Francis Guerrier
La tête dans les étoiles et les pieds sur terre
Francis Guerrier me reçoit dans son lumineux atelier des Grandes-Terres, à Eygalières. C’est un homme épanoui, serein, heureux de vivre à Eygalières. « Ici, j’ai l’atelier de mes rêves, ici j’ai mes racines, j’habite dans la maison où je suis né, je conduis mon fils à l’école où j’allais quand j’étais petit ».
En le rencontrant, j’ai en mémoire et encore présente dans mes yeux son extraordinaire installation « Regards de Lumière » (http://www.francisguerrier.com/Francisguerrier.com/Regards_de_lumieres.html) présentée dans le cadre de l’ancienne église Saint-Laurent dans le vieil Eygalières, avec une musique créée par son ami Louis Winsberg (voir son portrait dans cette Galerie). C’était lors du festival « Sous les feuilles d’automne » en octobre 2017 ; près de 3 000 personnes ont vu cette installation, éblouies et émues comme en attestent leurs témoignages dans le Livre d’Or : « bouleversant », « un merveilleux voyage dans l’humanité », « un instant d’émotion intense ». Ce voyage en Syrie, raconte Francis Guerrier, « je l’ai fait à une période charnière de ma vie, en 2000, avec un ami photographe qui avait le projet incroyable de photographier les sites inscrits au Patrimoine mondial de l’Unesco autour de la Méditerranée, ce que nous avons fait en quatre mois, de l’Italie à l’Egypte ». Francis s’était équipé d’une petite caméra numérique dont l’écran pivotait, ce qui lui permettait de montrer leur image aux personnes qu’il filmait, époustouflées de se voir en mouvement et, du coup, complices du cameraman. Francis a ainsi filmé quasiment en continu la vie quotidienne de ces personnes qui vivent sur ces sites historiques, avec un « décalage entre l’instant présent et les traces laissées par l’histoire, mais aussi des convergences ».
Cette expression pourrait aussi s’appliquer à Francis Guerrier, dont la vie est faite de convergences et de décalages, avec en perspective quelques objets de fascination : le ciel du désert, les étoiles, la lumière, le théâtre, la scène. Et la passion pour la matière, le concret, la vie réelle. Et aussi l’art, car Francis Guerrier est avant tout un artiste.
Convergences et décalages
Convergences : d’abord la capacité de cet artiste plasticien à saisir et à développer un métier, un savoir-faire, une technique, qu’il va assimiler et agréger à sa personnalité et à son art pour faire ce qu’il est devenu aujourd’hui, c’est un peu la marque de fabrique de la « magie Francis Guerrier ». Sa capacité à créer une alchimie dont « Regards de lumière » est pour moi une expression très forte. Il y a aussi son désir, sa volonté de s’inscrire dans une lignée d’artistes, de son grand-père Francis Montanier à ses deux filles Pauline et Marie, en passant par ses parents Raymond et Francesca.
Décalages : la « montée » à Paris dès 19 ans, pour faire « autre chose » ; la création d’une société dans l’événementiel qu’il revendra lorsqu’il ne se sentira plus à l’aise dans ce qu’il fait ; le choix de l’art de la sculpture, tournant le dos à la peinture pratiquée par son grand-père et ses parents.
Son enfance, son adolescence à Eygalières, sont baignées d’art. Du fait de ses parents certes, mais aussi grâce à d’autres car Eygalières a attiré de nombreux artistes. C’est ainsi qu’il rencontre André Dupertuis, sérigraphe, pour lequel il travaille plusieurs étés de suite, et que Francis considère comme son premier professeur. En partant à Paris, Francis avait pensé vouloir être acteur, s’était inscrit au Cours Florent mais s’était très vite aperçu que ce n’était pas sa vocation. Il devient alors assistant metteur en scène puis rencontre Pierre-Henri Magnin, architecte-scénographe, « MON professeur », dit Francis, qui avec lui découvre l’univers du décor, une révélation. Il a alors une vingtaine d’années, il est serveur et mange sûrement de la vache enragée, mais il poursuit son chemin personnel et professionnel.
