Eygalieres galerie de portraits

Florence Champ

Saisir la vie

Etonnante Florence Champ ! On la croit à Eygalières, elle est à Uzès. On la croit à Uzès, elle est à Lisbonne. Et c’est avec la même agilité qu’elle passe de l’anglais à l’espagnol ou au portugais. Elle parle le français comme vous et moi, l’italien comme une Italienne. Cette jeune femme de trente ans, épanouie, chaleureuse et positive, saisit la vie avec gourmandise. Fille d’un Anglais et d’une Irlandaise, eux-mêmes très nomades, Florence est un être multiculturel. Profondément attachée à Eygalières, qu’elle a connu dès son adolescence, elle se sent chez elle partout ailleurs également, autant locale que globale, jouissant de ses multiples appartenances. Mais Florence a un cap : c’est la peinture, elle veut en faire sa vie.

D’où tient-elle cet attrait pour les arts plastiques, dont elle a choisi de faire son métier, ce que, disent ses parents, elle annonçait avec conviction dès ses cinq ans ? Elle ne s’en explique pas mais elle évoque un souvenir d’enfance. A Uzès, un de leurs voisins, un peintre américain qui avait étudié en Italie, avait l’habitude d’offrir à Florence et à sa sœur jumelle Béatrice des boîtes de couleurs. C’est ainsi que Florence s’est mise à peindre, en commençant par les beaux objets qui l’entouraient. Car ses parents, Jon Champ et Mary Lynch, sont tous deux antiquaires. Antiquaires de meubles, de tissus, et de voitures anciennes ! Entourée dès son enfance de beaux objets qu’elle a aimé regarder, Florence associe depuis toujours l’art à la vie quotidienne. En revanche, elle n’a pas été contaminée par cette passion pour la mécanique qui anime d’autres membres de la famille : Jon restaure de vieilles voitures : il suffit de passer par le chemin de la Grotte de Tarascon pour apercevoir en contrebas, devant son mas, des « old timers » qu’il remet lui-même en état, quasiment à plein temps. Quant à Béatrice, elle est devenue sellière-mécanicienne de voitures d’époque. Florence, elle, en est restée indemne, ce qui ne l’empêche pas de camper une vieille 4L d’un jaune lumineux au milieu d’une toile représentant le mas familial sur fond d’Alpilles.

Construire sa vie à sa main, a modo suo, comme elle le dirait en italien, telle semble être la détermination de Florence. Et elle a de qui tenir car c’est ce qu’ont fait ses parents. Jon est anglais mais a très tôt séjourné en France avant de s’y établir avec sa famille. Mary, née en Irlande, toute jeune, a tourné le dos à la société irlandaise, trop fermée à son goût (à l’époque, seuls trois métiers étaient ouverts aux femmes : enseignante, infirmière, salariée de banque) pour partir seule vivre à Barcelone au milieu des années soixante-dix ; elle y a rencontré de nombreux artistes, y est devenue antiquaire et y a rencontré Jon.

Après cinq années à Londres où les deux sœurs sont nées, la famille déménage à Uzès, où habite toujours Mary. Florence y passe son enfance. Elle aime cet environnement, une maison à la campagne, entourée d’animaux ; aujourd’hui encore, Mary a douze chats, trois chiens et deux chevaux. La vie rurale pour les deux sœurs, c’était aussi un séjour chaque été à la ferme en Irlande, la patrie de Mary, où elles retrouvaient leur vingtaine de cousins. Mais il n’y a pas que la campagne : Florence a passé aussi deux ans et demi à Barcelone, près de six à Florence, quelques mois à Londres, à Berlin, à Madrid et maintenant elle est à Lisbonne où elle passe plusieurs mois chaque hiver. A chaque fois, elle s’immerge dans une culture différente, elle s’y intègre tout en restant elle-même. Cet enchaînement de lieux, d’expériences, c’est tout elle, apparemment peu désireuse de se fixer mais qui fait son miel de la vie qui l’entoure. Florence a trois nationalités, la britannique, l’irlandaise et la française, plus une autre, de cœur, la nationalité italienne. Mais c’est surtout en France qu’elle a vécu ; c’est là qu’elle est allée en classe, à Uzès. Puis, après le collège, elle a préféré poursuivre ses études au Lycée Alphonse Daudet de Nîmes, où elle a pu se spécialiser en histoire de l’art.

