Eygalières, il a noué des relations d’amitié avec les frères Reyes, une famille de Gitans qui se produiront par la suite sous le nom de « Gipsy Kings ». Alors que ceux-ci sont à Fribourg, en Suisse, pour réaliser un enregistrement, leur guitariste soliste fait faux bond. Louis accepterait-il de le remplacer au pied levé ? Il se jette à l’eau, parvient à convaincre le proviseur de le laisser partir quelques jours et, sans préparation ni répétition, tient son rôle à la perfection. Pour le remercier, ses amis enregistrent sur leur disque – qui se vend toujours - un morceau que lui-même a composé.  Puis, à 19 ans, il s’inscrit dans une Ecole spécialisée de jazz, où il devient rapidement professeur ; il obtient le 1er prix de soliste au Concours national de jazz de La Défense, un concours réputé dans ce domaine. Et en parallèle, il joue avec des copains, sur des scènes, dans des cafés ; il acquiert de l’expérience, une meilleure connaissance du jazz, se fait connaître du public.

Essayons de nous représenter le monde musical qu’il s’est progressivement construit, celui autour duquel s’organise toute sa vie professionnelle. Au centre de tout, il y a d’abord l’instrument-roi, la guitare, sous ses formes diverses : guitare électrique, guitare sèche, guitare synthé, d’autres encore. Il y a ensuite ses univers musicaux, qui sont comme deux grandes planètes autour desquelles tourne son monde : l’univers du jazz et celui du flamenco. Et dans l’orbite de ces planètes gravitent des astres de toutes tailles, durables ou éphémères, dont chacun apporte une pierre à la personnalité et à l’œuvre de Louis.

C’est la musique gitane, dont l’une des incarnations est le flamenco, qui a sans doute été la première à influencer Louis. Il n’a pris conscience du jazz qu’un peu plus tard mais ça a été comme un coup de foudre. Ces deux piliers de sa personnalité musicale ne l’ont jamais quitté. Le jazz, c’est une expression artistique complexe, qui impose de connaître la musique de l’intérieur, de la vivre et pas seulement de savoir jouer une partition. Pendant sa scolarité au Lycée musical de Sèvres et ensuite, Louis le pratique face au public. La planète Jazz s’incarne ainsi dans son premier groupe, Sixun (prononcer « sikseune »), créé en 1984 - Louis a 21 ans -, qui fonctionnera pendant vingt ans et produira neuf albums, un DVD, des centaines de concerts à travers le monde. Un grand et durable succès.

Mais son goût pour le jazz et les succès de Sixun ne font pas oublier à Louis son attrait pour la musique gitane, qui alimente son désir, son imagination, sa créativité. Cela va le conduire à inventer un nouvel univers musical. Jusqu’alors, personne n’a essayé de fusionner jazz et flamenco en profondeur, c’est très difficile. La culture, les rythmes, les techniques, le vocabulaire, tout est différent. Les artistes de ces deux mondes ne se mélangent quasiment pas. Louis va donc d’abord apprendre vraiment le vocabulaire du flamenco, s’en imprégner, ce qui va exiger une dizaine d’années, puis tenter une fusion avec la musique de jazz, notamment lors de soirées d’improvisation dans un café parisien, qu’il intitule « Winsberg World Work ». Et c’est ainsi qu’en 2001 naît Jaleo (prononcer à l’espagnole, avec la « Jota »), un groupe « flamenco-jazz » de sept artistes, le produit de la fusion de deux planètes. « Dans tout ce que j’ai fait, c’est ce qui me ressemble le plus », dit Louis. Et, encore aujourd’hui, Jaleo demeure le centre de gravité de son activité.

Quels sont donc les astres qui gravitent autour de ces planètes ? Il n’est pas possible de citer toutes ces productions, disques, concerts, tournées, avec d’autres artistes – on en trouvera l’essentiel sur son site internet (www.louis-winsberg.com) - collaboration avec la chanteuse américaine Dee Dee Bridgewater, avec Claude Nougaro, Charles Aznavour, plus tard avec la chanteuse française Maurane, chanson française revisitée, événements autour de Marseille où il est né, tournées avec un saxophoniste japonais, un batteur américain, etc …

Comment ce monde riche et complexe s’est-il construit ? Bien sûr, l’ambiance familiale de son enfance y est pour beaucoup. Mais les qualités propres de Louis ont joué un rôle essentiel. Très tôt, il sait ce qu’il veut et fait tout pour y parvenir, à force de travail, de capacité de conviction et d’empathie. Ce n’était pas rien de convaincre ses parents de le laisser partir à Sèvres à 16 ans, mais il avait suffisamment bien préparé sa démarche et ses arguments pour emporter leur adhésion. Ce n’était pas rien non plus de pouvoir quitter son lycée pour aller enregistrer à Fribourg. L’imagination, l’audace, le sens de la relation aux autres et avec le public lui ont permis de constituer et maintenir dans la durée Sixun, puis Jaleo, des ensembles dont le succès ne s’est jamais démenti, bien que la composition de l’un comme de l’autre ait évolué dans le temps. De même, il a su réunir des artistes dans toutes sortes de formations, duos, trios, quintettes, sextuors, pour des projets ponctuels ou plus durables.

De tournée en tournée, Louis Winsberg a parcouru la France et le monde. Mais il a un point d’ancrage à Eygalières. C’est ici qu’il a vécu jusqu’à 16 ans et qu’il est revenu à 38 ans, dans la maison de ses parents, voisin de son ami Francis Guerrier. Il y a installé le studio d’enregistrement de ses rêves. Il y vit avec sa femme Bernie et sa fille adolescente. « Je ne peux pas imaginer mieux qu’être ici », dit-il.

Parce qu’il ne veut pas seulement être ici « pour la beauté du lieu », il s’est lancé avec ses amis Stéphane Guiran et Francis Guerrier (voir leurs portraits dans cette Galerie) dans l’aventure des « Rendez-vous Calan d’Art ». Calan d’Art, un événement artistique et festif au cœur de l’été, « pointu et populaire », devenu au fil des années un vrai succès, avec notamment avec « La nuit des patios » et le « Petit bal de luxe ». 2018 a marqué la dixième édition de l’événement ; Jaleo s’y est produit pour la première fois.

Pour Louis, heureux d’être là où il est, de pratiquer son art et de le faire partager, l’aventure continue. A 55 ans, il a de nombreux projets. En particulier, il projette de faire jouer Jaleo dans les pays voisins, où il est encore peu connu malgré les tournées déjà réalisées. « J’ai une certaine réputation en France - dit-il – mais peu à l’étranger, en dehors du monde des musiciens ». Il a commencé à réaliser un film autour de sa musique et réfléchit à d’autres idées, dont il ne me parlera pas car elles doivent encore mûrir. Mais il n’y a pas de doute qu’avec sa belle énergie, son enthousiasme communicatif et sa capacité de travail, Louis Winsberg continuera longtemps à régaler son public de ses mondes musicaux.

16 septembre 2018