Eygalieres galerie de portraits

Huguette Schneider

Toujours en mouvement

Quelle énergie chez Huguette Schneider, toujours en mouvement, ouverte sur les autres, généreuse et volontaire ! Née en Alsace, comme le révèle un soupçon d’accent régional résiduel, Huguette a pris pied à Eygalières il y a près de quarante ans et n’a guère quitté sa région d’adoption que pour suivre une formation en Allemagne pendant quatre ans. Son parcours, à la fois éclectique et cohérent, a été nourri tant par cette énergie dont elle déborde et qu’elle a un besoin vital d’exprimer que par un désir profond de jouer un rôle utile dans la société. Tôt habitée par le désir de pratiquer la danse, elle en a fait son métier, ou plutôt sa passion, une passion qu’elle a rapidement mise au service de sa volonté de partage, de pédagogie et de soutien aux autres. Une passion qui cependant ne l’a pas empêchée de s’adonner avec bonheur au dessin et à la peinture, auxquels elle a pris goût, très jeune là encore.

On pourrait dire qu’Huguette est le mouvement incarné. Et d’abord, le mouvement du corps. Jeune enfant, elle ne tient pas en place, au désespoir de ses maitresses d’école et au grand désarroi de ses parents, qui habitent à Haguenau, une petite ville tranquille du Nord de l’Alsace. Eugène, son père, est un maître pâtissier-boulanger-chocolatier ; Thérèse, sa mère, tient le commerce et n’a guère le temps de s’occuper de ses quatre enfants, dont Huguette est l’aînée. Chez les Schneider, on travaille dur et beaucoup car on est parti de rien. Mais on sait apprécier la vie : on va au bal, au concert, au théâtre, on traverse la France pour aller voir les amis ou partir en vacances. L’immense jardin clos adossé à la boulangerie-pâtisserie permet aux enfants d’improviser des pièces de théâtre et de s’inventer ainsi des vies parallèles. A la maison, on parle alsacien, c’est la langue maternelle d’Huguette, qui n’apprendra le français qu’à l’école. La population alsacienne reste marquée par le traumatisme qu’a représenté le fait d’être ballottée pendant trois générations entre France et Allemagne, l’une et l’autre imposant à chaque fois l’usage de sa propre langue. Dès l’âge de 8 ans, Huguette annonce à ses parents qu’elle « est une danseuse ». Bien entendu, cela ne les réjouit pas : ils souhaitent pour elle un « vrai » métier. Cependant son père, sportif accompli, lui suggère dès ses 10 ans de rejoindre l’Union de gymnastique acrobatique de Haguenau. Huguette est enthousiasmée par le côté rythmique de cette gymnastique et par le niveau de l’enseignement. Elle restera membre de cette association jusqu’à ses 18 ans ; après des années de compétition, elle devient juge inter-régionale et entraîneuse de l’équipe de « minimes ».

Le bac en poche, elle s’installe à Strasbourg. Là, elle rejoint rapidement une compagnie de théâtre contemporain et politique appelée « Bullican Rosiner ». Avec ce groupe et avec Cary Rick, un danseur comédien issu de la compagnie berlinoise Mary Wigman, elle crée un « Centre de recherche et de création sur les arts scéniques » (CRECAS), qui met en place une formation professionnelle pour danseurs-acteurs-chanteurs et des cours de danse et de théâtre pour tous publics. Ce Centre, une innovation pour l’époque, rencontre d’emblée un grand succès puisque, dès l’ouverture, deux cents personnes s’y inscrivent. Huguette quant à elle pratique enfin la danse et le théâtre à temps plein, monte sur scène et commence à enseigner la danse, révélant des talents pédagogiques. Mais il n’est pas question de rester sur place. En 1983, le collectif se rapproche du Festival d’Avignon avec tout son répertoire, dont « Femmes », un récital de textes et de chansons autour de la représentation de la femme au théâtre. Saint-Rémy-de-Provence est leur premier point de chute ; le CRECAS y est transféré. Huguette a 26 ans. Elle s’installe dans un petit appartement à Saint-Rémy et fait la découverte de cette région qui va devenir la sienne. De la mairie, elle obtient la concession d’une salle de sports désaffectée, où elle reprend son enseignement, avec cinquante élèves une semaine seulement après l’ouverture des inscriptions. A Eygalières, trois familles lui demandent en 1984 d’enseigner la danse à leurs enfants. C’est ainsi le point de départ de sa présence dans notre village. Elle enseigne dans le cadre du Foyer rural puis crée une formation pour « enfants danseurs » avec le soutien de Félix Pélissier, le maire de l’époque, qui fait notamment installer un plancher dans la nef de l’église Saint-Laurent. En quelques années, une quinzaine d’enfants danseurs, ses élèves, atteignent un niveau professionnel. En 1990, Huguette achète sa maison à Eygalières et s’y installe avec son compagnon pianiste. Naissent deux garçons, César et Léon. Puis le couple se sépare. Huguette crée « L’Os », un solo pour une danseuse, trois musiciens et une plasticienne, qu’elle joue régulièrement pendant cinq ans.

