Jean-Michel Marais
L'homme multiple
De la Porte de l’Auro, Jean-Michel Marais descend dans le village. Son visage rond, sa barbe de quelques jours, son couvre-chef, nous sont familiers mais lui reste toujours discret. On sait qu’il part travailler sur des bateaux ancrés un peu partout en Europe pour y restaurer le mobilier. On sait qu’il peint la nature et qu’il expose à l’occasion. On sait qu’il contribue volontiers à l’organisation des manifestations culturelles du village. Au-delà de ses dehors un peu nonchalants, cet homme qui s’est « posé » à Eygalières il y a maintenant 25 ans recèle une personnalité aux multiples facettes qui lui ont façonné une vie peu ordinaire.
D’abord, Jean-Michel a de nombreux talents, liés à ses mains, ses yeux et ses oreilles. Ebéniste de formation, artiste et artisan, il est fort habile de ses mains, il a du goût ; il s’est spécialisé dans la restauration de meubles. Enfant, à côtoyer son grand-père Rochelais devenu peintre à l’âge de la retraite et son père designer à Bordeaux pour des marques de chaussures, il a acquis une familiarité intime avec le dessin et la peinture, sans avoir vraiment appris. A 17 ans, il se retrouve à Toulouse, initié à l'art du bois chez les Compagnons. Il aime la musique, joue de la guitare en composant ses propres morceaux, qu'il chante jusqu'en Afrique et aux Iles Canaries. Là, il passe à la radio et à la télévision, acquérant ainsi une certaine célébrité locale. Une autre de ses facettes est le besoin de bouger sans cesse : pendant 15 ans, il se pose rarement pour longtemps.
Au total, un itinéraire de jeunesse original et inventif qui n’aurait rien d’exceptionnel si sa personnalité n’était pas imprégnée par trois autres dimensions : la nature, l’Afrique et les étoiles, ou plutôt certaines étoiles. La nature, c’est pour Jean-Michel une attirance profonde. Son enfance, à La Rochelle et dans le Marais Poitevin, a sans doute contribué à cette sensibilité. C’est aussi la perception aiguë que la nature est au cœur de tout et qu’elle est très vulnérable. Une perception que ses voyages ont renforcée. Les dessins de Jean-Michel, ses peintures, sont essentiellement des paysages imaginaires qui évoquent le mystère des Temps géologiques. Sans doute pour s’en imprégner plus encore, il va jusqu’à vivre pendant deux ans dans une grotte aux Canaries ; presque une vie d’ermite, à huit heures de marche du village le plus proche. Pas d’électricité, l’eau des sources est recueillie dans une citerne, le jardin fournit l’alimentation ; du matin au soir il s’adonne à la peinture et de temps en temps se met en marche, avec sa compagne de l’époque, pour aller vendre ses œuvres à Las Palmas.
L’Afrique, une drôle d’histoire tout de même. Jean-Michel a trois ans lorsque, sur la plage de La Rochelle, il rencontre un homme noir pour la première fois : il se précipite dans ses bras et ne veut plus le quitter… Très tôt, le continent africain fascine Jean-Michel, qui n’aura de cesse d’aller le découvrir. A 21 ans, il part à Dakar ; il parcourra par la suite dans tous les sens le Sénégal et le Mali et ira notamment chez les Dogons, ce peuple un peu particulier qui vit au Nord du Mali. A l’égard de l’Afrique et des Africains, il ressent une proximité, une familiarité. Il s’y sent à l’aise, comme chez lui, et cela semble réciproque : il se retrouve souvent dans des circonstances où les Blancs n’auraient pas leur place – car, comme le dit Jean-Michel, « il y a des choses qu’ils veulent garder pour eux ». Mais lui est parfaitement accepté, comme si, blanc de peau, il était Noir à l’intérieur. En pays dogon, c’est bien plus que cela. Depuis tout petit, Jean-Michel a le sentiment, la conviction d’avoir vécu une vie antérieure. Cette vie se serait-elle déroulée chez les Dogons ? Chez eux, il dit avoir « reconnu » des lieux, des personnes, et certaines d’entre elles l’auraient « reconnu » lui aussi.