Ensuite, elle enchaîne des formations très différentes les unes des autres, chaque fois ailleurs : aux Beaux-Arts de Barcelone, elle s’abreuve de Mirò, de Tapiès, de l’art du vingtième siècle. Elle apprend l’espagnol et le catalan, mais reste sur sa faim quant à la formation artistique, trop orientée à son goût vers des sujets périphériques. Puis c’est Florence en Toscane, « un berceau pour l’art graphique », qui ressemble à un petit village plein d’artistes auto-proclamés, mais en réalité un lieu où « on ne paye qu’en compliments ». Elle s’y imprègne de l’art classique et suit les cours de « l’Académie des Arts classiques de Florence », une institution assez improbable, où la directrice et les enseignants sont russes et les élèves fortement teintés d’une religiosité catholique. Si l’ambiance qui y règne ne lui convient qu’à moitié, elle apprend à composer une peinture à partir de son esprit, sur un thème choisi a priori. Elle se met ensuite à travailler dans l’atelier de Ben Fenske, un peintre américain réputé, avec lequel elle peint beaucoup. Grâce à lui, elle a l’occasion de partir pour les Etats-Unis, où elle va travailler pendant trois mois dans une galerie de Long Island, près de New-York, où les tableaux de Ben sont mis en vente. C’est la première fois qu’elle est confrontée à la vente d’œuvres d’art. Florence découvre en effet une clientèle bien particulière qui n’hésite pas à acheter mais qui se détermine sans beaucoup d’a priori, choisissant les œuvres en fonction de la couleur dominante de son salon … C’est un choc culturel pour elle ! Une expérience intéressante mais passablement déstabilisante pour qui apprécie les œuvres en elles-mêmes et non comme des éléments de décoration intérieure.

De retour en Toscane, elle commence à « saisir la vie » dans sa peinture, faisant le portrait de personnes autour d’elle dans l’exercice de leur activité : un cordonnier, un réparateur de vélos, un paysan au marché. Des gens qui comptent pour elle et dont elle sait qu’ils ne seront plus là dans quelques années. Elle continuera dans cette veine à Londres, où elle étudie à la « Royal Drawing School », juste assez pour prendre conscience que le dessin n’est pas sa vocation. Et après deux courtes tentatives à Berlin et à Madrid, elle pose ses valises à Lisbonne, où depuis trois ans, elle passe l’hiver, à travailler dans le cadre splendide de l’Ecole des Beaux-Arts, située dans un ancien couvent. Lisbonne, une ville superbe, qui a remarquablement assimilé son passé colonial, une ville « hyper-multiculturelle » dit-elle. Mais une ville dont les habitants sont écrasés par les touristes, et les étrangers en général, et chassés du centre vers les périphéries. Toutes ces transformations et leurs implications sur la vie des habitants ne manquent pas d’interpeler Florence, à l’écoute du monde environnant et consciente de la vulnérabilité des choses. Grâce à sa peinture et avec sa sensibilité, elle s’attache à conserver les traces d’un passé qui est en train de disparaître. Aussi s’est-elle mise à témoigner en peignant des rues qui changent, des sites en construction aussi bien que des scènes représentant le peuple modeste qui vend et achète au marché aux puces.

Ainsi se construit la vie de Florence. Elle la saisit à pleines mains, dans la liberté et la création. Attachée à ses origines britanniques et irlandaises, elle a fait mouvement vers les contrées méridionales, où elle se sent chez elle pour en avoir appris et maîtrisé les langues et pour en avoir approfondi l’histoire, la culture et l’art. Dans cette vie itinérante, Eygalières reste pour elle un point fixe. Elle y revient très régulièrement, chez son père, au Mas de la Grotte, autrefois habité par l’écrivain Philippe Hériat (évoqué dans le portrait de Marco Budry dans cette Galerie). Elle y apprécie l’environnement sauvegardé du mas avec ses vues minérales sur les ruines du Vieil Eygalières, les Alpilles et la plaine où le regard se perd jusqu’au Mont Ventoux. Son attachement à ce lieu, elle l’a manifesté à l’automne 2019 en organisant au Mas de la Grotte une exposition conjointe de ses œuvres avec celles de Zine (voir son portrait dans cette Galerie). Grâce à ce petit événement artistique très local, des habitants du village et des amis de toutes nationalités, artistes et amateurs d’art, se sont rencontrés pendant trois jours dans une ambiance conviviale et internationale.

3 avril 2020