Eygalieres galerie de portraits

Ginette Martin

Un fort caractère, un esprit ouvert

En dépit de l’âge qui la contraint à restreindre ses mouvements mais n’a nullement entamé sa vivacité d’esprit, Ginette Martin respire l’énergie et la confiance en soi. Il est vrai que sa déjà longue vie lui a plus d’une fois donné l’occasion de se montrer à elle-même, ainsi qu’aux autres, de quel bois elle est faite. Sans jamais exercer d’activité professionnelle, elle a mené sa vie comme elle l’entendait, s’adaptant aux situations et révélant une capacité d’adaptation et une variété de compétences qu’elle ne s’imaginait pas posséder, à la fois femme d’affaires et bénévole dévouée, épouse dès 16 ans d’un militaire souvent absent, mère aimante de deux filles brillantes, qui ont bien réussi.

On dira peut-être dans le village que tout cela est bien naturel, puisque Ginette est une Martin, issue d’une lignée de femmes dotées d’un fort caractère, qu’il s’agisse de sa mère, Victoria Martin, ou de sa grand-mère, Thérèse Martin, dite la Gourgonnière. Cette dernière, installée au Mas de Gourgonnier, sur les terres du marquis de Pierredon, avait la réputation de lui tenir tête, comme à tout le monde. Ginette, en tout cas, illustre parfaitement l’intrication de quelques familles installées au village depuis des générations, en particulier les Martin et les Pélissier. Son père, Marcel Pélissier, avait épousé Victoria Martin. Ginette est donc née Pélissier mais elle a épousé Lucien Martin, son cousin. Les parents de Ginette avaient donné naissance à une fratrie de quatre, une fratrie dont les membres ou les enfants occupent une belle place dans cette Galerie : Serge Jodezyk, le fils de Léoncie, la deuxième de la fratrie ; Léone Pélissier, épouse d’Elie, le troisième, et sa fille Aline ; et Claudine Leclercq, fille aînée de Ginette.

Ceci ne nous dit rien de la vie de Ginette, qui perd sa mère, décédée à 40 ans, alors qu’elle-même a cinq ans. Son père se remarie, ses frère et sœurs plus âgés (Ginette est née neuf ans après Elie) quittent la maison, et peut-être a-t-elle hâte de faire de même, ce qui explique qu’elle se marie très jeune. Lucien Martin est son cousin, de dix ans plus âgé qu’elle, mais c’est un cousin qu’elle ne connaissait pas vraiment. Ils s’étaient certainement rencontrés lorsqu’elle était petiote, mais entretemps il avait quitté le village : passé par l’Ecole de formation des sous-officiers de l’Armée de l’air à Rochefort, il est devenu mécanicien avion. A peine sorti de l’école, c’est la guerre. Lucien part en Afrique du Nord et, de là, en Angleterre, affecté à la Royal Air Force où il restera deux ans. Mécanicien puis « mitrailleur de queue » sur bombardier lourd, son appareil est abattu. Il est fait prisonnier. Mais c’est presque la fin de la guerre et il revient vite chez lui. C’est alors qu’il remarque à quel point sa petite cousine est devenue jolie. Ginette accepte de devenir sa femme. De cette décision, elle dit aujourd’hui : « à cet âge-là, on ne sait pas vraiment ce qu’on fait ».

De fait, cette décision va orienter toute sa vie. D’abord avec l’arrivée des deux enfants du couple : Ginette donne naissance à Claudine alors qu’elle n’a que 18 ans, et cinq ans plus tard à Marie-France. Ensuite, elle doit s’adapter aux longues absences de Lucien, qui est militaire d’active. Dès après son mariage, il part en Extrême-Orient. En se mariant, Ginette n’imaginait sans doute pas les conséquences sur le cours de sa vie de cette union avec un homme souvent affecté au loin. Car les contraintes professionnelles de son mari font qu’elle doit prendre en charge toute l’organisation de la vie de la famille. Pour elle-même, ce sera une vie aux activités bien différentes d’une période à l’autre.

