Eygalieres galerie de portraits

Catherine Pello-Guerrier

Eveiller les générations qui viennent

Catherine Pello-Guerrier s’est posée à Eygalières il y a sept ans, avec son mari Francis Guerrier, après avoir habité vingt-cinq ans à Paris. Elle a ainsi laissé derrière elle son métier de comédienne professionnelle pour trouver ici de nouvelles racines, qui se sont nourries de son esprit ouvert et de sa créativité. Une créativité qu’elle a mise en œuvre, d’étape en étape, au cours de son parcours professionnel, de l’art dramatique à la réalisation cinématographique puis aujourd’hui à la philosophie pour les enfants. Cette dernière étape en date révèle un autre aspect de sa personnalité, la passion d’éveiller chez les enfants des compétences, des savoir-être, dans une démarche généreuse peut-être alimentée par le désir de donner à d’autres ce dont elle aurait aimé bénéficier dans son enfance. Derrière son aspect lisse et sous contrôle, Catherine n’a pas froid aux yeux : elle s’engage pleinement voire passionnément lorsqu’une évidence s’impose à elle au point de lui dicter ses choix de vie.

En effet, son parcours professionnel s’est constitué à la faveur d’une série d’évidences, dont la première prend la forme d’une véritable révélation lorsque, à l’approche du bac, elle choisit son orientation : Catherine découvre dans un livret le « Conservatoire national d’art dramatique » de Rennes. Immédiatement, bien qu’il n’y ait aucune tradition en ce sens dans sa famille et qu’elle ne soit même jamais allée au théâtre, elle perçoit que c’est la voie qu’il lui faut. Elle est reçue au concours, à la surprise de sa famille. « C’était vital », dit-elle. Et c’est bien au théâtre qu’elle va consacrer la plus longue partie de sa vie professionnelle. Cela lui apportera d’immenses satisfactions personnelles ; c’est aussi dans le milieu du théâtre qu’elle rencontrera Francis Guerrier (voir son portrait dans cette Galerie). La deuxième évidence se manifeste lorsque, après des années consacrées à jouer des histoires écrites par d’autres, elle ressent la nécessité de raconter les siennes, ce qu’elle va faire à travers le cinéma comme réalisatrice. C’est encore une évidence pour elle de partager le besoin viscéral que ressent Francis de quitter Paris pour retrouver ses racines familiales à Eygalières ; fatiguée de l’univers bétonné et artificiel de la ville, elle aspire à s’immerger dans la nature. Et c’est toujours une évidence lorsque, à Eygalières, elle découvre la « philosophie pour enfants », qui vise à éveiller ceux-ci au discernement, à l’esprit critique, à la capacité d’un regard personnel et créatif. Percevant que cette démarche rejoint totalement ses aspirations profondes, elle en fait alors son nouveau métier, avec bonheur.

Sa carrière professionnelle a donc commencé par le théâtre. Quelques années après le conservatoire, Catherine rencontre un metteur en scène, Gilles Martin, sur le point de créer une compagnie de théâtre baptisée « Point de rupture » : tout un programme … Jouer toutes sortes de rôles est pour elle une expérience quasi-fondatrice, elle qui pendant son enfance s’était « coupée de ses émotions ». Elle découvre la possibilité de vivre des vies différentes les unes des autres, des passions humaines, des émotions fortes, sans danger pour sa « vraie » vie puisque le rôle la dissimule comme un bouclier. D’une certaine manière, elle peut vivre une vie multiple par une procuration qu’elle porte elle-même. Elle explore ainsi sa personnalité, les limites de son « territoire psychique », et découvre aussi la joie de jouer, de « faire comme si », comme le font les enfants. Au-delà de l’exercice de son métier, Catherine va vivre une expérience complémentaire. « Point de Rupture » a choisi de monter des « spectacles participatifs » où jouent également des jeunes préalablement sélectionnés au fil des tournées. La collaboration avec ces enfants et ces adolescents enrichit son expérience et lui apporte beaucoup de plaisir. Mais c’est a posteriori qu’elle s’interroge : « que serait ma vie aujourd’hui si j’avais eu la possibilité de vivre une telle expérience à 12-13 ans ? » Elle prend ainsi conscience qu’il lui avait manqué quelque chose à cette période de sa vie, qu’elle pouvait aujourd’hui transmettre à d’autres.