Cela nous conduit à la troisième dimension, qui se situe dans le cosmos. Très jeune, quand il regarde le ciel étoilé en hiver, Jean-Michel ne voit « que » les trois Etoiles du Baudrier dans la constellation d'Orion, qui sont il est vrai des astres particulièrement visibles quand le ciel est clair. A 13 ans, il s’abîme toute une nuit dans leur contemplation, comme obéissant à une voix extérieure. Plus tard seulement, il apprend que, dans la cosmogonie des Dogons, ces étoiles seraient le centre de l’univers, la porte d’entrée de la galaxie d’Andromède d’où, selon eux, proviendrait l’humanité.
Lorsqu’il arrive en Afrique pour la première fois, à Dakar, Jean-Michel assiste à un concert. Rythmes, chaleur, effet de l’étrangeté, émotion de la découverte, il ne sait, Jean-Michel entre dans une sorte de transe et « descend dans son passé » ; il voit, dit-il, sa naissance, traverse un « tunnel de lumière », voyage dans les étoiles et rejoint les siennes, jusqu'à apercevoir la galaxie d’Andromède … Cette expérience inoubliable le bouleverse, c’est un véritable choc. Et toute cette dimension reste présente à sa conscience de manière diffuse, même si elle est un peu encombrante. Toujours est-il que Jean-Michel sait au plus profond de lui-même qu’il n’a appris tout cela de personne mais qu’il est « né avec ce bagage-là ».
Redescendons sur terre, il le faut bien. Ses talents, le besoin de bouger et ses trois dimensions lui ont forgé une vie peu ordinaire, qu’on ne résume pas aisément. Constituée d’une multitude de lieux, en France, en Afrique, aux Canaries, et d’une multitude d’activités, artistiques et artisanales, qui lui permettent de vivre et d’exprimer sensibilité et aspirations. Avec le besoin de « porter la bonne parole », que je vous livre dans sa beauté brutale : « on ne serait pas loin du paradis si on était moins c… » - ce qu’il fait en actes, plutôt à travers son comportement que par des discours : Jean-Michel est peu expansif ; il est modeste ; il est fidèle aussi, fidèle en amitié, fidèle à ses passions.
A 33 ans, il s’établit à Eygalières pour la beauté du lieu, et rompt avec la vie d’itinérance qu’il avait menée jusque-là, même s’il se déplace en Europe pour aller restaurer le mobilier de bateaux. En 1999, il rencontre Nadine Fourré (voir son portrait dans cette Galerie), qui devient sa compagne. Il l’initie à la Provence, à la Durance, et elle l’emmène travailler six mois au Japon pour un chantier gigantesque de décorations picturales, avant de revenir elle-même s’établir avec lui à Eygalières.
Là, Jean-Michel renoue au quotidien avec la peinture, qu’il avait pratiquée puis interrompue à plusieurs reprises au cours de sa vie. Son grand-père l’avait initié à l’aquarelle. Ont succédé des peintures à l’huile, à l’acrylique, voire des fresques. Lorsque l'artiste eygaliérois Gérard Drouillet, en 2006, organise un hommage à Bernard Paul, son compagnon décédé, une petite voix intérieure suggère à Jean-Michel d’aller lui présenter ses œuvres. Et, sur l’insistance de Gérard Drouillet, il se remet à ses pinceaux, qu’il n’a plus quittés depuis lors, peignant la nature, inlassable source d’inspiration pour lui.
Aujourd’hui toutefois, ce qui l’inspire vraiment, c’est l’écriture, dont à ce stade on ne saura pas plus….
N’oublions pas l’assistance dévouée que Jean-Michel apporte aux manifestations culturelles d’Eygalières lorsque, par exemple, il fabrique et installe les nombreux panneaux qui permettent aux visiteurs de s’orienter entre les divers lieux du Festival « Sous les feuilles d’automne ». Et voilà Jean-Michel Marais : disponible, concret, et en même temps habité par sa vie antérieure et sa vie intérieure. Une personnalité originale et précieuse pour le village.