Enseigner est l’autre aspect de son besoin de mouvement, un besoin qui la pousse vers les autres. Toujours, elle a enseigné la danse et l’art du mouvement et continue de le faire aujourd’hui. Mais son besoin d’être utile à la société va la conduire bien au-delà de la danse. Peu après son arrivée en Provence, elle fonde en partenariat avec le Club Léo Lagrange, qui a pour mission de « lutter contre les inégalités sociales et les fractures culturelles », et les Missions locales, un organisme de formation professionnelle à Avignon pour des personnes en difficulté issues des quartiers sensibles des villes de la région. La méthodologie qu’elle crée, « La danse, le théâtre et la peinture comme supports pédagogiques à l’apprentissage de la lecture et de l’écriture et à l’insertion sociale et professionnelle », est agréée et distinguée par la Direction régionale du travail et de la formation professionnelle.

Arrive la quarantaine. Huguette a besoin de se renouveler, d’élargir ses horizons. Elle veut partir en Allemagne pour obtenir un diplôme international en eurythmie, « art du mouvement » né au cœur de l’expressionnisme allemand au début du siècle dernier ; ses enfants décident de rester vivre chez leur père. Tout s’enchaîne : la maison est confiée à des amis professionnels du spectacle ; les modules de formation du CRECAS sont transmis en de bonnes mains. De 2004 à 2009, Huguette vit et travaille ainsi à Witten, près de Dortmund ; elle en revient diplômée en eurythmie par le Witten Annen Institut für Waldorf Pädagogik.

Son goût pour la peinture et le dessin remonte à l’école primaire. Lorsque Huguette a l’âge d’y entrer, c’est la fin de la guerre d’Algérie. A Haguenau, où les garnisons sont nombreuses, les militaires rapatriés d’Algérie ont priorité sur les habitants pour inscrire leurs enfants dans l’enseignement public, en pratique dans l’école située à deux pas de chez les Schneider. Furieux, son père inscrit alors Huguette, et ses autres enfants plus tard, dans une école privée animée par des religieuses, à des kilomètres à pied de chez eux. Mais ces enseignantes, en voie de « laïcisation », entièrement dédiées à leur vocation, savent éveiller beaucoup de choses chez cette jeune fille qui émerge de l’enfance. Les activités sont diversifiées, beaucoup de sport, de la danse, de la musique, de la couture, de la peinture. Huguette y trouve son compte et se découvre du talent pour dessiner et peindre, passion qui ne l’a pas quittée depuis et la conduit à participer régulièrement à des expositions.

C’est un point commun avec Jean-Louis Dalloz (voir son portrait dans cette Galerie), son mari depuis douze ans. Leur aventure commune a commencé en 1983 autour de la formation des enfants danseurs à Eygalières, puis avec la création d’une école Steiner à l’Isle-sur-la-Sorgue, où ont étudié leurs enfants à l’un et à l’autre. Le mouvement Steiner est aussi à l’origine de l’eurythmie et plonge ses racines dans l’expressionnisme allemand, un courant artistique qui a connu également une traduction dans les arts plastiques. Or, le « parrain artistique » d’Huguette est Barlach Heuer, ami de son père, graveur expressionniste et grand collectionneur d’œuvres d’art et de verreries Jugendstil. Cohérence, cohérence.
Ces quelques lignes ne sauraient rendre compte de tous les aspects de la vie d’Huguette Schneider, de toutes les activités de cette personne infatigable, parfois perçue comme envahissante, qui respire la joie de vivre et l’optimisme. Elles permettent cependant, peut-on l’espérer, d’en percevoir l’intensité et la cohérence.

11 octobre 2023