Eygalieres galerie de portraits

Sylvain Buffile

La géométrie des espaces vides

Sylvain Buffile présente ses oeuvres du 14 juin au 7 juillet 2019, conjointement avec le sculpteur sur arbre Marc Nucera, dans le cadre d’une exposition organisée par « Eygalières, Terre d’artistes », à l’ancienne église Saint Laurent. Cet artiste-peintre né à Aix-en-Provence a travaillé pendant vingt ans à Eygalières où se trouvait son atelier, avant de s’établir dans le village voisin de Mollégès. Aux côtés de ses parents céramistes l’un et l’autre, il a baigné dès son plus jeune âge dans un environnement d’artistes de toutes disciplines. Sa carrière artistique, marquée par la constance et la fidélité au style qui lui est propre, s’inscrit donc dans une continuité familiale et pourrait être qualifiée de linéaire si elle ne se découpait en deux périodes bien distinctes.

A Aix-en-Provence, l’Atelier Buffile est presque une institution, créée par les parents de Sylvain et qui, deux générations plus tard, poursuit aujourd’hui son activité. Ouverte à toutes sortes d’artistes, la maison de Léonie et Jean Buffile est un nid pour Sylvain et ses deux frères, qui s’imprègnent d’art. Tous les jours, ils côtoient peintres, céramistes, photographes, architectes. Les soirées se terminent bien tard, le lendemain à l’école on a du mal à résister au sommeil. D’ailleurs, dit Sylvain, « ce qu’on apprenait à la maison était mille fois plus riche que l’école ». C’est en somme une enfance rêvée et une belle introduction à sa vie d’adulte, ce dont Sylvain est infiniment reconnaissant à ses parents. Il observe la céramique et s’y essaie mais n’est pas conquis, le côté physique voire alchimique le rebute un peu. C’est son jeune frère Vincent qui s’y adonnera et qui, plus tard, reprendra l’atelier de ses parents. Sylvain, lui, est attiré par la peinture. Comme pour beaucoup de peintres, le défi de sa vie sera de faire vivre une troisième dimension sur une surface plane, grâce aux jeux de la lumière.

Pour relever ce défi, il faut d’abord apprendre. Dès 16 ans, Sylvain quitte l’école pour s’inscrire aux Beaux-Arts à Aix. Là, il apprend les bases ce qui va être son art, « les arts classiques », dessin d’après plâtre, d’après modèle, natures mortes. Il pratique d’abord l’aquarelle, puis passe à la gouache, avant, beaucoup plus tard, d’évoluer vers la peinture à l’huile et les grands formats. Alors qu’il a tout juste 18 ans, mai 68 passe par-là. Sylvain tient encore quelque temps aux Beaux-Arts, mais l’appel du monde extérieur est trop fort pour lui. En 1970, il part un an en Angleterre – il est certes un peu rebelle, mais c’est un ami de ses parents qui facilite ce voyage. Sylvain en garde quelques souvenirs forts, comme un concert gratuit des Rolling Stones à Hyde Park. Il voyage, il revient et repart presque illico, cette fois-ci pour l’Afrique du Nord, qu’il parcourt, les mains dans les poches, avec un copain. Sentiment de liberté intense. Le retour à la réalité s’impose lorsque l’étudiant sursitaire Buffile Sylvain, qui aurait voulu partir en coopération en Afrique, n’y parvient pas et est donc incorporé pour faire son service militaire. Il intègre une unité du génie : avec ses camarades, il apprend à manipuler des explosifs. Ces jeunes, dont certains ont « fait » mai 68, moquent leurs officiers pour cela. Mais Sylvain apprécie de pouvoir côtoyer et découvrir des jeunes d’autres milieux que lui. C’est à vrai dire une sorte de privilège car à l’époque la plupart des « jeunes instruits » partent en coopération après avoir été sursitaires, réduisant à peu de choses l’effet de brassage que le service militaire avait eu par le passé.

Au cours des années suivantes, Sylvain est entre deux eaux. Il alterne voyages un peu déjantés et production artistique, avec notamment ses premières expositions. La toute première a lieu à Nîmes dans une galerie, aujourd’hui disparue, celle de son ami Gibert Bruchet, dit Bruchetti. « Cette première expo a formidablement marché », dit Sylvain ; c’était en 1975, il avait 25 ans. Quel artiste-peintre de 25 ans parvient à vendre ses tableaux dès sa première exposition ? Il fait rentrer quelques sous, mais surtout cela lui donne confiance en lui-même et plus encore en sa capacité. Cependant, tout n’est pas encore bien clair dans sa tête. Il passe deux ans à peindre dans la Drôme, avant d’aller s’installer près de Saint-Rémy-de-Provence.

