Eygalieres galerie de portraits

Paul Hunsinger

De l'international au local

Portrait dû à l'initiative d'Adrienne Clarkson, qui a réalisé et retranscrit l'interview. Texte rédigé par Paul Hunsinger. Photo prise par Martin Katz.

Adolescent, Paul Hunsinger recevait régulièrement de longues lettres de son oncle Henri, un artiste baroudeur qui parcourait le monde. Cela lui a donné le goût de découvrir lui aussi le monde extérieur, mais dans des conditions moins inconfortables que celles choisies par son oncle. Il a donc entrepris une carrière diplomatique dans le domaine économique, qui l’a amené à vivre vingt ans à l’étranger avec son épouse Catherine Puynesge. Parvenu à la retraite, il n’a pas fallu longtemps pour que tous deux fassent le choix de vivre à Eygalières, que Paul avait découvert peu avant son mariage, quelques décennies plus tôt. Il n’a pas fallu longtemps, non plus, pour qu’il se lance dans l’élaboration de cette Galerie de portraits dont son propre portrait ferme la marche.

Ce choix d’Eygalières n’avait pourtant rien d’évident. Une petite enfance dans un village de la Sarthe, une enfance et une adolescence dans plusieurs villes de la banlieue parisienne – pour suivre les affectations successives de son père, cadre de la SNCF – ne l’avaient pas beaucoup conduit en Provence. Au cours de sa carrière professionnelle, c’est dans des métropoles, actives, bruyantes, qu’il a vécu : Paris de nombreuses années, quelques années à Lille, ainsi que Pékin, Tel-Aviv, Budapest, Moscou, Sofia, Rome. En s’installant à Eygalières, le bruit de la circulation, l’odeur de la pollution urbaine n’allaient-il pas lui manquer ? Eh bien, pas du tout, d’autant que la Galerie de portraits lui a apporté une vie fort active et lui a permis de s’insérer rapidement dans le village tout en lui faisant découvrir des personnes toutes différentes, qui ont accepté de lui raconter leur vie. N’est-ce pas pur bonheur ?

Avant même l’attirance pour l’étranger, il y a eu la curiosité : en CM1 ou CM2, l’école communale d’Aubigné-Racan lui avait décerné un « prix de la curiosité », dont il était le premier détenteur. Cette curiosité innée, un certain don pour l’apprentissage des langues découvert à l’adolescence, et les lettres de l’oncle Henri, ont incité Paul, tout naturellement, à envisager son avenir dans des fonctions diplomatiques. Deux « bourses Zellidja » lui ont permis d’aller successivement au Tyrol du Sud (en Italie du Nord) puis au Libéria, alors encore en paix, qu’il a rejoint par voie de terre, entassé dans des bennes de camions ou des taxis-brousse. Après des études de droit et l’apprentissage du russe puis du polonais aux Langues O, il choisit à la sortie de l’ENA « l’Expansion économique à l’étranger », alors chargée de la promotion du commerce extérieur de la France. C’est à cette même époque qu’il fait la connaissance de Catherine Puynesge, laquelle partage avec lui, entre autres, un certain amour pour la langue russe. Mais aller plus loin ensemble passe par une épreuve d’initiation qui consiste en une visite à Eygalières pour faire la connaissance de la maison où Catherine est venue depuis qu’elle était adolescente, et de Solange Puynesge, son emblématique grand-mère, artiste-peintre un peu dévergondée malgré son âge déjà avancé. L’épreuve s’étant conclue de manière satisfaisante, ils vont pouvoir poursuivre leur vie ensemble, bientôt accompagnés de leurs filles Laure et Solange.

