Eygalieres galerie de portraits

Jean-Paul Gilles

Aux commandes de sa vie

Il y a encore dix ans, avec « Allo multi-services », Jean-Paul Gilles proposait à Eygalières et alentour toutes sortes de réparations et de travaux d’entretien dans les maisons. Pour cet Eygaliérois d’origine, c’était à la fois un retour à ses racines et un radical changement d’orientation professionnelle, après un parcours de haut vol marqué par sa soif d’apprendre, sa curiosité tous azimuts, son goût de la découverte et des défis, et par-dessus tout son besoin d’asseoir ses choix sur des bases réfléchies. C’est ainsi que, tout au long des années, Jean-Paul a choisi d’être aux commandes de sa vie.

Jean-Paul, en effet, est un être de raison, un être cartésien, qui a besoin d’analyser avant d’avancer. Au cours de son parcours professionnel, il a souvent pris le temps, jusqu’à plusieurs mois, de réfléchir à l’étape suivante. A une exception près, essentielle : c’est en suivant son instinct qu’il a pris l’une des décisions les plus importantes de sa vie. A 25 ans, assis lors d’un dîner à côté d’une certaine Françoise Provin, il a décidé qu’elle était son élue. Ce jour-là, dit-il, « j’ai gagné le gros lot ». S’il a gagné, c’est qu’il a joué et bien joué puisque, quarante-cinq ans plus tard, il est toujours convaincu d’avoir instinctivement fait le bon choix.

Il est vrai que ses jeunes années ont été plutôt celles de la découverte que celles de la raison. Louis Gilles, son père, est un gradé de la gendarmerie dont la carrière conduit sa famille, son épouse Aline Borri, Jean-Paul et ses deux sœurs, loin des sentiers battus, accordant ainsi à ses enfants une enfance et une adolescence atypiques, qui stimulent leur curiosité. Jean-Paul en conserve un souvenir émerveillé, à commencer par Tsiroamandidy, une bourgade au cœur de Madagascar, tout juste indépendante, où son père commande une caserne de gendarmerie. Le tout jeune Jean-Paul découvre alors la vie animale de la brousse, les caméléons, qui le passionnent plus que l’école. Il en sera de même lors des affectations suivantes de son père, sur la Côte d’Azur puis en Martinique, en Guyane. La plage, la plongée sous-marine, le sport, accaparent son attention – en 1968-69, il est champion Antilles-Guyane de judo. Et son esprit s’éveille à la diversité des cultures.

Revenons un peu en arrière pour planter le décor des origines familiales. Sur trois générations, c’est à Eygalières et, plus avant, dans les Alpilles, que Jean-Paul a toutes ses racines. La branche maternelle fait toutefois exception puisque l’arrière-grand-père de Jean-Paul, maçon, était né à Sanfrè, dans le Piémont. Son épouse a tenu le Bar du Centre à Eygalières pendant une trentaine d’années et son fils a été le boucher du village. Mais Jean-Paul est né à Drancy (alors dans le département de la Seine) et ne s’est installé à Eygalières qu’en 2002.

Sorti jeune du système scolaire, titulaire d’un CAP et d’un BEP de « comptable mécanographe » qui lui seront utiles par la suite, il accomplit son service militaire dès ses 18 ans. La chance lui sourit : après ses classes, il est affecté à la base de l’Aviation légère de l’Armée de terre au Cannet-des-Maures, où il devient l’intendant du mess des officiers. Cette page tournée, il ne perd pas de temps pour chercher du travail ni pour en trouver ; la période faste des « Trente Glorieuses » y contribue sans doute. Ensuite, ses capacités intellectuelles et son sens de la perfection le feront progresser rapidement. A Paris, il est embauché comme programmeur informatique par l’entreprise qui deviendra plus tard Cap Gemini Sogeti. L’employeur assure sa formation, qu’il digère très vite ; puis il ne tarde pas à diriger l’équipe qu’il a intégrée. Au fond, il aime se colleter à des sujets complexes, il veut « comprendre comment ça marche ». D’ailleurs, enfant, il n’avait de cesse de démonter les jouets qu’on lui offrait pour comprendre leur fonctionnement. Ses succès ne l’empêchent pas d’anticiper l’avenir : il comprend que, sans autre diplôme que les siens, il va être bloqué dans sa progression professionnelle. Ainsi, il démissionne – ce ne sera pas la seule fois – pour passer un BTS d’informatique. Grâce à cela, embauché à nouveau, il double son salaire. Cette fois-ci, il est prestataire et travaille pour différentes entreprises, pendant quatre ans. Une nouvelle interrogation le taraude : doit-il demeurer un expert en programmation ou devenir un généraliste ? La réponse demande réflexion ; il prend donc une année sabbatique au cours de laquelle il suit des cours de maths et de physique, histoire de nourrir son intellect. Il se passionne aussi pour la mécanique auto et moto, histoire de nourrir son habilité manuelle ; il s’aménage un atelier dans la maison qu’il habite avec Françoise à Mondeville, petit village de l’Essonne. C’est décidé, il sera généraliste et va s’investir dans la conception de systèmes d’information.