Avec le mode d’éducation qu’ils ont choisi, ses parents lui ont donné beaucoup de liberté, ils lui ont permis de commencer à exprimer sa sensibilité artistique et d’en vivre au moins chichement. Mais la contrepartie, c’est que Sylvain s’éparpille. Il peine à faire ce à quoi il aspire au plus profond de lui-même alors que, comme les années suivantes vont le montrer, il dispose de tous les atouts pour cela. Après cette première vie comme en chantier, un peu chaotique, itinérante, à propos de laquelle il dit « j’étais souvent un peu paumé », la trentaine va marquer pour lui une nouvelle étape, déterminante : stabilité, régularité, qualité.

Ce basculement, semble-t-il, est dû à deux facteurs majeurs. A Saint-Rémy, il rencontre des artistes plus âgés et plus expérimentés, qui vont un peu le cornaquer, le mettre sur des rails : Mario Prassinos et surtout Louis Pons et Joseph Alessandri. Et il rencontre Deli, qui va devenir sa femme. Entre amour, amitié et respect, Sylvain se reconstruit sur des bases techniques et artistiques déjà solides. Il s’installe au Mas du Mistral, juste à la lisière d’Eygalières et d’Orgon. Joseph Alessandri l’introduit auprès de M. Pichotin, propriétaire d’une galerie rue de Seine à Paris, qui se trouvait être le frère du maire de Mollégès de l’époque. La première exposition parisienne est, là encore, un succès. Pour travailler, Sylvain déniche un grand grenier au centre du village d’Eygalières, qu’il loue tout en faisant à l’occasion office de gardien quand la maison n’est pas occupée. Il est à quelques pas de l’atelier de Joseph. Il y reste dix ans puis se transfère dans un autre grenier, toujours dans le village, en contrebas de la fontaine de la République. A l’époque, de l’autre côté de la rue se trouve le restaurant « Chez Bru ». Il y place quelques toiles, ce qui lui vaut parfois la visite dans son atelier de clients du restaurant. Puis, en 2000, se dessine la possibilité d’acheter dans le centre historique de Mollégès une maison enchâssée entre les murs de l’ancienne abbaye et de l’église abbatiale, et dotée d’un immense grenier. Pour la première fois, Sylvain a son atelier à lui, un vrai bonheur.

Pendant toute cette période, il peint, souvent en grand, une peinture réaliste marquée par son style personnel, fasciné qu’il est par les lieux vides, la nuit, les murs aveugles, les constructions géométriques ; il fait jouer la lumière, construit de fausses perspectives, ... Bien que Sylvain affirme, avec pas mal d’exagération, peindre « le même tableau depuis 40 ans », son art a évolué, notamment au contact d’artistes qui l’ont inspiré et qui l’inspirent encore : Hopper, Hammershøi, plus près de nous Chabaud et d’autres peintres régionaux. Il a souvent exposé, en France, à l’étranger et notamment aux Etats-Unis, et même une fois dans un train. Pour autant, il refuse depuis toujours de se voir imposer un rythme commercial. Il peint comme il veut, quand il veut, ce qui ne signifie pas dire qu’il peigne peu : il suffit de voir son atelier pour s’en convaincre. Et de consulter son site internet (sylvainbuffilepeintures.blogspot.com) pour en avoir un aperçu.

Le début des années 2000 où il s’installe à Mollégès, c’est aussi la période où on lui diagnostique la maladie de Parkinson. C’est un choc à l’époque, et aujourd’hui c’est un handicap, doublement : une agilité physique réduite et l’absorption d’une bonne part de son énergie par la grande concentration nécessaire pour « gérer » sa maladie. Mais en même temps, Sylvain affirme que cette maladie l’a stimulé, la perception de la finitude des choses l’incitant à travailler toujours plus. Avec la conscience d’être un artiste reconnu par ses pairs comme par son public, mais avec toujours en tête cette maxime de celui qu’il appelle son maître à penser, le peintre Louis Pons : « une seule certitude, le doute ». Sur un point cependant, le doute n’est pas permis : oui, Sylvain Buffile a bien relevé le défi qu’il s’était lancé en décidant d’être peintre.

15 juin 2019