Il se marie – une première fois – et, lorsque sa femme Laurence est enceinte de Pauline, il se dit qu’il va devoir trouver le moyen de vraiment gagner sa vie. Ni une ni deux, à 25 ans, il crée « Maginem », société spécialisée dans l’événementiel, qui lui permettra d’employer jusqu’à 15 personnes. Pendant dix ans, il travaille pour de nombreuses entreprises, voyage à travers le monde – mais sans avoir le temps de rien voir ni de rien vivre. Il apprend beaucoup, le travail du bois, le travail du métal, il noue de belles rencontres. Mais, au bout de dix ans, il fait le constat que sa manière de voir diverge trop de celle de ses clients pour lui permettre de persévérer. Il vend alors sa société, et c’est là qu’intervient la césure pendant laquelle il fait le tour de la Méditerranée. C’est aussi à ce moment que sa première femme et lui se séparent.
Sculpture, théâtre et continuité familiale
Il décide de « devenir » sculpteur. On est en 2000, il a 36 ans ; c’est à la fois une rupture, une continuation et un retour aux sources. Rupture car jusqu’alors Francis n’a jamais « été » sculpteur, mais aussi continuation car dans ce métier il va utiliser les techniques qu’il a apprises au cours des années précédentes, et enfin retour aux sources car, dans le même temps, il s’installe dans la maison-atelier de son grand-père, dans le 14è arrondissement de Paris, une maison achetée en 1935 à Derain. Il y découvre une accumulation d’œuvres, d’études, de travaux. Francis Montanier, prix de Rome, artiste minutieux, avait gardé quantité de choses. Francis Guerrier s’immerge dans cet univers, fait pour de bon la connaissance de son grand-père, décédé alors qu’il avait 10 ans, et en quelque sorte s’approprie cet univers en réalisant ce qu’il appelle « la mémoire éclairée » à partir d’objets et de photographies découverts dans cette maison. Pendant une dizaine d’années, il est sculpteur à Paris, un métier qui le passionne, mais son attirance pour le monumental est corsetée par les contraintes de la capitale. Avec sa deuxième femme, Catherine, qu’il épousera en 2013 à Eygalières, il décide de retrouver ses racines et de s’établir dans le village de son enfance. Ce sera en 2015. Dans son nouvel atelier, il peut enfin réaliser des œuvres de grande dimension, comme les superbes « Plumes d’ange » en aluminium de 8 et 12 mètres de haut.
Pendant tout ce temps, sa passion pour le théâtre, les salles obscures et les représentations en plein air, ne le quitte pas. Il saisit toutes les opportunités possibles. Il crée ainsi la décoration d’un spectacle avec l’abbé Pierre, « Le bal des exclus » ; il conçoit la scénographie du spectacle « Gary Ajar » (en novembre 2007) que lui confie Christophe Malavoy, et en juin 2011 celle de l’opéra de Puccini « Madame Butterfly ». Dans un registre proche, il installe en 2016 à Saint-Rémy-de-Provence « Les Méduses », structures lumineuses et mouvantes associées à un spectacle-concert.
Il porte sa filiation et la transmet. A l’été 2017 est organisée à Coustellet « 4G, six artistes sur quatre générations », exposition où sont présentées ses œuvres, celles de ses parents et de son grand-père et celles de ses deux filles Pauline et Marie, artistes elles aussi. Au-delà de la diversité des oeuvres, des techniques et des personnalités, cette exposition, selon Francis Guerrier, fait apparaître des liens perceptibles entre ces quatre générations, dans la manière « d’aborder les choses ». Enfin, Francis se prépare à créer, à côté de son atelier, un « lieu » pour présenter les archives de son grand-père et de ses parents, afin qu’elles soient consultables et demeurent ainsi vivantes.
A 54 ans, Francis Guerrier est un artiste accompli. Un magicien capable de nous ensorceler sans avoir besoin de nous dissimuler ses « trucs », que sont ses savoir-faire et sa sensibilité artistique et humaine. Un autodidacte à la technique maîtrisée et au regard plein d’humanité. La tête dans les étoiles et les pieds sur terre.
25 février 2018