Au tout début, Ginette va « aider » à l’Auberge Provençale, propriété de ses beaux-parents. Située sur la place de la mairie, en face de ce qui sera plus tard le Café de la Place, l’Auberge provençale est aujourd’hui devenue une sorte de mythe eygaliérois, que pleurent tous ceux qui l’ont connue. A l’époque, c’est un hôtel avec un petit nombre de chambres, une cuisine familiale, une ambiance chaleureuse, un lieu qui a ses habitués voire ses abonnés. Elle héberge artistes, peintres, qui y viennent surtout l’été, pour des périodes assez longues. Ginette a alors 20 ans, elle vit avec bonheur cette ambiance amicale, découvrant des personnes différentes, des personnes de qualité, dont plusieurs sont devenus des amis. Plus tard, ces visiteurs feront place à d’autres, au profil différent : ce sont les clients d’Henri Roque, « l’homme à cheval », qui viennent pour faire de longues chevauchées dans les Alpilles et bien au-delà, jusqu’à Saint-Jacques de Compostelle.

Elle élève seule ses filles. A la maison, elle écoute souvent de la musique, des opéras d’Offenbach, du Strauss ; elle prend d’ailleurs quelque temps des cours de piano. Cela contribuera sans doute, beaucoup plus tard, à l’initiative prise par Claudine de fonder le Festival de musique d’Eygalières après une carrière diversifiée dans le Nord de la France (voir son portrait dans cette Galerie). Quant à Marie-France, elle aura suivi pendant quarante-quatre ans une brillante carrière d’orthophoniste, se consacrant plus spécialement aux enfants.

Il arrive que Ginette accompagne son mari à l’étranger lorsqu’il est militaire, mais ces occasions sont rares. A Eygalières, elle gère le patrimoine immobilier du couple, à commencer par la location d’appartements : relations avec les locataires, conduite de travaux quand c’est nécessaire. Méticuleuse, elle connaît la réglementation, notamment fiscale, au point d’en remontrer à son notaire. « Charmante et gentille », comme elle dit elle-même, elle n’en est pas moins inflexible et ne se décourage jamais face aux locataires et surtout aux entrepreneurs. Lorsque, au mitan de leur vie, son mari et elle ont décidé de construite une maison « à la campagne », c’est-à-dire à quelques centaines de mètres du village, c’est elle qui dirige, qui contrôle, qui paye, même si son mari est présent. Sans difficulté, son autorité s’impose à ses interlocuteurs. « Jamais on ne m’a manqué de respect », dit-elle aujourd’hui.

Dans cette vie enracinée localement, Ginette va toutefois connaître une expérience quelque peu exotique. Une fois retraité de l’Armée de l’air, Lucien a poursuivi une « seconde carrière » civile. C’est ainsi que, pendant deux ans, à la fin des années 60, il est chargé de diriger la base à Ndjamena (Tchad) d’une société installée à Dakar qui pratique la démoustification par épandage. Il gère les deux avions, leurs deux pilotes et la vingtaine d’ouvriers qui y travaillent. Pour Ginette, c’est donc une expatriation ; elle ne s’en émeut pas plus que cela et s’adapte sans difficulté aux conditions locales, des conditions matérielles certes fort confortables, mais dans un climat rude. Habitué aux expatriations, Lucien adore voyager et s’est passionné pour l’archéologie. Ginette l’accompagne avec plaisir dans les lieux qui recèlent beaucoup de témoignages du passé, dans le bassin méditerranéen, en Europe. Plus tard, devenue veuve, Ginette continuera longtemps à voyager, en groupe, pour son agrément.

En effet, il y a vingt-et-un ans, Lucien décède, à l’âge de 79 ans. Ginette n’avait pas attendu cette triste date pour s’adonner au bénévolat : s’ennuyant dans sa maison à la campagne, elle avait participé à un petit groupe qui fabriquait des objets pour les ventes de charité au bénéfice de l’hôpital de Cavaillon. Mais après le décès de son mari, elle s’engage très sérieusement auprès de la paroisse. Pendant dix ans, avec d’autres, elle assure le catéchisme, et suit même une formation pour cela. Puis, plus tard, elle se charge de la décoration florale de l’église à l’occasion des messes, des mariages, des baptêmes, des enterrements. Toujours pleine d’initiatives appréciées, elle récolte de beaux compliments et y prend beaucoup de plaisir.

Aujourd’hui, entourée de ses enfants, de ses trois petits-enfants et de ses deux arrière-petits-enfants, Ginette est sereine, même si son tempérament impatient, qu’elle n’a jamais dompté, lui rend difficilement supportables les faiblesses de l’âge.

2 décembre 2022