Puis c’est la litanie des affectations d’un fonctionnaire français, marquée par la découverte d’univers différents, tous plus riches les uns que les autres. Avec la litanie des déménagements internationaux – il est bien rare que ceux-ci arrivent complets à destination -, et la nécessité de s’adapter à des environnements à chaque fois différents. Cette adaptation est plus facile pour Paul, qui s’insère dans une ambassade, dans un service économique où il sait ce qu’il a à faire, que pour Catherine, qui doit inventer une nouvelle vie quotidienne pour elle et pour les enfants. Un nouveau pays, c’est aussi l’apprentissage d’une nouvelle langue. Il est des cas où c’est une nécessité pour la survie, comme dans la Chine de 1984 où personne ne parlait d’autre langue que le chinois. En Israël, cela a été la fierté de pouvoir prononcer un discours de départ en hébreu. En Hongrie, l’apprentissage complet de la langue pour pouvoir l’utiliser dans la vie quotidienne. Plus tard, ce fut aussi le bulgare, pas bien difficile à apprendre pour qui parle russe. Et enfin l’italien, source de véritable plaisir.

Cependant, la langue de chaque pays, ce n’est que l’écume. Le fond du travail consiste à comprendre ce qu’il est possible de faire pour stimuler les relations économiques entre la France et le pays d’affectation, chose très différente à chaque fois : la Chine qui commençait à peine à muter ; la Hongrie dans les années suivant la chute du Mur de Berlin : la Russie à la fin du premier mandat et au début du deuxième mandat de Poutine ; l’Italie, partenaire économique majeur de la France, où l’intensité des relations bilatérales, sujet de fierté pour les Français, créait aussi inquiétude, jalousie et malentendus du côté italien.

Quel que soit le pays, quelles que soient les problématiques, et même lorsqu’une partie de la carrière se passe en France, Paul fait face à deux défis constants. D’une part, créer des relations de confiance avec des interlocuteurs, locaux ou français, pour échanger et construire ensemble. Y parvenir nécessite de comprendre chaque personne, de saisir les ressorts de sa personnalité. Et d’autre part, écrire : écrire pour être lu, qu’il s’agisse de « notes pour … l’ambassadeur, le directeur, le ministre », des fameux « télégrammes diplomatiques » ou d’éditoriaux dans les revues électroniques diffusées par les services économiques à l’attention de responsables d’entreprises, voire de journalistes. Ecrire des textes courts, synthétiques, compréhensibles, si possible percutants. Finalement, c’est comme si, toute sa vie, il s’était préparé inconsciemment à interviewer des personnes et à rédiger leur portrait à Eygalières. En effet, cette vie professionnelle n’est pas éternelle.

Ainsi, à 65 ans et 9 mois, est arrivé l’âge limite. Le 31 août 2017, Paul a remis à son successeur à Rome ses outils de travail, les clés du bureau puis, avec Catherine, il a pris la voiture pour Eygalières. Un jour diplomate, le lendemain retraité. Il s’est alors posé la question de ce à quoi il allait occuper son temps compte tenu de ce qu’il savait faire. Rencontrer des gens, écrire, pourquoi pas ? Ce fut la Galerie de portraits, débutée avec Francis Guerrier, qui lui a fait confiance. Paul a choisi d’écrire des textes courts, de deux pages, des textes bienveillants, qui doivent être approuvés par chacune des personnes concernées. Comme des miniatures d’autrefois, ovales, avec leur petit encadrement. Au bout du compte, il a vécu une aventure de soixante-dix-huit mois, qu’il espère utile, qui a représenté des heures d’entretien avec des personnes très différentes (mais pas plus d’une heure avec chacune), et dont le produit est comme un scanner du village, certes très partiel. L’ensemble des portraits d’habitants ou de personnes liées au village dessine un portrait du village lui-même, tel qu’il est aujourd’hui, dans sa richesse et sa diversité. Ce portrait révèle l’attractivité naturelle d’Eygalières, le besoin irrépressible de ceux qui y sont nés ou qui y ont leurs racines de rester en vue des Alpilles, mais aussi la cohabitation parallèle et sans grande intercommunication d’ensembles de personnes que rassemblent leurs affinités, leurs goûts et sans doute aussi leur mode de vie. 

Cette aventure est terminée car tout doit avoir une fin. La suivante, déjà commencée, lance Paul Hunsinger sur la trace des familles du village en construisant leur arbre généalogique commun. Histoire, après tout, de donner une nouvelle dimension, cette fois-ci temporelle, à son exploration d’Eygalières.

22 Juin 2024