Après une vingtaine d’années d’exercice, elle a le sentiment d’avoir fait le tour du métier. Plus encore, elle ne se satisfait plus de jouer la vie des autres et veut raconter ses propres histoires à travers le cinéma. Elle se lance donc, tout en continuant à jouer, dans la réalisation d’un court-métrage qui fait écho à ses racines bretonnes, auxquelles elle est très attachée. Ainsi naît en 2008 « Rue de Siam », du nom d’une rue mythique de Brest, grâce à un financement qu’elle et Francis réunissent en seulement quatre jours. Tcheky Karyo, connu notamment pour son rôle dans « Nikita » de Luc Besson, en est l’acteur principal et Louis Winsberg (voir son portrait) en écrit la musique. Ensuite, marquée par l’impact des spectacles participatifs sur les jeunes qui y ont joué, et désireuse de le faire connaître, elle a le projet d’en réaliser un documentaire. Elle mène environ 200 interviews, travaille beaucoup, mais commet l’erreur de s’imaginer qu’elle pourrait tout faire toute seule : elle s’y épuise et le projet finalement n’aboutit pas. La morale est d’évidence, mais elle la vit dans sa chair : on est plus efficace à plusieurs que tout seul. C’est ainsi qu’en 2019, après cinq ans d’un travail de co-réalisation, Catherine et Louis Winsberg sortent « Musica ! », un film inspiré par les Alpilles et la musique de Louis.

Sa chair a vécu un autre événement, à la fois douloureux et salvateur : en 2015, Catherine est atteinte d’un cancer du sein. Déjà, à son arrivée à Eygalières, elle avait commencé à puiser dans son réservoir de réflexions et d’émotions, alimenté par le lien entre théâtre, éveil des jeunes et nature, pour concevoir sa nouvelle vie, qu’elle voulait différente de la précédente car, dit-elle, « après avoir beaucoup reçu, je voulais pouvoir donner à mon tour ». Elle va sublimer cette épreuve, qui éveille chez elle le besoin de donner du sens à son parcours. Désormais, il lui faut cristalliser ses aspirations. Des rencontres fortes l’encouragent : celle de Marie Falquet (voir son portrait), avec qui elle partage activités et valeurs. Celle d’Emilie Cérésola, directrice de l’école d’Eygalières (voir son portrait), qui accepte en 2016 et 2017 sa proposition d’organiser pour des élèves de 7-8 ans des ateliers de théâtre sur le thème de la fraternité, puis sur « Imaginons demain », en collaboration avec la médiathèque d’Eygalières et Florence Bourleyre, sa directrice. C’est aussi la découverte de l’association SEVE (« Savoir Être et Vivre Ensemble »), qui promeut la philosophie pour enfants. Catherine met alors des mots sur ce dont elle avait l’intuition : l’enfant est « un interlocuteur valable » qui se questionne très tôt sur les grands sujets de l’existence.

Elle va se former et en faire son nouveau métier (www.catherinepelloguerrier.fr). À l’issue de cette première formation, elle a un rêve : mener des enfants dans la nature pour leur apprendre à savoir être et à vivre ensemble. Grâce aux « Sentiers de l’Abondance » de Marie Falquet, ce rêve prend forme. Avec l’équipe des Sentiers, Jean-Louis Dalloz (voir son portrait) et deux collègues animatrices, elle crée l’association « Les Sentiers du Vivre Ensemble » qui, au cours de journées entières, immerge des enfants dans la nature, où ils pratiquent différentes activités d’éveil à soi et à l’autre et de sensibilisation à la nature. Depuis 2019, le Parc Naturel Régional des Alpilles soutient ce projet pédagogique en l’incluant dans son action d’Éducation à l’Environnement. Ce partenariat solide a incité en 2020 l’Agence Régionale de Santé, qui professe l’importance des « compétences psycho-sociales » à côté de la santé physique, à subventionner cette initiative, aujourd’hui au bénéfice d’enfants qui viennent de « quartiers prioritaires » d’Orgon et de Tarascon, et qui pour certains ne vont jamais dans la nature. On peut mesurer l’impact immédiat sur les enfants de ce brusque dépaysement : à mesure que la journée avance, ils s’ouvrent et se détendent. Pour le plus long terme, les enseignants qui les accompagnent prennent peu à peu conscience de l’importance qu’a la nature pour l’équilibre de leurs élèves. Parallèlement, Catherine anime des ateliers de philosophie dans des collèges.

Auprès de son mari et « complice » Francis Guerrier et de son fils César, dans cet environnement eygaliérois qu’elle a fait sien et dont elle apprécie chaque jour le dynamisme et le rayonnement, Catherine met ainsi pleinement en œuvre sa personnalité épanouie et généreuse pour « faire sa part » dans l’éveil des générations qui viennent à une vie consciente et autonome.

15 septembre 2021