C’est grâce à cela qu’un jour, le Commissariat à l’énergie atomique (CEA) lui propose le poste de responsable des études informatiques. Il a juste trente ans, il accepte. Il va y rester sept ans, passant en parallèle au Conservatoire des Arts et Métiers (CNAM) un diplôme de 3e cycle en organisation. Il s’engage aussi dans la vie de son village, où il est élu conseiller municipal en 1989, accomplissant deux mandats dont neuf années en qualité de premier adjoint. Au CEA, on lui propose au bout de sept ans une promotion comme directeur informatique. C’est là un poste important, mais qui lui imposerait de changer de métier, de devenir gestionnaire dans le contexte particulier d’un établissement public dont l’activité se situe dans un domaine politiquement sensible. Jean-Paul ne s’y voit pas, il a le courage de décliner cette proposition flatteuse pour se remettre sur le marché du travail. Où il trouve à nouveau sa place, cette fois-ci dans une séquence toute différente, qui va durer six ans. Il va pouvoir mettre en œuvre en grand ses compétences en matière de systèmes d’information, au bénéfice d’une multinationale spécialisée dans les produits d’entretien, Reckitt & Colman. Celle-ci veut créer un système d’information unique pour toutes ses activités dans le monde. Jean-Paul travaille dans l’équipe européenne. Ce sont pour lui des années exaltantes et tendues à la fois. Exaltantes car l’équipe a un objectif concret à atteindre, qui sera atteint. Exaltantes aussi parce qu’il vit dans son activité professionnelle le « choc des cultures » qu’il avait connu en miniature lorsqu’il était adolescent : dans l’open space où il se retrouve à Londres tous les lundis, treize nationalités différentes cohabitent. Mais ce sont aussi des années tendues à cause de cette multiplicité et du heurt des egos de ces acteurs, tous compétents et convaincus de l’être plus que les autres mais en même temps conscients du but à atteindre ensemble. Tendues également pour des raisons physiques : tous les deux jours, Jean-Paul passe d’une capitale européenne à une autre.

En 2000, il est confronté à un grave événement : chez son père qui a pris sa retraite à Eygalières, on diagnostique une maladie dégénérative. En accord avec Françoise, devenue directrice interdépartementale de l’Unedic, il décide de s’établir dans le village pour accompagner ses parents, auxquels il est reconnaissant tant de l’enfance qu’ils lui ont donnée que d’avoir toujours respecté ses propres choix. Déjà, dix ans auparavant, anticipant la retraite, le couple avait acheté un terrain dans le village et y avait fait construire sa maison. Fort bien, s’installer à Eygalières, mais pour quoi faire ? Jean-Paul ne fait rien au doigt mouillé, il réalise donc une véritable étude de marché, dont il ressort que le « multiservices » peut lui permettre de vivre plusieurs années. Cela tombe bien, Jean-Paul sait faire fonctionner son cerveau et ses mains, en outre le contact humain lui plaît. C’est ainsi que « Allo Multi-services » est créé en 2005 et fonctionnera jusqu’en 2015, date à laquelle Jean-Paul prend sa retraite.

Son père étant décédé en 2009, Jean-Paul s’occupe aujourd’hui de sa mère qui, âgée de 95 ans, demeure vaillante mais a décidé de s’installer à l’Ehpad du village. Sa curiosité et sa forme physique étant restées intactes, il partage son temps entre la marche dans les Alpilles et à l’étranger, le bridge, la réflexion sur les nouvelles technologies comme l’intelligence artificielle et leurs conséquences. Il n’est pas encore venu, le jour où Jean-Paul Gilles s’ennuiera.

22 avril 2024